Jean-Claude LEMALLE

Une expérience de juge consulaire
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La tierce opposition

Table des matières

1 – Généralités

La tierce opposition est définie par l’article 582 du Code de procédure civile comme une voie de recours qui « tend à faire rétracter ou réformer un jugement au profit d’un tiers qui l’attaque“.

Elle remet en question relativement à son auteur les points jugés qu’elle critique, pour qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit ».

Selon le code de procédure civile, il s’agit d’une voie extraordinaire de recours (Code de procédure civile article 527) qui n’est ouverte que dans les cas spécifiés par la loi (Code de procédure civile article 580), et qui permet au juge d’empêcher qu’une décision produise ses effets à l’égard d’un tiers, sans affecter les effets de cette décision dans les rapports entre les parties, sauf en cas d’indivisibilité.

S’agissant du « tiers » qualifié pour former tierce opposition, l’article 583 du code de procédure civile se borne à indiquer qu’il n’est ni partie, ni représenté.

2. – Recevabilité de la tierce opposition.

La recevabilité de la tierce opposition est subordonnée par la loi au respect de trois séries de conditions :

  • Il faut d’abord que la décision attaquée soit susceptible de tierce opposition.
  • Ensuite, il est nécessaire que la personne qui exerce ce recours ait, en principe, la qualité de tiers et qu’elle puisse démontrer un préjudice.
  • Enfin, la tierce opposition n’est recevable que dans la mesure où les délais prévus pour son exercice ne sont pas expirés).

Dès lors que le juge a déclaré l’irrecevabilité de la tierce opposition, ce chef du dispositif a autorité de la chose jugée.

2.1 – Conditions relatives aux décisions

2.1.1 – Principe de la recevabilité de la tierce opposition

Bien que la tierce opposition soit considérée comme une voie de recours extraordinaire (Code de procédure civile article 580), elle est ouverte contre « tout jugement » (Code de procédure civile article 585). En conséquence, la recevabilité de principe de ce recours interdit d’opérer des distinctions entre les différents types de jugement pour admettre ou rejeter l’exercice de la tierce opposition.

2.1.1.1 – Admission incontestée de la tierce opposition

Il est donc indifférent, pour l’ouverture de la tierce opposition, que le jugement ait été rendu par une juridiction de droit commun ou une juridiction d’exception, quelle que soit la matière civile, commerciale, sociale, rurale ou prud’homale dans laquelle il a été statué.

Cependant, dès lors que le jugement en premier ressort est frappé d’appel, la tierce opposition ne peut plus viser les chefs qui font l’objet de cet appel, le tiers devant intervenir à l’instance d’appel (Code de procédure civile article 554). 

Cette solution s’explique logiquement par le fait que l’effet dévolutif attaché à l’appel conduit au transfert de l’affaire à la cour sur tous les points critiqués : le juge du premier degré, étant obligatoirement dessaisi, ne saurait déclarer sa décision inopposable à un tiers. En revanche, on doit admettre la possibilité d’une tierce opposition sur les points qui ne sont pas soumis à la cour d’appel.

La tierce opposition est recevable, sans qu’il y ait lieu de distinguer selon que la décision a été rendue par défaut, qu’elle est contradictoire ou réputée contradictoire : la tierce opposition est recevable si le tiers opposant a intérêt à critiquer le jugement.

2.1.1.2 – La recevabilité de la tierce opposition dans le cadre des procédures collectives

La tierce opposition obéit à un régime très particulier dans le cadre des procédures collectives et n’est ouverte que dans des cas particuliers :

