L'action en responsabilité pour insuffisance d'actif

1. – Introduction.
1.1 – Une action en responsabilité spéciale
La première phrase de l’article L. 651-1 précise la nature exacte de cette responsabilité spéciale :
« Lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion ».
Un arrêt du 12/06/2019 donne quelques précisions concernant cette faculté du juge de prononcer ou non une condamnation, en indiquant :
« Et attendu, en second lieu, que l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif diffère d’une action en responsabilité de droit commun en ce que le juge a la faculté, même après avoir retenu l’existence d’une faute de gestion commise par un dirigeant, de ne pas prononcer de condamnation ou de moduler le montant de la condamnation indépendamment du préjudice subi par les créanciers de la société en liquidation judiciaire, ce qui garantit une prise en compte proportionnée des circonstances de chaque espèce ;
Que la limitation, prévue par l’article L. 651-3 du code de commerce, du droit d’agir en responsabilité pour insuffisance d’actif répond au but légitime de laisser au liquidateur, au ministère public, et, dans certains cas et à certaines conditions, aux contrôleurs, le soin de discerner, parmi les dirigeants de la société en liquidation judiciaire, si un ou plusieurs d’entre eux est susceptible d’avoir contribué, par ses fautes de gestion, à l’insuffisance d’actif au point de supporter les graves conséquences d’une décision de poursuite ;
Que l’interdiction faite à M. X…, poursuivi par le liquidateur, d’attraire devant le tribunal M. G…, au motif qu’il serait par ses fautes de gestion entièrement responsable de l’insuffisance d’actif de la société GC Bat, ne constitue pas une atteinte disproportionnée à son droit d’accès à un juge, dès lors qu’il lui était loisible, dans le cadre de sa défense, d’invoquer tous les moyens permettant au juge d’apprécier l’opportunité et le montant d’une condamnation prononcée contre lui ».
1.2 – Règle du non-cumul des responsabilités
De la nature indemnitaire de la responsabilité pour insuffisance d’actif, la jurisprudence en a déduit, en principe, l’impossibilité de la cumuler avec la responsabilité civile fondée sur le droit commun ou sur une disposition particulière au droit des sociétés, s’agissant de faits antérieurs au jugement d’ouverture.
Le cumul a toutefois été admis avec une condamnation pénale pour abus de biens sociaux.
1.3 – La responsabilité pour insuffisance d’actif n’est possible qu’à l’encontre du dirigeant d’un débiteur (personne morale ou personne physique) en liquidation judiciaire
L’article L. 651-2 restreint le domaine de la responsabilité au cas où la liquidation judiciaire d’une personne morale ou physique fait apparaître une insuffisance d’actif. Le texte a été complété pour viser également l’EIRL et l’entrepreneur individuel.
Le texte ne précise pas si liquidation judiciaire doit être en cours lors de l’exercice de l’action, cela nous paraît néanmoins résulter :
- à la fois des règles de procédure applicables (saisine et compétence),
- de la finalité de l’action (sommes à répartir si elle aboutit)
- et de la formule de l’article L. 651-1 selon laquelle ces dispositions sont applicables aux dirigeants d’une personne soumise à une procédure collective.
A noter que, si la clôture de la liquidation judiciaire a été prononcée pour insuffisance d’actif et qu’il apparaît que des actions dans l’intérêt des créanciers n’ont pas été engagées pendant le cours de la procédure, celle-ci peut être reprise (article L. 643-13).
2. – Les personnes visées par la responsabilité pour insuffisance d’actif
2.1. – En premier lieu les dirigeants sociaux des personnes morales de droit privé
La responsabilité pour insuffisance d’actif concerne les personnes morales de droit privé (sociétés, groupement d’intérêt économique, société civile, associations…), à l’exclusion seulement des syndicats de copropriétaires.
