En date du 27/10/2022 (n° 21-15026) la chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu un arrêt (n° 21-15026) ainsi libellé :
” Vu l’article L. 624-2 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 12 mars 2014 :
Il résulte de ce texte que lorsque le juge-commissaire constate qu’une contestation de créance ne relève pas de son pouvoir juridictionnel, sursoit à statuer sur l’admission de la créance et invite les parties à saisir le juge compétent sur cette contestation, ou lorsque, s’estimant incompétent pour trancher la contestation, il renvoie les parties à saisir le juge compétent, le juge-commissaire demeure seul compétent pour statuer sur la régularité de la déclaration de créance et admettre ou rejeter la créance…”.
La formulation de cet arrêt de la Cour de cassation, ne semble donc pas faire de distinction entre une absence de pouvoir juridictionnel et l’incompétence, en ce qui concerne la compétence du juge-commissaire pour admettre ou rejeter la créance.
En effet, au regard dudit arrêt, en cas d’incompétence du juge-commissaire, comme en cas d’absence de pouvoir juridictionnel, celui-ci doit surseoir à statuer jusqu’à la décision définitive de la juridiction compétente, car lui seul a le pouvoir d’admettre ou rejeter la créance déclarée. la juridiction saisie ne pouvant que juger la contestation émise.
Cet arrêt, contesté, semble en contradiction avec les textes en vigueur. Il apparait utile en premier d’examiner la situation du juge face à la contestation de créance, en faisant la différence entre incompétence et absence de pouvoir juridictionnel, puis nous donnerons notre opinion sur les conséquences du défaut de compétence du juge-commissaire.
Dans un arrêt récent du 06/03/2024, n° 22-22939 la Cour de cassation a confirmé sa position en précisant :
» Vu les articles L. 624-2 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 et R. 624-5 du même code, dans sa rédaction antérieure au décret du 30 juin 2014 :
Il résulte de ces textes que, sauf constat de l’existence d’une instance en cours, le juge-commissaire a une compétence exclusive pour décider de l’admission ou du rejet des créances déclarées et, après une décision d’incompétence du juge-commissaire pour trancher une contestation, les pouvoirs du juge compétent régulièrement saisi se limitent à l’examen de cette contestation « .
Dans cette affaire, il s’agissait d’une absence de pouvoir juridictionnel.
Il n’est pas contesté que juge-commissaire a une compétence exclusive, en matière de contestation de créance, lorsque celle-ci ne concerne que la régularité ou la recevabilité de la déclaration de créance, dès lors que la contestation ne porte pas sur le principe ou le quantum de la créance (Cour de cassation, chambre commerciale du 19/12/2018, n° 17-26501).
Ainsi, le juge-commissaire est exclusivement compétent en cas de contestation :
Par contre, si la contestation porte sur le principe ou le quantum de la créance, le juge-commissaire doit en premier lieu se positionner sur le caractère sérieux de la contestation de la créance (Cour de cassation, chambre commerciale du 21/11/2018, n° 17-18978).
Si la contestation est rejetée par le juge-commissaire (avec obligation de motiver le rejet de la contestation dans l’ordonnance), et en présence de contestations, éventuelles, ne concernant que la régularité ou la recevabilité de la déclaration de créance, le juge-commissaire devra se prononcer sur l’admission ou le rejet de la créance.
Si la contestation est jugée sérieuse, le juge-commissaire, ne pouvant statuer qu’en juge de l’évidence (comme le juge des référés) devra alors soit constater son absence de pouvoir juridictionnel, soit son incompétence, il convient donc de bien faire la différence entre ces deux situations.
Si la matière traitée relève de la compétence du tribunal de commerce, le juge-commissaire devra constater son absence de pouvoir juridictionnel. La contestation sérieuse sera alors examinée par une formation de contentieux du tribunal de commerce où siège le juge-commissaire.
Si la contestation ne relève pas de la compétence du tribunal de commerce (tribunal administratif, tribunal des affaires sociales …), le juge-commissaire doit alors se déclarer incompétent.
En cas d’absence de pouvoir juridictionnel, il convient alors de faire application de l’article R. 624-5 qui dispose que :
“Lorsque le juge-commissaire …constate l’existence d’une contestation sérieuse, il renvoie, par une ordonnance motivée, les parties à mieux se pourvoir et invite, selon le cas, le créancier, le débiteur ou le mandataire judiciaire à saisir la juridiction compétente dans un délai d’un mois à compter de la notification ou de la réception de l’avis délivré à cette fin, à peine de forclusion à moins d’appel dans les cas où cette voie de recours est ouverte”.
L’ordonnance rédigée par le juge-commissaire doit donc :
Le juge devra désigner, pour saisir la juridiction compétente, la partie qui, pour voir rejetée (partiellement ou totalement) la déclaration de créance, prétend à une mauvaise exécution ou à la nullité du contrat, car elle a la charge de la preuve. Ce sera donc soit le débiteur, soit le mandataire de justice (ou liquidateur) si la contestation relève de son initiative.
Par contre, si la discussion porte sur l’allocation de dommages et intérêts réclamés par le créancier qui prétend que le débiteur a mal exécuté le contrat, le juge-commissaire devra désigner le créancier auquel il incombera de saisir la juridiction compétente.
S’agissant de l’application de la clause pénale, le juge ne dispose pas du pouvoir juridictionnel, si la contestation sérieuse porte sur sa validité ou son mode de calcul, mais reste compétent pour faire application de l’article 1231-5 du Code civil, à savoir sa minoration, s’il la juge excessive.