  • l’article L. 611-10 du code de commerce indique que l’homologation de l’accord met fin à la procédure de conciliation, et que le jugement d’homologation de l’accord de conciliation est déposé au greffe où tout intéressé peut en prendre connaissance. Il peut également être frappé de tierce opposition. Un créancier tiers à l’accord homologué disposera d’un délai de dix jours à compter de la publicité du jugement pour agir (Code de commerce article R. 661-2) ;
  • l’article L. 661-2 du code de commerce précise que les décisions statuant sur l’ouverture de la procédure sont susceptibles de tierce opposition. Il en est de même des jugements se prononçant sur la conversion en redressement ou liquidation judiciaire ;
  • l’article L. 661-3 du code de commerce prévoit que les décisions arrêtant ou modifiant le plan de sauvegarde ou le plan de redressement sont susceptibles de tierce opposition. Néanmoins, le créancier devra justifier de sa qualité de « tiers », c’est-à-dire invoquer un droit propre, et d’un préjudice personnel distinct d’une atteinte à l’intérêt collectif : il en est ainsi du créancier qui n’a pas participé aux comités des créanciers, ni accepté des délais de paiement ou des remises sollicitées par le débiteur ;
  • l’article R. 624-5 du code de commerce prévoit que le créancier, le débiteur ou le mandataire de justice peuvent saisir la juridiction compétente en cas de décision d’incompétence du juge-commissaire, concernant l’admission des créances. Les tiers intéressés peuvent former tierce opposition contre la décision rendue par la juridiction compétente dans le mois à compter de sa transcription sur l’état des créances ;
  • l’article R. 661-2 du code de commerce précise que la tierce opposition est formée par déclaration au greffe dans le délai de dix jours à compter du prononcé de la décision, ou dans les dix jours à compter du jour de la publication de la décision au BODACC, ou du jour de la publication de son insertion dans un journal d’annonces légales selon le cas.

Aux termes de l’article L. 661-7 du code de commerce, « il ne peut être exercé de tierce opposition […], ; contre les jugements rendus en application de l’article L. 661-6 » (il s’agit des jugements ou ordonnances concernant la nomination des organes de la procédure, statuant sur la poursuite d’activité, arrêtant ou modifiant un plan de cession…).

2.1.1.3 – Admission contestée ou limitée de la tierce opposition en matière d’état des personnes

Ce paragraphe ne sera pas traité car il ne relève pas de la compétence du tribunal de commerce.

2.1.2 – Exception à la recevabilité de la tierce opposition

Si la tierce opposition est admise contre les jugements, elle doit être déclarée irrecevable lorsqu’elle est formée contre une décision qui a le caractère d’une mesure d’administration judiciaire.

D’une façon générale, la jurisprudence exclut les recours, et donc la tierce opposition, chaque fois que le juge intervient alors qu’il n’a aucun contentieux à trancher (et qu’il se situe en dehors de la matière gracieuse, pour laquelle la tierce opposition est ouverte).

2.2 – Conditions relatives aux personnes

Aux termes de l’article 583 du code de procédure civile, « est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu’elle n’ait été ni partie ni représentée au jugement qu’elle attaque ». En conséquence, la loi exige, pour la recevabilité de la tierce opposition, que le demandeur ait une certaine qualité, et qu’il justifie d’un intérêt.

2.2.1 – Qualité pour agir

En principe, la tierce opposition est une voie de recours ouverte aux tiers, c’est-à-dire aux personnes qui, n’ayant été ni parties ni représentées au jugement, ont été dans l’impossibilité de défendre leurs droits.

2.2.1.1 – Principe : exigence de la qualité de tiers

Pour être recevable à former tierce opposition, le demandeur doit réunir deux conditions cumulatives, il ne doit avoir été ni partie, ni représenté au jugement qu’il attaque, conformément à l’article 583 du code de procédure civile.

Dès l’instant que l’intéressé a cette qualité de tiers, les exigences du procès équitable imposent de lui ouvrir la tierce opposition pour la défense de ses intérêts.

Par un arrêt du 08/02/2023, la Cour de cassation, chambre commerciale, n° 21-14189, a reconnu à un associé d’une société, qui est en principe représenté dans les litiges opposant la société à un tiers, par le représentant légal de la société, la possibilité de former tierce opposition contre un jugement auquel la société a été partie s’il invoque une fraude à ses droits ou un moyen qui lui est propre.

 L’article 125 du code de procédure civile, dispose que le juge peut relever d’office la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité. La Cour de cassation avait déjà admis ce pouvoir d’office, à condition que le juge invite les parties à présenter leurs observations.

2.2.1.2 – Exceptions : fraude et allégation de moyens propres

Le fait d’être représenté par l’une des parties à l’instance constitue un obstacle à la recevabilité de la tierce opposition. Cependant, aux termes de l’article 583, alinéa 2, du code de procédure civile, les créanciers et autres ayants cause d’une partie peuvent former tierce opposition au jugement rendu en fraude de leurs droits ou s’ils invoquent des moyens qui leur sont propres. Ce texte consacre les solutions jurisprudentielles antérieures.

2.2.1.2.1 – ⋅ Fraude

Le créancier ou l’ayant cause tire de la fraude un droit propre qui l’autorise à former tierce opposition à la décision rendue contre le débiteur.

