Jean-Claude LEMALLE

Une expérience de juge consulaire
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L'office du juge :
Ce que le juge doit faire
Ce que le juge ne peut faire
Ce que le juge peut faire

Table des matières

1 – Définition du pouvoir souverain d’appréciation du juge

Le pouvoir souverain c’est le pouvoir donné au juge d’apprécier une circonstance de fait.

Lorsqu’il dispose d’un pouvoir souverain, le juge a pour seule obligation de motiver sa décision, sur les motifs qu’il retient. La Cour de cassation n’exerce aucun contrôle concernant la pertinence des motifs retenus, elle vérifie simplement que le juge s’est acquitté de son obligation de motiver son jugement. La Cour de cassation est ainsi amenée à examiner, d’une part, l’existence des motifs, d’autre part, leur précision et, enfin, leur caractère suffisant.

Concernant le juge du premier degré, l’appréciation qu’il donne aux faits qui lui sont soumis, ne s’impose nullement aux conseillers de la Cour d’appel, qui peut réformer la décision en substituant son appréciation souveraine à celle du juge du premier degré.

2. – Définition du pouvoir discrétionnaire du juge

L’obligation de motiver une décision comporte des exceptions, le juge ayant en effet la possibilité de prendre des décisions sans en donner les motifs, il dispose à cet effet d’un pouvoir discrétionnaire, il n’a donc aucune obligation de motiver une application d’une règle de droit :

3. – Ce que le juge doit faire

  • Veiller au bon déroulement de l’instance (article 3 CPC).

  • En matière d’injonction de payer, le juge doit relever d’office son incompétence (article 1406 alinéa 3  du CPC). Rappelons qu’en cette matière le juge compétent est exclusivement celui du lieu où demeure le ou l’un des débiteurs poursuivis.

  • Se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé (article 5 CPC, les parties définissant l’objet du litige).

  • Trancher le litige conformément aux règles de droit applicables (article 12 al. 1 CPC), mais, il n’a aucune obligation, sauf règles particulières, de changer la dénomination ou le fondement juridique de leurs demandes (faire une distinction entre requalification des faits et requalification du fondement juridique de la demande).

    Cassation assemblée plénière du 21/12/2007 n° 06-11343 
    : « Mais attendu que si, parmi les principes directeurs du procès, l’article 12 du nouveau code de procédure civile oblige le juge à donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions, il ne lui fait pas obligation, sauf règles particulières, de changer la dénomination ou le fondement juridique de leurs demandes; qu’ayant constaté, par motifs propres et adoptés, qu’elle était saisie d’une demande fondée sur l’existence d’un vice caché dont la preuve n’était pas rapportée, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de rechercher si cette action pouvait être fondée sur un manquement du vendeur à son obligation de délivrance d’un véhicule conforme aux stipulations contractuelles, a légalement justifié sa décision de ce chef ».

    • Par contre, en l’absence de toute précision sur le fondement de la demande, les juges du fond doivent examiner les faits sous tous leurs aspects juridiques conformément aux règles de droit qui leur sont applicables (Cassation Com. du 31/03/1981 n° 79-12672).

  • Juger en droit et donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination des parties (sauf si celles-ci ont expressément entendu le lier sur la qualification ou le fondement juridique choisi, article 12 al. 2 et 3 CPC).

  • Motiver sa décision en fait et en droit (article 455 CPC).
    Cassation Chambre civile 2 du 10/10/1990 n° 89-17214 :

    « Vu l’article 472 du nouveau Code de procédure civile, ensemble l’article 1417 de ce code ;
    Attendu que, si le défendeur ne comparait pas, il est néanmoins statué sur le fond et le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée ;
    Attendu qu’il résulte du jugement attaqué, réputé contradictoire et rendu en dernier ressort, que M. X… a fait opposition à une ordonnance lui faisant injonction de payer une certaine somme à la société Scop-Agian ;
    Attendu que, pour accueillir la demande, le jugement énonce que M. X…, défendeur, n’ayant pas comparu ni personne pour lui, son attitude et son silence en la cause laissent présumer qu’il n’a aucun argument sérieux à opposer aux prétentions de la demanderesse ;
    Attendu que cette dernière fournit aux débats toutes les pièces explicatives nécessaires à l’appui de ses prétentions ;
    Attendu que sa demande apparaît régulière, recevable et bien fondée ;
    Attendu Qu’en se déterminant ainsi, sans analyser, même de façon sommaire, les éléments de preuve produits, sur lesquels il fondait sa décision, le Tribunal n’a pas satisfait aux exigences des textes susvisés ».