En sont exclus les groupements sans personnalité (société en formation, société en participation…)
2.1.1 – Les dirigeants de droit
2.1.1.1 – Personne physique dirigeante
Les textes visent donc les dirigeants de droit titulaires des pouvoirs de décision, à savoir :
- le gérant de société à gérance,
- le président du conseil d’administration et les administrateurs de sociétés anonymes,
- les présidents et membres du directoire des sociétés à directoire,
- ainsi que les directeurs généraux, les directeurs généraux adjoints et les directeurs généraux délégués des sociétés anonymes.
Sont encore dirigeants de droit, les liquidateurs amiables, les administrateurs provisoires.
Cette responsabilité n’est donc pas applicable aux associés n’ayant pas la qualité de dirigeant, sauf démonstration de leurs qualités de dirigeants de fait.
Le dirigeant de complaisance (prête-nom, homme de paille) n’échappe pas à sa responsabilité sous prétexte qu’il n’assurait pas lui-même la gestion effective de la société, celle-ci étant assurée par un dirigeant de fait.
De même, le fait d’être dirigeant bénévole ou d’avoir délégué ses pouvoirs ne l’exonère pas de sa responsabilité.
En revanche, les membres du conseil de surveillance ne disposant pas de pouvoir de gestion ne sont pas visés par les textes, sauf s’il est démontré leur qualité de dirigeant de fait.
Notons enfin qu’il s’agit de personnes désignées pour gérer la personne morale, et non de simples exécutants salariés (directeurs techniques ou financiers salariés), sauf, le cas échéant, leur qualité de dirigeant de fait.
2.1.1.2 – Personne morale dirigeante.
Lorsque c’est une personne morale qui est dirigeante, l’article L. 651-1 précise que la responsabilité pour insuffisance d’actif s’applique aux personnes physiques représentantes permanentes de la personne morale dirigeante.
Le représentant permanent, en cas de condamnation à combler le passif, peut être tenu solidairement avec la personne morale.
Il n’est pas possible en revanche de condamner le dirigeant social de la personne morale dirigeante, s’il n’a pas la qualité de représentant permanent de celle-ci, sauf si celui-ci a agi en qualité de dirigeant de fait.
La particularité concernant la société par actions simplifiée.
Dans les sociétés par actions simplifiées, comme pour les autres sociétés, le dirigeant peut être une personne morale, mais l’article L. 227-7 ne prévoit pas, pour ce type de société, la désignation d’un représentant permanent, de ce fait l’article précise que :
« Les dirigeants de ladite personne morale sont soumis aux mêmes conditions et obligations et encourent les mêmes responsabilités civiles et pénales que s’ils étaient présidents ou dirigeants en leur nom propre, sans préjudice de la responsabilité solidaire de la personne morale qu’ils dirigent ».
La Cour de cassation en tire la conséquence que les dirigeants de la personne morale désignée comme dirigeants peuvent être condamnés à combler l’insuffisance d’actif.
2.1.1.3 – Dirigeant retiré
Le dirigeant peut être condamné, même s’il n’est plus en fonction au jour du jugement d’ouverture.
Il faut, pour le condamner au comblement de l’insuffisance d’actif, qu’il puisse être démontré une faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif existante au jour de sa démission (Cour de cassation, chambre commerciale du 24/03/2021, n° 20-10677).
Au regard de cette jurisprudence confirmée, discutable, un dirigeant retiré ne pourrait donc être condamné au comblement de l’insuffisance d’actif que si au moment où il a commis les fautes, il existait déjà une insuffisance d’actif. Autrement dit, le dirigeant retiré qui a commis des fautes de gestion ne peut être sanctionné que s’il a aggravé l’insuffisance d’actif.
Son retrait sera sans effet si le dirigeant a continué à être dirigeant de fait.
En revanche, il importera peu que son retrait n’ait pas fait l’objet de publicité légale, dès lors que sa démission est incontestable, car l’inopposabilité de la cessation des fonctions non publiée ne concerne que les engagements de la société envers les tiers (Cour de cassation du 16/06/2021, n° 20-15399).
