Jean-Claude LEMALLE : une expérience de juge-consulaire

Jean-Claude LEMALLE

Les pénalités de retard de paiement

(Application de l'article L. 441-10 du Code de commerce)

1. – Introduction

L’article L. 441-1 du Code de commerce fait obligation à tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur de communiquer à tout acheteur professionnel qui en fait la demande ses conditions générales de vente et ses conditions de règlement, et en particulier les modalités de calcul et les conditions d’application des pénalités de retard.

L’article L. 441-9 5e alinéa, précise également que la date d’échéance doit obligatoirement figurer sur la facture.

Lorsque le débiteur ne respecte pas la date de règlement convenue, l’article L. 441-10 fixe les modalités d’exigibilité, le taux applicable et l’indemnité forfaitaire de recouvrement.

Texte (extraits utiles) – article L. 441-10
Les conditions de règlement mentionnées au I de l’article L. 441-1 précisent les conditions d’application et le taux d’intérêt des pénalités de retard exigibles le jour suivant la date de règlement figurant sur la facture ainsi que le montant de l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement due au créancier dans le cas où les sommes dues sont réglées après cette date. Sauf disposition contraire qui ne peut toutefois fixer un taux inférieur à trois fois le taux d’intérêt légal, ce taux est égal au taux d’intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage. […] Les pénalités de retard sont exigibles sans qu’un rappel soit nécessaire. Tout professionnel en situation de retard de paiement est de plein droit débiteur, à l’égard du créancier, d’une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement, dont le montant est fixé par décret. […]

Point-clé

Les pénalités de retard constituent un mécanisme autonome, à la fois contractuel (si stipulé) et supplétif (à défaut) ; elles sont exigibles de plein droit dès le lendemain de l’échéance et se cumulent avec l’indemnité forfaitaire de 40 € par facture (hors procédures collectives).

2. – Le juge doit-il accorder les pénalités si elles ne sont pas valablement stipulées ?

La Cour de cassation a jugé que les pénalités de retard de l’ancien article L. 441-6 (devenu L. 441-10) répondent à des considérations d’ordre public impérieuses : elles sont dues de plein droit, sans rappel et sans qu’elles aient à figurer dans les conditions générales, à compter de l’entrée en vigueur du texte (Cour de cassation, chambre commerciale du 3 mars 2009, n° 07-16.527).

En pratique : les dispositions de l’article L. 441-10 s’appliquent contractuellement si elles sont stipulées, et à titre supplétif à défaut.

3. – Application d’office par le juge ?

Le juge ne peut pas accorder les pénalités de l’article L. 441-10 si le créancier ne les réclame pas : statuer autrement serait ultra petita (Code de procédure civile, article 5). Le texte dit « exigibles de plein droit », mais n’oblige pas le créancier à en former la demande.

En revanche, les intérêts moratoires de l’article 1231-6 du Code civil peuvent être alloués d’office (Cour de cassation, chambre commerciale du 25 mai 1982, n° 80-10.108 – Cour de cassation, chambre sociale du 28 janv. 2004, n° 01-46.447), à compter de la mise en demeure ou, à défaut, de l’assignation.

4. – Cumul des pénalités et des intérêts moratoires (article 1231-6) ?

Pénalités (L. 441-10) et intérêts moratoires (article 1231-6) ont la même finalité indemnitaire : pas de cumul sur une même période (Cour de cassation, chambre commerciale du 24 avr. 2024, n° 24-275).

5. – Le juge peut-il modifier le montant des pénalités ?

5.1 – Pénalités non stipulées au contrat

À défaut de clause, le taux supplétif est BCE + 10 points. Le juge n’a pas de pouvoir de modération sur ce taux légal supplétif.

5.2 – Pénalités stipulées au contrat

Lorsque les parties ont prévu des pénalités de retard de paiement dans leur convention, elles ont érigé en clause pénale une obligation imposée par la loi. Cette stipulation contractuelle peut être contrôlée par le juge sur le fondement de l’article 1231-5 du Code civil.

Cependant, le taux de référence fixé par l’article L. 441-10 du Code de commerce (taux de la Banque centrale européenne majoré de dix points) est d’ordre public : il ne peut être abaissé ni révisé par le juge.

La faculté de révision ne s’applique que si le taux convenu est supérieur à ce plafond légal : dans ce cas, le juge peut, même d’office, en réduire le montant s’il le juge manifestement excessif. En revanche, si le taux stipulé est inférieur au seuil légal de trois fois le taux d’intérêt légal, il doit être écarté au profit du plancher imposé par la loi.

6. – Les pénalités peuvent-elles être capitalisées ?

Les pénalités de L. 441-10 ont une nature indemnitaire, l’anatocisme légal (article 1343-2 du Code civil) ne s’applique pas de plein droit. Une capitalisation n’est possible que si la convention la prévoit expressément.

7. – Tableau de décision du juge (pénalité prévue au contrat)

Mention de taux dans le contratTaux applicable
Aucun taux préciséBCE + 10 points (taux supplétif légal)
Un taux inférieur à 3 × le taux légal3 × le taux légal (plancher impératif)
Un taux égal à 3 × le taux légal3 × le taux légal
Un taux compris entre 3 × le taux légal et BCE + 10Taux contractuel (valable)
Un taux égal à BCE + 10BCE + 10
Un taux supérieur à BCE + 10Taux contractuel, sous réserve de modération (clause pénale)

Limites procédurales

Le juge ne peut pas accorder plus que ce qui est demandé (Code de procédure civile, article. 5). Si le créancier ne réclame que l’intérêt légal, il ne peut être fait application d’office de L. 441-10.

7.2 – Pénalités non prévues par le contrat

Le créancier peut demander la pénalité au taux BCE + 10 (et l’indemnité forfaitaire de 40 € par facture), sous réserve des règles propres aux procédures collectives.

@media print { @page { margin: 5mm !important; } }