Cassation chambre commerciale du 23/03/2010 n° 09-11508 :

« Vu l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 455 et 458 du code de procédure civile ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Access services a cédé à la société Synea une partie de son fonds de commerce de gestion d’un centre d’appels téléphoniques et l’exécution de contrats conclus pour l’exploitation de ce fonds ;
Attendu que se prétendant créancière de certaines sommes réglées par elle, correspondant à des prestations de fournisseurs postérieures à l’entrée en jouissance de la société Synea, la société Access services l’a assignée en paiement de ces sommes ;
Attendu que la société Synea a demandé reconventionnellement la remise sous astreinte de certains logiciels et de documents concernant un logiciel ” Autocom ” ;
Attendu que pour statuer comme il fait, l’arrêt se borne au titre de sa motivation à reproduire sur tous les points en litige les conclusions d’appel de la société Synea ;
Attendu qu’en statuant ainsi, par une apparence de motivation pouvant faire peser un doute sur l’impartialité de la juridiction, la cour d’appel a violé les textes susvisés »;

  • Faire observer et observer lui-même le principe du contradictoire (article 16 alinéa 1 CPC).

    • Une note en délibéré, autorisée, peut être accompagnée de pièces justifiant ce qu’elle énonce, à condition que les parties soient en mesure d’en débattre contradictoirement.

    • Un constat d’huissier même non contradictoirement dressé, vaut à titre de preuve dès lors qu’il est soumis à la libre discussion des parties (Cassation Chambre civile 1 du 12/04/2005 n° 02-15507).

    • Tout rapport amiable peut valoir, à titre de preuve, dès lors qu’il est soumis à la libre discussion des parties (Cassation Chambre civile 1 du 11/03/2003 n° 01-01430). La chambre mixte de la Cour de cassation dans un arrêt du 28/09/2012 n° 11-18710, a toutefois précisé que le juge ne pouvait fonder sa conviction exclusivement sur le rapport non contradictoire, il doit être conforté par d’autres éléments de preuve.

  • Ne retenir dans sa décision que les moyens, explication et documents dont les parties ont été à même de débattre contradictoirement (article 16 al.2 CPC).

  • Le juge ne peut fonder sa décision sur le résultat d’investigations personnelles.

  • Veiller à la publicité des débats, sauf dans les matières où la loi autorise qu’ils aient lieu en chambre du conseil (article 22 CPC).

  • Limiter le choix d’une mesure d’instruction à ce qui est suffisant pour la solution du litige, le plus simple et le moins onéreux (article 147 CPC).

4. – Ce que le juge peut faire

  • Au regard du bon déroulement de l’instance, il peut impartir des délais et ordonner les mesures nécessaires (article 3 CPC).

    • La faculté d’accepter ou de refuser le renvoi, à une audience ultérieure, d’une affaire fixée pour être plaidée relève du pouvoir discrétionnaire du juge, dès lors que les parties ont été mises en mesure d’exercer leur droit à un débat oral. Si les parties conviennent de ne pas déposer leur dossier, le juge peut procéder à la radiation de l’affaire (Cassation Assemblé plénière du 24/11/1989 n° 88-18188).

    • La décision du juge sur une demande de renvoi (acceptée ou refusée) est une mesure d’administration judiciaire comme telle non susceptible de recours (Cassation Civile 2 du 06/05/1987 n° 86-10581).

    • Voir toutefois l’article 382 du CPC : « Le retrait du rôle est ordonné lorsque toutes les parties en font la demande écrite et motivée ». Cet article supprime l’appréciation du juge.

  • Prendre en considération des faits non spécialement invoqués mais figurant dans le débat (article 7 alinéa 2 CPC).

    • Le juge peut prendre en considération des faits ou actes que les parties n’ont pas spécialement invoqués, mais qui figurent dans les pièces soumises au contradictoire. Par exemple, le juge peut, en matière contractuelle, relever, pour déterminer la nature et l’étendue des obligations des parties, le contenu de clauses qui n’avaient pas été spécialement invoquées.

  • Inviter les parties à fournir les explications de fait (article 8 CPC) ou de droit (article 13 CPC) nécessaires à la solution du litige.

    • Cette faculté permet au juge de solliciter des précisions sur les allégués, de nature à en faciliter la compréhension et l’application. Le juge doit toutefois rester prudent pour ne pas laisser transparaître la moindre orientation.

    • Ces explications peuvent se faire par une réponse faite par la partie interrogée, dont une copie doit être transmise à l’autre partie, ou par une réouverture des débats, afin de soumettre la réponse aux débats contradictoire.  

  • Inviter les parties à mettre en cause les tiers dont la présence paraît nécessaire à la solution du litige (article 332 CPC) et, le cas échéant, accorder un délai au défendeur pour appeler un garant (article 109 CPC).