Il appartient à la victime de la fraude d’en rapporter la preuve, faute de quoi, elle est irrecevable en sa tierce opposition.

Ainsi, en l’absence de fraude démontrée, l’associé d’une société civile se trouve représenté par celle-ci dans les instances dirigées contre elle et n’est pas recevable à former tierce opposition.

D’une manière générale, la jurisprudence entend largement la notion de fraude. Ainsi, lorsque le débiteur se laisse condamner sans opposer la prescription de la créance, la tierce opposition du créancier est recevable. Le pouvoir d’appréciation des juges du fond est souverain en la matière.

2.2.1.2.2 – Allégation d’un moyen personnel

Lorsque la personne normalement représentée se prévaut d’un moyen personnel qu’elle a seule le pouvoir d’invoquer, on ne peut plus considérer qu’elle a été représentée. En conséquence, la tierce opposition devient recevable à l’égard de la décision rendue, parce qu’elle se fonde alors sur l’exercice d’un droit propre exclusif de toute idée de représentation. L’article 583 du code de procédure civile consacre sur ce point une règle affirmée depuis longtemps par la jurisprudence dans de nombreux domaines.

Dans le même ordre d’idées, l’assureur crédit de certains créanciers du débiteur peut former tierce opposition au jugement d’ouverture de la sauvegarde : il est un tiers au jour du jugement d’ouverture, n’étant pas créancier, et il se prévaut d’un moyen propre, le jugement d’insolvabilité réalisant le risque couvert (ce qu’il est le seul à pouvoir invoquer), et il a intérêt à agir (puisque le jugement l’oblige à indemniser les fournisseurs du débiteur).

2.2.2 – Intérêt pour agir

Ce principe est rappelé par l’article 583, alinéa 1er, du code de procédure civile, qui précise qu’est « recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt ».

L’intérêt pour former tierce opposition est avant tout un intérêt à agir, qui doit respecter les exigences posées par l’article 31 du code de procédure civile. C’est ainsi que le tiers doit justifier d’un intérêt « légitime » pour exercer son recours.

L’intérêt à agir du tiers doit en principe être « né et actuel ». Mais il n’est pas nécessaire que le préjudice invoqué soit déjà réalisé : le tiers peut avoir un intérêt actuel à agir pour empêcher que le préjudice résultant de la décision ne se concrétise.

Lorsque le tiers ne démontre pas l’existence d’un préjudice, la tierce opposition formée doit être déclarée irrecevable pour défaut d’intérêt.

Une jurisprudence constante décide que l’existence d’un intérêt, condition de recevabilité de la tierce opposition, est laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond.

2.3 – Conditions relatives aux délais

L’article 586 du code de procédure civile prévoit les différents délais pendant lesquels la tierce opposition est recevable. Ces délais varient selon que la tierce opposition est formée à titre principal ou à titre incident, et des dispositions spéciales sont aménagées lorsque la tierce opposition est dirigée contre des jugements contentieux notifiés, ou contre des décisions gracieuses rendues en dernier ressort et notifiées.

2.3.1 – Délais de droit commun

Les délais de tierce opposition sont organisés différemment selon que la tierce opposition est principale ou incidente. En tout état de cause, les délais prévus sont des délais de forclusion, puisqu’ils sont sanctionnés par l’irrecevabilité de la tierce opposition : en tant que tels, ils ne sont pas soumis aux règles prévues par le code civil au titre de la « prescription », sauf exceptions. Notamment, ils ne sont pas susceptibles de suspension, mais sont interrompus par une demande en justice.

2.3.1.1 – Délai de tierce opposition principale

La tierce opposition est dite principale lorsqu’elle est formée en dehors de toute instance pendante entre le tiers opposant et le défendeur à la tierce opposition. Lorsqu’un tiers prend l’initiative d’attaquer un jugement, il dispose d’un délai de trente ans à compter de la décision, à moins que la loi ne prévoie un délai différent.

2.3.1.2 – Délai de tierce opposition incidente

La tierce opposition est incidente lorsqu’elle est formée, au cours d’une instance déjà introduite, contre un jugement précédemment rendu dont l’un des plaideurs entend se prévaloir. En ce cas, conformément à la solution admise depuis longtemps par la jurisprudence, l’article 586, alinéa 2, du code de procédure civile, précise qu’elle peut être formée sans limitation de temps. La chose jugée pouvant être invoquée sans limitation de temps, il est logique de reconnaître au plaideur auquel on l’oppose la possibilité de former tierce opposition sans limitation.