Le juge-commissaire qui prononce le sursis à sursis reste donc seul compétent pour admettre ou rejeter la créance et ce au vu du jugement définitif rendu par le tribunal compétent (éventuellement après appel de sa décision), saisi par la personne désignée par le juge-commissaire. Le tribunal saisi n’a compétence qui pour examiner la contestation et ne dispose d’aucun pouvoir pour admettre ou rejeter la créance.
Un exemple d’ordonnance :
Attendu que :
– L’article L. 624-2 du Code de commerce dispose qu’ « au vu des propositions du mandataire judiciaire, le juge-commissaire décide de l’admission ou du rejet des créances ou constate soit qu’une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence. En l’absence de contestation sérieuse, le juge-commissaire a également compétence, dans les limites de la compétence matérielle de la juridiction qui l’a désigné, pour statuer sur tout moyen opposé à la demande d’admission » ;
– De plus, l’article R. 624-5 précise que « lorsque le juge-commissaire se déclare incompétent ou constate l’existence d’une contestation sérieuse, il renvoie, par ordonnance spécialement motivée, les parties à mieux se pourvoir et invite, selon le cas, le créancier, le débiteur ou le mandataire judiciaire à saisir la juridiction compétente dans un délai d’un mois à compter de la notification ou de la réception de l’avis délivré à cette fin, à peine de forclusion à moins d’appel dans les cas où cette voie de recours est ouverte » ;
– LA SARL PLOMBERIE DU LITTORAL a effectué, en date du XX/XX/XXXX une déclaration de créance, auprès du mandataire judiciaire de la procédure de redressement judiciaire de la SAS LES MAISONS DE DEMAIN, pour un montant de 94.000 euros correspondant à des travaux exécutés sur le chantier L’AVANT DERNIERE DEMEURE et correspondant au devis établi en date du XX/XX/XXXX et accepté par la SAS LES MAISONS DE DEMAIN ;
– La SAS LES MAISONS DE DEMAIN conteste la créance déclarée par la SARL PLOMBERIE, faisant valoir que d’une part les travaux ne sont pas intégralement terminés et que d’autre part il existe des malfaçons ;
– Dans son courrier de contestation, le mandataire judiciaire propose de fixer en conséquence la facture à un montant de 45.000 euros ;
– La SAS LES MAISONS DE DEMAIN justifie sa contestation par la production d’un constat d’huissier faisant apparaître que le chantier n’est pas terminé, en particulier en ce qui concerne l’installation des appareils de la salle de bains, et la mise en marche du chauffage central ;
– De plus, la SAS LES MAISONS DE DEMAIN, produit une ordonnance de référé, rendue en date du XX/XX/XXXX par le tribunal de céans, ordonnant une expertise judiciaire, afin de chiffrer les travaux restant à effectuer, ainsi que de constater l’existence de malfaçons et le coût de la mise en conformité suivant le devis
– En présence d’une contestation sérieuse, et le juge-commissaire ne disposant pas du pouvoir juridictionnel de la trancher, il convient de faire application de l’article R. 624-5 et d’inviter la SAS LES MAISONS DE DEMAIN à saisir la juridiction compétente dans le délai d’un mois à compter de la notification de la présente ordonnance ;
– En conséquence, il sera prononcé un sursis à statuer sur l’admission de la créance dans l’attente de la décision qui sera rendue par la juridiction compétente ;
– Au regard de l’article R. 624-5 du Code de commerce à défaut pour la SAS LES MAISONS DE DEMAIN de saisir la juridiction compétente, dans le délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision, la contestation qu’elle a émise sera rejetée car atteinte par la forclusion ;
– Au regard du prononcé d’un sursis à statuer, il convient de réserver les dépens, ainsi que l’application de l’article 700 du Code de procédure civile.
A noter que le juge-commissaire devra surseoir à statuer, la formation du contentieux n’ayant que le pouvoir de trancher la contestation de créance, sans possibilité d’admettre ou de rejeter la créance.
Il en résulte que les parties devront revenir devant le juge-commissaire afin que celui-ci, au regard de la décision du contentieux admette ou rejette la créance déclarée.
Jusqu’à présent, lorsque au regard de la contestation soulevée par le débiteur, le juge-commissaire, après l’avoir jugée sérieuse, se déclare incompétent, à savoir que la matière traitée ne relevait pas de la compétence matérielle du tribunal de commerce, il renvoyait les parties à saisir la juridiction compétente, sans prononcer de sursis à statuer.
Le juge-commissaire était donc dessaisi, il appartenait donc à la juridiction compétente d’admettre ou de rejeter la créance.
A la lecture de l’arrêt de la Cour de cassation il apparait qu’après une décision d’incompétence, le juge-commissaire demeure seul compétent pour admettre ou rejeter la créance et que la juridiction “de renvoi” doit se borner à trancher la contestation dont elle est saisie.
Cette formulation, en associant à tort les régimes de la décision d’incompétence et celle constatant un dépassement de l’office ou du pouvoir juridictionnel, ne semble pas correspondre aux dispositions du Code de commerce.
En effet l’article R. 624-9 précise que l’état des créances est complété par les décisions rendues par la juridiction compétente, lorsque la matière est de la compétence d’une autre juridiction.
Pour le législateur, le tribunal compétent (tribunal administratif, tribunal des affaires sociales…) dispose donc de pouvoir d’admettre ou de rejeter la créance, puisque sa décision est mentionnée sur l’état des créances.
La position de la Cour de cassation semble donc en contradiction avec les textes en vigueur.
Toutefois, si la formulation de l’arrêt semble en contradiction avec les textes en vigueur, elle aurait l’avantage de permettre à la procédure collective d’avoir une parfaite connaissance de la suite donnée à cette contestation et en particulier si la procédure a bien été engagée, par la partie désignée et dans le délai imposé.incompétenceIncompétence