    • Il ne s’agit que d’une invitation, le juge ne peut ordonner une mise en cause.

  • Relever d’office les exceptions d’incompétence d’attribution si la règle méconnue est d’ordre public ou si le défendeur ne comparaît pas (article 76 CPC).

    • Ainsi, l’incompétence est d’ordre public, si la juridiction compétente est une juridiction administrative ou une juridiction répressive, sans que cet exemple soit limitatif.

    • Concernant la non-comparution du défendeur elle s’applique à l’opposant à une injonction de payer qui ne comparait pas, cette opposition lui conférant la qualité de défendeur.

  • Le juge peut également soulever d’office son incompétence territoriale, en cas de compétence exclusive d’une autre juridiction ou de non comparution du défendeur (article 77 CPC), de litispendance (article 100 CPC), de nullité pour défaut de capacité d’ester en justice (article 120 alinéa 2 CPC), ainsi que la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt, du défaut de qualité ou de la chose jugée (article 125 alinéa 2 CPC).

  • Ordonner d’office toutes mesures d’instruction légalement admissibles (article 10 CPC).

  • Tirer toutes conséquences de l’abstention ou du refus d’une partie d’apporter son concours aux mesures d’instruction (article 11 alinéa 1 CPC) (Cassation Chambre civile 1 du 01/07/2003 n° 01-11419).

  • Le juge peut enjoindre à une partie, à la demande de l’autre partie, de produire les éléments de preuve qu’elle détient ou ordonner à un tiers de produire les documents qu’il détient sauf empêchement légitime, au besoin sous peine d’astreinte (article 11 alinéa 2 CPC – articles 138 à 142 du CPC).

    • En procédure orale, le juge peut ordonner la production des éléments de preuve qu’une partie détient, même en l’absence de demande de l’autre partie, sans possibilité d’astreinte (article 446-3 du CPC), mais il ne peut enjoindre la production d’une pièce détenue par un tiers, qu’à la demande d’une partie et non d’office.

  • Enjoindre à une partie de communiquer les pièces dont elle fait état, au besoin à peine d’astreinte (articles 133 et 134 CPC), et écarter des débats les pièces non communiquées en temps utile (article 135 CPC) (Cassation chambre civile 2 du 22/01/1976 n° 74-14935).

  • Entendre les parties elles-mêmes (article 2 CPC).

  • Concilier lui-même les parties (articles 21, 825 CPC) ou, avec l’accord des parties, désigner un conciliateur pour procéder aux tentatives préalables de conciliation (articles 821 du CPC).

  • Avec l’accord des parties, désigner un médiateur chargé de les entendre et de confronter leurs points de vue afin de trouver une solution à leur conflit (articles 131-1 à 131-15 CPC).

  • Ordonner d’office une astreinte, pour assurer l’exécution de sa décision.


5. – Ce que le juge ne peut pas faire

  • Se saisir lui-même (article 1er CPC).

    • Y compris, en ce qui concerne le droit des entreprises en difficultés.

  • Changer l’objet du litige (article 4 CPC) (Cassation Chambre commerciale du 13/01/1981 n° 79-11339).

    • Il apparaît ainsi que c’est généralement afin de venir au secours de l’une ou l’autre des parties, que le juge méconnait le principe de l’indisponibilité de l’objet. C’est le demandeur qui omet de réclamer tout ce à quoi il a droit, et que le juge corrige. C’est le défendeur qui organise mal sa défense et s’abstient, par exemple, de formuler une demande reconventionnelle que les circonstances semblent pourtant imposer.  

  • Fonder sa décision sur des faits hors débat (article 7 CPC).

    • Viole l’article 7 du CPC, le juge qui fonde sa décision sur des faits qu’une partie n’avait pas invoqués dans ses conclusions mais seulement dans une note en délibéré, dont il ne résulte d’aucun élément de la procédure ou du jugement qu’elle ait été communiquée à l’adversaire, et alors que les faits ne pouvaient être considérés comme étant dans le débat.

  • Fonder sa décision sur des moyens de droit relevés d’office sans inviter préalablement les parties à présenter leurs observations (article 16, al.3 CPC) (Cassation Chambre civile 1 du 27/06/2006 n° 05-16905).

  • Relever d’office les exceptions de connexité (article 101 CPC) et de nullité pour vice de forme (article 114 CPC).

    • Par contre, le juge doit relevé d’office l’exception de litispendance (article 100 du CPC).

  • Soulever la prescription extinctive (article 2247 Code Civil).

  • Relever la péremption d’instance (article 388 du CPC).

 

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