2.3.2 – Délais particuliers

L’article R. 661-2 du code de commerce prévoit que la tierce opposition est formée par déclaration au greffe dans le délai de dix jours, soit à compter du prononcé de la décision, soit à compter du jour de la publication de la décision au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC), si cette décision doit faire l’objet d’une publicité, soit à compter du jour de son insertion dans un journal d’annonces légales.

En l’absence de publicité, le délai ne court pas et la tierce opposition est toujours recevable.

Le non-respect de ce délai est sanctionné par une fin de non-recevoir qui peut être proposée en tout état de cause.

En ce qui concerne la tierce opposition, formée contre les jugements contentieux, le tiers auquel le jugement a été notifié n’est recevable à exercer le recours que dans le délai de deux mois à compter de cette signification.

3. – Modalités de la tierce opposition

3.1 – Détermination du juge compétent

3.1.1 – En cas de tierce opposition principale

La tierce opposition formée à titre principal est portée devant la juridiction dont émane le jugement attaqué, conformément à l’article 587, alinéa 1er, du code de procédure civile. En conséquence, toute juridiction de l’ordre judiciaire, de droit commun ou d’exception, peut rétracter sur tierce opposition le jugement qu’elle a précédemment rendu.

Cependant, cette attribution de compétence à la juridiction qui a rendu le jugement ne peut pas permettre au tiers opposant de faire échec aux règles de compétence d’ordre public. En effet, si, à l’occasion de la tierce opposition, une difficulté s’élève, dont la connaissance relève de la compétence exclusive d’une autre juridiction, le tribunal saisi de la tierce opposition doit se déclarer incompétent et surseoir à statuer sur la tierce opposition jusqu’à ce que la juridiction compétente se soit prononcée.

Il est admis que la compétence de la juridiction qui a rendu la décision doit être écartée lorsque le jugement rendu est frappé d’appel. En effet, la jurisprudence décide qu’un jugement frappé d’appel ne peut pas être attaqué par la tierce opposition : on ne peut pas permettre à une juridiction de première instance de statuer sur une décision qu’elle a rendue, alors que cette décision est soumise au contrôle de la cour d’appel.

3.1.2 – En cas de tierce opposition incidente

Aux termes de l’article 588 du code de procédure civile, la tierce opposition est de la compétence de la juridiction saisie de la contestation à l’occasion de laquelle est exercé ce recours, ou de la compétence de la juridiction qui a rendu le jugement. Ainsi, la tierce opposition incidente peut être soit une voie de réformation, soit une voie de rétractation.

L’alinéa 1er de l’article 588 du code de procédure civile prévoit que « la tierce opposition incidente à une contestation dont est saisie une juridiction est tranchée par cette dernière si elle est de degré supérieur à celle qui a rendu le jugement ou si, étant d’égal degré, aucune règle de compétence d’ordre public n’y fait obstacle ». La loi soumet donc la compétence de la juridiction saisie à plusieurs conditions.

3.2 – Procédure applicable

3.2.1 – Introduction de la tierce opposition

La tierce opposition est formée à titre principal comme une demande introductive d’instance, par voie d’assignation.

En revanche, lorsque la juridiction saisie du litige est compétente pour statuer sur la tierce opposition incidente, le recours est alors formé de la même manière que les demandes incidentes (Code de procédure civile article 588 alinéa 1er). En conséquence, la tierce opposition est introduite à l’encontre des parties à l’instance de la même façon que sont présentés les moyens de défense.

3.2.2 – Instance de tierce opposition

Le déroulement de l’instance de tierce opposition est soumis aux règles applicables à la procédure suivie devant la juridiction concernée : il faut donc se référer aux dispositions prévues par le code de procédure civile, en fonction de la juridiction saisie de la tierce opposition.

4. – Conséquences de la tierce opposition

4.1 – Incidences de l’acte introductif de la tierce opposition

4.1.1 – Effet dévolutif limité

L’acte introductif de la tierce opposition a pour effet de saisir le juge compétent pour qu’il statue à nouveau en fait et en droit.