2.1.2 – Le dirigeant de fait d’une personne morale
Les textes sanctionnent également le dirigeant de fait de la personne morale.
La Cour de cassation qualifie comme gérant de fait celui qui accomplit en toute indépendance une activité positive de gestion et direction de la société débitrice (Cour de cassation, chambre commerciale du 09/06/2022, n° 19-24026).
Il appartient au demandeur (le liquidateur ou le ministère public) à l’action de prouver cette direction de fait.
Ainsi dans un arrêt du 08/03/2017, la Cour de cassation a cassé un arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux, à défaut de démonstration que la personne désignée en qualité de gérant de fait avait agi d’une part en toute indépendance et d’autre part n’a pas relevé d’autre faits de nature à caractériser une immixtion dans la gestion de la société :
« Attendu que pour accueillir la demande, l’arrêt retient que M. [U], titulaire de la signature en banque auprès de la Banque populaire du Sud-Ouest, a signé pendant plusieurs années de nombreux chèques avec l’accord implicite de M. [G], le gérant de droit et que l’usage de la signature en banque par une personne physique, en dehors de tout mandat social, constitue un acte de gestion positif propre à caractériser une gestion de fait ;
Qu’en se déterminant ainsi, sans relever que M. [U] avait agi en toute indépendance ni d’autres faits précis de nature à caractériser une immixtion de M. [U] dans la gestion de la société, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».
Il appartiendra au juge fond de déterminer si la personne qualifiée de gérant de fait est bien intervenue activement dans la direction, et ce d’une part de manière indépendante et d’autre part en se substituant aux dirigeants de droit dans la prise de décision.
Quelques indices concernant la qualification de direction de fait :
- pouvoir de signature des comptes bancaires sociaux et d’engagement des finances de la personne morale (il ne doit pas s’agir d’une simple délégation de signature, mais d’une utilisation en toute indépendance),
- actes de direction de personnel (sauf fonction de directeur du personnel),
- actes de direction commerciale (sauf fonction de directeur commercial),
- accomplissements de divers actes de gestion (signature du bail commercial, mise du fonds de commerce en location-gérance…),
- de se comporter en interlocuteur unique des associés et se présenter aux tiers comme dirigeant.
A noter que l’aveu dans le cadre d’une instance ne peut cependant être suffisant, la direction de fait étant une question de droit, et non de faits, sur laquelle ne peut porter l’aveu. L’aveu ne pourra donc être pris en compte que comme élément s’ajoutant à la démonstration d’actes positifs de gestion.
Voir en annexe un arrêt de Cour d’appel concernant la qualification de gérant de fait.
2.2 – Mais également l’entrepreneur individuel
2.2.1 – L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (article L. 651-2 alinéa 2)
L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée dispose au minimum de deux patrimoines, dont l’un constitue son activité économique.
En sa qualité de dirigeant de la partie professionnelle, il peut être condamné à contribuer à l’insuffisance d’actif de son patrimoine affecté à son activité économique, avec son patrimoine non affecté (patrimoine personnel).
Il appartient donc au demandeur à la responsabilité pour insuffisance d’actif de démontrer des fautes de gestion dans le patrimoine affecté à l’activité économique.
2.2.2 – Entrepreneur individuel (article L. 651-2 alinéa 3
« Lorsque la liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à l’égard d’un entrepreneur individuel relevant du statut défini à la section 3 du chapitre VI du titre II du livre V du présent code (statut de l’entrepreneur individuel), le tribunal peut également, dans les mêmes conditions, condamner cet entrepreneur à payer tout ou partie de l’insuffisance d’actif. La somme mise à sa charge s’impute sur son patrimoine personnel ».
L’application parait difficile dans l’hypothèse ou le tribunal a ouvert une procédure englobant le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel.
