Jean-Claude LEMALLE

Jean-Claude LEMALLE : une expérience de juge-consulaire

Le contenu du contrat :
détermination de la prestation, équilibre contractuel
(article 1162 à 1171 du Code civil applicable à compter du 01/10/2016)

Table des matières

1. – La licéité de l’opération contractuelle

L’article 1162 dispose que le contrat « ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties ».

2. – La détermination de la prestation.

2.1 – Exigences générales

L’article 1163 énonce les conditions que doit satisfaire la prestation, c’est-à-dire l’objet de l’obligation, pour que le contrat soit valable :

La prestation doit être certaine : la chose doit exister, et le service être possible.

La prestation peut être présente ou future : vente d’un immeuble à construire.

La prestation doit être déterminée ou, à tout le moins, déterminable.

2.2 – Détermination du prix.

2.2.1 – Règles spéciales

2.2.1.1 – Contrats-cadres (article 1164 et 1165 du Code civil)

Pour les contrats-cadres, les parties pourront prévoir, que le prix des prestations fournies en exécution des conventions d’application sera fixé unilatéralement par l’une d’entre elles, à charge pour elle d’en motiver le montant en cas de contestation.

En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et le cas échéant la résolution du contrat.

2.2.1.2 – Contrats de prestations de service

Pour les contrats de prestation de service, c’est-à-dire, concrètement, les multiples contrats de mandat et les diverses formes de contrat d’entreprise, l’article 1165 prévoit qu’à défaut d’accord entre les parties avant leur exécution, « le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d’en motiver le montant en cas de contestations ».

Comme en matière de contrats-cadres, le texte ajoute que le juge peut être saisi, en cas d’abus dans la fixation du prix d’une demande en dommages et intérêts, mais également, d’une demande en résolution du contrat.

En autorisant la fixation unilatérale ultérieure du prix par le créancier, l’article 1165 confirme implicitement que les parties à un contrat de mandat ou d’entreprise ne sont pas tenues de s’accorder sur le prix dès l’échange des consentements.

A noter, que contrairement à la jurisprudence, le texte ne prévoit pas la faculté pour le juge de fixer le prix à défaut d’accord entre les parties.

Définition du contrat d’entreprise : Dans le contrat d’entreprise, une personne (l’entrepreneur) s’engage moyennant rémunération à accomplir de manière indépendante un travail, au profit d’une autre (le maître de l’ouvrage), sans la représenter.

2.2.2 – Les règles générales

Il résulte des articles 1164 et 1165 du Code civil, qu’en dehors des contrats-cadres et des contrats de prestations de service, la détermination du prix est une condition de validité du contrat.

2.3 – Qualité indéterminée et disparition de l’indice

2.3.1 – Qualité de la prestation

Lorsque la qualité de la prestation due n’est pas déterminée ou déterminable en vertu du contrat, l’article 1166, impose au débiteur de fournir une prestation de qualité conforme aux « attentes légitimes des parties » au regard « de sa nature, des usages et du montant de la contrepartie ».

2.3.2 – Défaut de l’indice.

En cas d’inexistence, de disparition ou d’inaccessibilité de l’indice prévu au contrat, l’article 1167 prévoit qu’il sera remplacé par « l’indice qui s’en rapproche le plus ».

Les parties gardant la possibilité, d’un commun accord, de prendre en compte un indice différent.

3. – Equilibre contractuel.

3.1 – Indifférence de la lésion

L’article 1168 du Code civil confirme que « dans les contrats synallagmatiques, le défaut d’équivalence des prestations n’est pas une cause de nullité du contrat, à moins que la loi n’en dispose autrement ».

Le simple constat du déséquilibre des prestations, même flagrant, ne suffira toujours pas à remettre en cause la validité du contrat (sauf erreur, dol ou violence).

3.2 – Abandon de la cause et exigence d’une contrepartie

L’article 1169 du Code civil remplace la « cause objective » par la « contrepartie » pour contrôler l’équilibre minimal du contrat, en précisant qu’un « contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire ».