Cependant, cet effet dévolutif est limité, puisque la tierce opposition « remet en question relativement à son auteur les points jugés qu’elle critique ». En conséquence, le tiers opposant ne peut pas élargir le débat en présentant des demandes nouvelles : la saisine du juge se limitant aux questions qui ont fait l’objet du jugement attaqué, le juge ne peut donc pas, sur tierce opposition, statuer sur une question litigieuse qui n’a pas été tranchée dans la décision entreprise.

Ainsi, par exemple, une demande reconventionnelle en dommages et intérêts formée par le tiers opposant doit être déclarée irrecevable.

Dès lors que le tiers opposant ne critique que les chefs du jugement qui lui font grief, les chefs qu’il ne conteste pas sont regardés comme définitivement acquis à son égard.

Le défendeur à la tierce opposition peut seulement faire écarter les prétentions du tiers opposant. Le caractère limité de l’effet dévolutif lui interdit en principe de formuler des prétentions nouvelles. Cependant, il a la possibilité de présenter tous les arguments tendant à faire échec à la tierce opposition, même s’il les présente sous forme de demande reconventionnelle.

4.1.2 – Effet suspensif original

4.1.2.1 – Suspension de l’instance en cas de tierce opposition incidente

L’article 589 du code de procédure civile prévoit que la juridiction devant laquelle le jugement attaqué est produit peut, suivant les circonstances, passer outre ou surseoir.

Cette faculté n’est applicable qu’à la tierce opposition formée à titre incident. Le juge saisi de la demande principale peut alors négliger la tierce opposition, en passant outre et en statuant sur le litige. Il peut aussi surseoir à statuer sur le litige jusqu’à ce que la tierce opposition ait fait l’objet d’une décision définitive.

4.1.2.2 – Suspension de l’exécution de la décision attaquée

La tierce opposition étant une voie de recours extraordinaire, ni le recours ni le délai ouvert pour l’exercice ne sont suspensifs d’exécution (Code de procédure civile article 579 ). Cette règle se justifie aisément : on peut craindre que la partie condamnée ne sollicite un tiers pour attaquer la décision à seule fin de suspendre la force exécutoire qui y est attachée. De plus, les délais de tierce opposition sont trop longs pour pouvoir entraîner un effet suspensif.

Cependant, l’article 590 du code de procédure civile permet au juge saisi de la tierce opposition de suspendre l’exécution du jugement attaqué. Elle est fondée sur le fait que l’exécution de la décision frappée de tierce opposition risque de provoquer des conséquences irréparables que le tiers opposant doit être en mesure d’empêcher.

4.2 – Effets du jugement rendu sur tierce opposition

4.2.1 – Rejet de la tierce opposition

Si le juge saisi rejette la tierce opposition, le jugement attaqué est opposable au tiers dans tous ses effets. L’autorité de la chose jugée qui y est alors attachée fait obstacle à toute nouvelle contestation de la décision.

4.2.2 – Admission de la tierce opposition

4.2.2.1 – Principe de l’effet relatif de la tierce opposition

La décision qui fait droit à la tierce opposition rétracte ou réforme le jugement attaqué, selon qu’elle est rendue par la juridiction qui avait précédemment statué ou par une autre juridiction.

Cependant, voie de rétractation ou voie de réformation, la tierce opposition produite toujours des effets limités « aux chefs préjudiciables au tiers opposant » (Code de procédure collective article 591 ).

En effet, le tiers opposant ne peut remettre en question les points jugés que dans la mesure où ils sont susceptibles de porter atteinte à ses intérêts, ce qu’il doit démontrer. Dès lors, la tierce opposition n’est pas nécessairement dirigée contre tous les chefs de la décision : les points jugés et non critiqués conservent toute leur autorité  et sont regardés comme définitivement acquis à l’égard du tiers opposant.

4.2.2.2 – Exception : l’indivisibilité

Dans certaines situations, l’effet relatif de la tierce opposition n’est pas applicable, le jugement ne pouvant pas être considéré comme sans effet à l’égard des uns, et comme ayant autorité à l’égard des autres. Il en est ainsi en matière indivisible.

Cette exception résulte de l’article 591 du code de procédure civile, aux termes duquel « la chose jugée sur tierce opposition l’est à l’égard de toutes les parties appelées à l’instance en application de l’article 584 ». Ce dernier texte prévoit qu’en « cas d’indivisibilité à l’égard de plusieurs parties au jugement attaqué, la tierce opposition n’est recevable que si toutes ces parties ont été appelées à l’instance ». La protection des intéressés est assurée par une fin de non-recevoir que le défendeur peut opposer à toute hauteur de la procédure et que le juge peut relever d’office.