3. – La procédure
3.1 – Le demandeur à l’action
Selon l’article L. 651-3 du Code de commerce, l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif peut être exercée par le liquidateur (qui agit en qualité d’organe de la procédure collective) ou par le ministère public (qui agit en partie principale).
Ce même article précise que le tribunal peut également être saisi par la majorité des créanciers nommés contrôleurs lorsque le liquidateur n’a pas engagé une action en responsabilité, après une mise en demeure restée sans réponse.
Pour que les contrôleurs puissent exercer l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif, à l’encontre du dirigeant, l’article R. 651-4 impose donc que :
- d’une part, la mise en demeure soit délivrée par au moins deux créanciers contrôleurs,
- et que d’autre part l’action n’est recevable que si la mise en demeure adressée au mandataire par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, est restée infructueuse pendant deux mois à compter de sa réception.
Il découle de la formalisation de cet article que l’action est impossible lorsqu’un seul contrôleur a été désigné.
De même, le dirigeant assigné n’est pas recevable à appeler à la procédure un précédent dirigeant pour qu’il le relève et garantisse de sa condamnation à intervenir, l’initiative de l’action ne lui étant pas ouverte (Cour de cassation du 12/06/2019, n°17-23176)
Le tribunal doit relever d’office, pour défaut de qualité à agir, l’irrecevabilité d’une demande faite par un demandeur ne remplissant pas les conditions des articles L. 651-3 et R. 651-4. Par exemple, une demande faite par un associé ou un autre dirigeant,
A noter que l’article L. 651-3 précise que « les dépens et frais irrépétibles auxquels a été condamné le dirigeant ou l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée sont payés par priorité sur les sommes versées pour combler le passif ».
3.2 – Action directe contre l’assureur du dirigeant
Le liquidateur peut agir directement contre l’assureur du dirigeant en l’appelant à la cause, à condition que la garantie des conséquences de la responsabilité pour insuffisance d’actif des dirigeants ne soit pas exclue du contrat (Cour de cassation du 10/03/2021, n° 19-12825).
La Cour de cassation précise que le liquidateur agit en qualité d’organe de la procédure collective et en représentation de l’intérêt collectif des créanciers aux fins de réparation de leur préjudice et non pour le compte des sociétés en liquidation judiciaire.
3.3. – Le tribunal compétent
L’article R. 651-1 précise que c’est le tribunal qui a ouvert ou prononcé la procédure de liquidation judiciaire de la personne morale débitrice, qui est compétent.
La règle est logique puisque la responsabilité est indissociable de la procédure collective et que c’est dans le dossier de la procédure collective que seront puisés les éléments nécessaires pour apprécier la faute et la responsabilité du dirigeant, dont il importe peu qu’il soit par exemple domicilié à l’étranger (Cour de cassation du 05/05/2004, n° 01-02041).
Sur le plan de la compétence territoriale, le domicile du dirigeant est indifférent.
3.4 – Le mode de saisine du tribunal
Selon l’article R. 651-2, le tribunal est saisi :
- par voie d’assignation si la demande est faite par le liquidateur judiciaire ou les contrôleurs,
- ou si la demande émane du ministère public, par requête motivée, le président faisant ensuite convoquer par le greffe le dirigeant par LRAR, à laquelle est jointe la requête (application de l’article R. 631-4).
L’assignation doit être délivrée à la personne du dirigeant poursuivi, l’huissier devant vérifier la réalité de son domicile.
Cependant, comme en matière de faillite personnelle ou d’interdiction de gérer, l’intéressé ne pourra se plaindre de l’absence de délivrance de l’assignation à sa personne, s’il n’a pas pris la précaution de faire mentionner son changement d’adresse au RCS (Cour de cassation du 05/12/2018, n° 17-22785).
Voir également l’arrêt du 14/12/2022 (n° 21-21555), sur la justification des recherches effectuées par l’huissier.
3.5 – La prescription de l’action
L’article L. 651-2 dernier alinéa précise que l’action en responsabilité, pour insuffisance d’actif, est prescrite par 3 ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire, que ce soit lors de l’ouverture ou de la conversion.