La contrepartie « illusoire » correspond à l’hypothèse où le débiteur s’est trompé sur l’existence même d’une contrepartie pour son engagement (contrat de rente viagère lorsque les revenus du bien aliéné sont supérieurs aux arrérage – convention de gestion lorsque la mission fait double emploi avec le mandat social de gérant).

La contrepartie « dérisoire » correspond à l’hypothèse où la contrepartie est si faible qu’elle peut être considérée comme inexistante (contrat de bail à vil prix).

Il conviendra de distinguer le « prix dérisoire », qui commande la nullité du contrat, et le « prix insuffisant », qui ne met pas en cause la validité du contrat.

3.3 – Protection contre les clauses abusives

3.3.1 – Clause privant de substance l’obligation essentielle (article 1170 du Code civil).

« Toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ».

Un exemple, le fameux arrêt Chronopost (Cour de cassation, chambre commerciale du 22/10/1996, n° 93-18632).

« Attendu, selon l’arrêt infirmatif attaqué, que la société Banchereau a confié, à deux reprises, un pli contenant une soumission à une adjudication à la société Chronopost, venant aux droits de la société SFMI ;

Que ces plis n’ayant pas été livrés le lendemain de leur envoi avant midi, ainsi que la société Chronopost s’y était engagée, la société Banchereau a assigné en réparation de ses préjudices la société Chronopost ;

Que celle-ci a invoqué la clause du contrat limitant l’indemnisation du retard au prix du transport dont elle s’était acquittée ;

Attendu que, pour débouter la société Banchereau de sa demande, l’arrêt retient que, si la société Chronopost n’a pas respecté son obligation de livrer les plis le lendemain du jour de l’expédition avant midi, elle n’a cependant pas commis une faute lourde exclusive de la limitation de responsabilité du contrat ;

Attendu qu’en statuant ainsi alors que, spécialiste du transport rapide garantissant la fiabilité et la célérité de son service, la société Chronopost s’était engagée à livrer les plis de la société Banchereau dans un délai déterminé, et qu’en raison du manquement à cette obligation essentielle la clause limitative de responsabilité du contrat, qui contredisait la portée de l’engagement pris, devait être réputée non écrite, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

3.3.2 – Clauses créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations

3.3.2.1 – Le domaine du contrôle : le contrat d’adhésion (article 1171 du Code civil).

« Dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.

L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation ».

Le contrat d’adhésion est défini à partir de deux critères distincts :

  • la détermination préalable et unilatérale des clauses proposées à l’adhésion du contrat,
  • le caractère non négociable des clauses préalablement et unilatéralement déterminées.

La simple utilisation de formulaires ou contrats types ne saurait justifier, à elle seule, la qualification de contrat d’adhésion.

Le caractère standardisé du contrat ne suffit pas à caractériser le contrat d’adhésion. Encore faut-il que ce contrat type, rédigé ou proposé par l’une des parties ne puisse être négocié.

Il ne suffira donc pas d’apporter la preuve que les clauses du contrat n’ont pas été négociées, il faudra encore convaincre le juge qu’elles ne pouvaient l’être. Pour un contrat d’adhésion au sens strict, contenant des conditions générales (contrat de fourniture d’électricité, d’accès à internet, abonnement autoroutier, assurance), cette condition pourra être considérée comme automatiquement établie.

Il convient enfin de rappeler qu’un contrat d’adhésion, au regard de l’article 1110 du Code civil, est celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables.  

3.3.2.2 – Le contenu du contrôle

L’article 1171 stigmatise la « clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties ». Cette formule est directement inspirée de l’article L. 212-1 du Code de la consommation.