Par exemple, l’arrêt rendu sur tierce opposition qui annule un premier arrêt ayant fait droit à une action en revendication immobilière, alors que le tiers démontre qu’il est le véritable propriétaire, produit ses effets à l’égard de toutes les parties en cause.

4.3 – Voies de recours

Conformément à l’article 592 du code de procédure civile, le jugement rendu sur tierce opposition est susceptible des mêmes recours que les décisions de la juridiction dont il émane.

5. – Un exemple de jugement de tierce opposition partielle

SUR CE, LE TRIBUNAL

Attendu que :

I – Concernant la recevabilité de la tierce opposition

Si, en application des articles L. 661-1 et L. 661-2 du Code de commerce les jugements ouvrant une procédure de liquidation judiciaire sont susceptibles de tierce opposition, il convient d’en examiner la recevabilité au regard :

  • du respect du délai imposé pour son exercice,
  • de la qualité des demandeurs pour agir, ainsi que la justification d’un intérêt.
  1. a) concernant le respect du délai prévu pour son exercice

L’article R. 661-2 du Code de commerce dispose que :

« Sauf dispositions contraires, l’opposition et la tierce opposition sont formées contre les décisions rendues en matière de mandat ad hoc, de conciliation, de sauvegarde, de redressement judiciaire, de rétablissement professionnel et de liquidation judiciaire, de responsabilité pour insuffisance d’actif, de faillite personnelle ou d’interdiction prévue à l’article L. 653-8, par déclaration au greffe dans le délai de dix jours à compter du prononcé de la décision.

Toutefois, pour les décisions soumises aux formalités d’insertion dans un support d’annonces légales et au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, le délai ne court que du jour de la publication au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales. Pour les décisions soumises à la formalité d’insertion dans un  support d’annonces légales, le délai ne court que du jour de la publication de l’insertion ». 

En l’espèce, la tierce opposition a été formée par voie de déclaration au greffe du tribunal de commerce de CANNES en date du 22/02/2022, soit 7 jours après la publication du jugement d’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire de la SARL TARTINE, intervenue le 15/02/2022 ;

Il convient donc de constater le respect du délai imposé par l’article R. 661-2 du Code de commerce.

  1. b) Concernant les conditions relatives aux demandeurs

Aux termes de l’article 583 du Code de procédure civile, « est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu’elle n’ait été ni partie ni représentée au jugement qu’elle attaque ». En conséquence, pour déterminer la recevabilité de la présente tierce opposition, il convient d’examiner si d’une part les demandeurs avaient qualité pour agir, et d’autre part s’ils justifient d’un intérêt.

1°/ Concernant la qualité pour agir

Même s’il est soutenu que le débiteur représente les créanciers, la recevabilité des créanciers à former tierce opposition est admise par la jurisprudence, à condition que d’une part ils ne soient pas à l’origine de l’ouverture de la procédure collective et que d’autre part ils invoquent un moyen qui leur est propre.

Le tribunal de commerce de CANNES a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de la SARL TARTINE, le 01/02/2022, suite à la déclaration de cessation des paiements effectuée, le 27/01/2022, par Me Caroline DESPRES, disposant d’un pouvoir spécial du gérant de la société, pour effectuer cette démarche ;

Les demandeurs n’étant pas à l’origine de l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire de la SARL TARTINE, il convient donc d’examiner le moyen propre qu’ils invoquent pour justifier leur demande de tierce opposition.

2°/ Concernant le moyen invoqué

Les demandeurs justifient leur demande en indiquant que le jugement du 01/02/2022 ouvrant une procédure de liquidation judiciaire, à fixer la date de cessation des paiements au 01/08/2020, entraînant dès lors une période suspecte faisant courir le risque de la remise en cause d’un protocole d’accord transactionnel signé le 26/01/2021 entre les requérants et la SARL TARTINE ;   

Le moyen invoqué par les demandeurs, créanciers chirographaires, présente un intérêt distinct de celui de la collectivité des créanciers et pourrait avoir des conséquences inconnues des autres créanciers chirographaires ;

En conséquence, au regard de ce qui précède il convient de déclarer recevable la tierce opposition formée par les demandeurs, ceux-ci étant ni parties ni représentées au jugement qu’ils attaquent et invoquent un moyen qui leur est propre .