Le délai court à compter du jugement, peu importe donc que le jugement soit frappé d’appel.
Ce délai court sans considération de la date de l’exécution des fautes reprochées (Cour de cassation du 08/04/2015, n° 13-28512).
Il s’agit ici d’un délai de prescription et non de procédure, il en résulte que l’article 642 du Code de procédure civile est inapplicable, de sorte qu’il ne peut être prorogé jusqu’au premier jour ouvrable suivant le samedi, le dimanche, le jour férié ou chômé qui serait le dernier jour du délai de l’action (Cour de cassation du 10/01/2006, n° 04-10482).
Si la demande de condamnation à l’insuffisance d’actif émane du ministère public, le dépôt de la requête en sanction est interruptif de prescription.
Cette prescription, étant une fin de non-recevoir, le juge ne peut donc pas la soulever d’office (Cour de cassation, chambre commerciale du 30/01/2007, n° 05-17466).
L’absence de solidarité de plein droit entre les dirigeants emporte comme conséquence que l’action engagée dans le délai légal contre l’un d’entre eux n’interrompt pas la prescription à l’égard des autres (Cour de cassation, chambre commerciale du 07/11/2006, n° 05-16693).
Si une décision accueille une fin de non-recevoir, l’assignation initiale ne produit plus son effet interruptif de prescription. Si la seconde assignation est délivrée en dehors du délai de trois ans, la prescription sera acquise.
3.6 – Acte préparatoire : désignation d’un juge commis (juge-commissaire ou un autre membre de la juridiction)
Afin de s’assurer que le dirigeant est solvable, et d’agir au mieux des intérêts des créanciers, l’article L. 651-4 permet au président du tribunal, à la demande du liquidateur judiciaire, du ministère public, d’un contrôleur, ou même d’office, de charger le juge-commissaire ou un autre membre de la juridiction qu’il désigne d’obtenir des informations sur le patrimoine du dirigeant et ses revenus.
Cette mesure a pour but de prévenir l’organisation de son insolvabilité par le dirigeant et non de rechercher ou confirmer les fautes de gestion.
Ce juge désigné peut se faire assister de toute personne de son choix (article R. 651-5). Il peut obtenir communication de tout document auprès des administrateurs et organismes publics, organismes de prévoyance et de sécurité sociale, des établissements financiers (article L. 651-4).
L’article L. 145 C du Livre des procédures fiscales permet au juge d’obtenir de l’administration fiscale communication de tout document ou information sur la situation patrimoniale des dirigeants.
Le juge établit un rapport qui permettra d’apprécier l’opportunité de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif.
Il ne faut pas confondre ce rapport avec le rapport que le juge-commissaire doit établir, comme pour toute décision, en application de l’article R. 662-12.
Le rapport est déposé au greffe et communiqué par le greffier au ministère public.
Le tribunal devra statuer sur le rapport du juge désigné après avoir entendu ou dûment appelé les contrôleurs (article R. 651-5 alinéa 2)
Au moins un mois avant la date de l’audience, le greffier communique ce rapport aux dirigeants ou à l’entrepreneur.
3.7 – Possibilité d’ordonner des mesures conservatoires
Le deuxième alinéa de l’article L. 651-4 dispose que le président du tribunal peut ordonner toute mesure conservatoire à l’égard des biens des dirigeants mis en cause.
Ces mesures devant être antérieures à la condamnation.
3.8 – L’audition des parties
Les dirigeants doivent être convoqués individuellement, mais peuvent être entendus collectivement.
L’alinéa 2 de l’article L. 662-3 dispose qu’en matière de sanctions et responsabilités, des entreprises en difficulté, les débats ont lieu en audience publique. Le président du tribunal peut décider qu’ils auront lieu en chambre du conseil si l’une des personnes mise en cause le demande avant leur ouverture.
La demande est faite avant l’ouverture des débats est consignée par le greffier.