Concernant les conditions d’application de l’article 1171 du Code civil (droit commun) au regard de l’article L. 442-6 du Code de commerce (droit spécial), dans un arrêt du 26/01/2022 (n° 20-16782) la chambre commerciale de la Cour de cassation a précisé que :  » Il ressort des travaux parlementaires de la loi du 20 avril 2018 ratifiant ladite ordonnance, que l’intention du législateur était que l’article 1171 du code civil, qui régit le droit commun des contrats, sanctionne les clauses abusives dans les contrats ne relevant pas des dispositions spéciales des articles L. 442-6 du code de commerce et L. 212-1 du code de la consommation. L’article 1171 du code civil, interprété à la lumière de ces travaux, s’applique donc aux contrats, même conclus entre producteurs, commerçants, industriels ou personnes immatriculées au répertoire des métiers, lorsqu’ils ne relèvent pas de l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 24 avril 2019, applicable en la cause, tels que les contrats de location financière conclus par les établissements de crédit et sociétés de financement, lesquels, pour leurs opérations de banque et leurs opérations connexes définies à l’article L. 311-2 du code monétaire au financier, ne sont pas soumis aux textes du code de commerce relatifs aux pratiques restrictives de concurrence « . 

En l’application de l’article L. 212-1 du Code de la consommation, il a été jugé que constitue un déséquilibre significatif le défaut de réciprocité des droits (clause de résiliation unilatérale au profit du seul professionnel), ou au caractère arbitraire des prérogatives octroyées au professionnel (clause permettant au professionnel de modifier unilatéralement le contenu du contrat), ou encore aux restrictions unilatérales de droits imposées au consommateur (clause élusive de responsabilité). 

L’article 1171 alinéa 2 du Code civil, cantonne le contrôle judiciaire aux stipulations accessoires, en excluant l’examen, non seulement l’objet principal, mais surtout le contrôle de la lésion (prix de la prestation).

3.3.2.3 – Sanction prévue : le réputé non-écrit

L’article 1171 du Code civil prévoit que la clause qui crée un déséquilibre est réputée non écrite.

A la différence de l’article L. 241-1 du Code la consommation, l’article 1171 du Code civil n’offre pas la possibilité pour le juge d’annuler le contrat.

3.3.2.4 – L’articulation des contrôles

Une fois délimité le domaine d’application du nouvel article 1171, il faut encore envisager son articulation avec les autres mécanismes de lutte contre les clauses abusives du droit français :

  • l’article L. 212-1 du Code de la consommation,
  • l’article L. 442-1 du Code de commerce,
3.3.2.4.1 – Articulation avec l’article L. 212-1 du Code de la consommation

L’article 1171 aura vocation à s’appliquer dans :

  • les contrats d’adhésion entre particuliers (contrat Airbnb),
  • les contrats d’adhésion conclus par un professionnel pour les besoins de son activité (contrat de téléphonie mobile, de fourniture d’énergie, d’assurance…).

En revanche, si un contrat d’adhésion, établi par un professionnel, est conclu par un consommateur ou non-professionnel (association), il pourra relever des deux mécanismes, mais dans la pratique ceux-ci auront tout intérêt à favoriser le Code de la consommation, plus avantageux.

3.3.2.4.2 – Articulation avec l’article L. 442-1 I 2° du Code de commerce

Article L. 442-1 I :

« I. – Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l’exécution d’un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services :

1° D’obtenir ou de tenter d’obtenir de l’autre partie un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie ;

2° De soumettre ou de tenter de soumettre l’autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».

L‘article L. 442-1 constituant une règle particulière, en application de l’article 1105 3ième alinéa du Code civil, un professionnel ne pourra agir sur le fondement de l’article 1171 que lorsque la condition d’application de l’article L. 442-1 ne sera pas réunie, c’est-à-dire, lorsque le professionnel ne sera pas un commerçant ou un artisan, mais un professionnel libéral.

DOCUMENTATION

Site « A. Bamdé et J. Bourdoiseau » : droit des contrats.

LEXIS 360 – Encyclopédies/JCL. Civil Code/Art. 1162 à 1171 : objet et cause de l’obligation, cause illicite ou immorale, objet du contrat, contrepartie illusoire ou dérisoire, déséquilibre significatif du contrat.

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