  1. – Concernant le bien-fondé de la demande

Les demandeurs ne contestent pas l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de la SARL TARTINE, mais uniquement la fixation de la date de cessation des paiements au 01/08/2020 ;

Il convient donc d’examiner, si à cette date, il est justifié de la cessation des paiements de la SARL TARTINE ;

Le tribunal a fixé la date de cessation des paiements au regard des observations du débiteur, sans toutefois motiver précisément sa décision, en énonçant simplement.

« Attendu qu’il résulte des pièces produites et des informations recueillies en chambre du conseil que la déclarante se trouve dans l’impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible ;

Attendu qu’au vu des pièces produites il y a lieu de remonter provisoirement la date de cessation des paiements au 1ier août 2020 » ;

Pour apprécier la date de cessation des paiements le tribunal doit examiner la situation du débiteur à la date à laquelle celui-ci était dans l’impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, à savoir donc, pour la présente affaire le 01/08/2020 ;

Le liquidateur judiciaire de la SARL TARTINE, justifie l’état de cessation des paiements de la SARL TARTINE, en prenant pour base le bilan arrêté au 31/12/2017 et en précisant que la comptabilité postérieure est inexistante et en cours de reconstitution ;

Aucun élément n’est produit concernant la situation financière de la SARL TARTINE à la date du 01/08/2020, et il n’est pas démontré que le passif exigible, évalué par le liquidateur judiciaire de la SARL TARTINE, au 31/12/2017 pour un montant de 102.457,23 euros était toujours exigible au 01/08/2020  ;

Ainsi, alors les dettes fournisseurs apparaissent pour un montant de 34.715 euros au bilan du 31/12/2017, le liquidateur judiciaire de la SARL TARTINE ne fait mention dans ses conclusions, que d’une déclaration de créance effectuée par ORANGE pour un montant de 2.309 euros ;

De même, la déclaration de créance effectuée par l’Administration fiscale, si elle concerne effectivement les exercices 2017, 2018 et 2019 ne correspond qu’à des rôles ou des avis de mise en recouvrement émis pour la plupart postérieurement au 01/08/2020 ;

Il en résulte donc, que le liquidateur judiciaire de la SARL TARTINE n’apporte aucun élément permettant au tribunal de constater qu’à la date du 01/08/2020, la SARL TARTINE ne pouvait faire face à son passif exigible avec son actif disponible ;

En conséquence, il conviendra de rétracter le jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire de la SARL TARTINE dans sa seule disposition de la date de cessation des paiements, en mentionnant le 27/01/2022, au lieu et place du 01/08/2020.

Concernant les dépens et l’article 700 du Code de procédure civile

Condamne la SARL DURAND, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL TARTINE, aux dépens.

En équité, il n’y a pas lieu de prononcer de condamnation au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant par décision contradictoire et en premier ressort ;

Vu le rapport du juge-commissaire,

Vu l’avis du Ministère public

Vu les articles 582 et suivants du Code de procédure civile ;

Vu les articles L. 661-1, L. 661-2 et R. 661-2  du Code de commerce

DECLARE recevable et bien fondé, la tierce opposition en réformation formée par le syndicat des copropriétaires SDC ACANTHES, Monsieur David JULES, Madame Stéphanie DUPONT, la SCI AVENIRCIMJ, Monsieur Jean MARTIN, Madame Josiane OLIVIER épouse MARTIN, Monsieur Pierre PONS, Madame Evelyne CREVETTE épouse PONS, Monsieur Christophe FERRARI  au jugement rendu le 01/02/2022, à l’encontre du jugement rendu le 01/02/2022, ouvrant la procédure simplifiée de liquidation judiciaire de la SARL TARTINE, dans sa seule disposition de la fixation de la date de cessation des paiements au 01/08/2020 ;

ORDONNE la rétraction du jugement rendu le 01/02/2022 ouvrant la procédure simplifiée de liquidation judiciaire de la SARL TARTINE, dans sa seule disposition concernant la date de cessation des paiements, en remplaçant la date du « 01/08/2020 » par celle du « 27/01/2022 » ;

DEBOUTE la SELARL DURAND, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL FLORES de l’ensemble de ses demandes ;

DOCUMENTATION

DALLOZDocumentation/Encyclopédie/Répertoire de procédure civile : Tierce opposition.

LEXIS 360 Entreprise – Les tribunaux de commerce n’ont plus d’accès au contenu de la documentation concernant la procédure civile

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