La décision rendue par le président est une mesure d’administration judiciaire non susceptible de recours.
Le tribunal statue du rapport du juge-commissaire (article R. 662-12).
Si le ministère public est demandeur, c’est le dirigeant qui aura la parole en dernier.
3.8.1 – Délai de convocation du dirigeant dans l’hypothèse ou le président à désigner un juge chargé d’établir un rapport sur la situation patrimoniale de ce même dirigeant
Le greffier doit communiquer le rapport du juge désigné, au dirigeant ou à l’entrepreneur mis en cause, par lettre recommandée avec avis de réception, au moins 1 mois avant la date d’audience devant statuer sur les responsabilités (1ier alinéa de l’article R. 651-5).
Il est donc impératif de contrôler que l’assignation ou la convocation par LRAR respecte ce délai.
A noter que le deuxième alinéa de ce même article dispose que « le tribunal statue sur le rapport du juge désigné, après avoir entendu ou dûment appelé les contrôleurs ».
3.8.2 – Délai de convocation du dirigeant en l’absence de désignation d’un juge chargé d’établir un rapport sur la situation patrimoniale de ce même dirigeant
Concernant l’assignation, les dispositions du Code de procédure civile sont applicables :
- l’article 856« L’assignation doit être délivrée quinze jours au moins avant la date de l’audience »
- et l’article 857: « L’enrôlement doit être effectué huit jours au moins avant la date de l’audience ».
3.9 – Exécution provisoire de la décision prononçant la responsabilité pour insuffisance d’actif
Par exception aux autres décisions rendues en matière de procédure collective, les jugements concernant la responsabilité pour insuffisance d’actif ne sont pas exécutables de plein droit (article R. 661-1 alinéa 2).
Le juge a toutefois la possibilité de prononcer l’exécution provisoire, en motivant sa décision.
4. – Les conditions de fond de la responsabilité pour insuffisance d’actif : la faute de gestion et l’existence d’une insuffisance d’actif
Le demandeur à l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif doit démontrer :
- la faute de gestion du dirigeant,
- l’existence d’une insuffisance d’actif,
- la contribution, en tout ou partie, de la faute de gestion à l’insuffisance d’actif.
4.1 – La faute de gestion.
On pourrait retenir comme définition de la faute, comme étant l’existence d’un acte qui n’aurait pas dû être accompli par un dirigeant normalement diligent et éclairé.
En examinant la jurisprudence, il apparaît que ce n’est pas l’erreur en elle-même qui est sanctionnée, mais plutôt l’obstination dans cette erreur. Une faute de gestion devient répréhensible non en raison de l’erreur initiale, mais en fonction du comportement du dirigeant qui ne corrige pas son attitude après avoir commis l’erreur.
L’imputabilité de la faute de gestion au dirigeant suppose que ce dernier ait été chargé de la gestion, comme dirigeant de droit ou de fait, au moment où la faute alléguée a été commise
A contrario, dès lors qu’aucune faute de gestion n’est démontrée, la seule importance de l’insuffisance d’actif de la personne morale débitrice sera insuffisante à entraîner la condamnation (Cour de cassation du 19/01/1993, n° 91-12365).
Quelques exemples de fautes de gestion à l’examen de la jurisprudence :
- usage des biens ou du crédit de la personne morale contrairement à l’intérêt de celles-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre entreprise dans lequel le dirigeant est intéressé,
- un manquement pur et simple du dirigeant à ses obligations légales (non-déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal, défaut de tenue de comptabilité, défaut des déclarations fiscales et sociales…),
- la poursuite d’une activité déficitaire irrémédiablement compromise empêchant tout redressement, mais pour autant que cette poursuite contribue à l’aggravation de l’insuffisance d’actif,
- le paiement préférentiel des comptes courants d’associés et ceci même en présence de soldes bancaires créditeurs,
- le fait de piller la trésorerie au bénéfice de la société mère
- fautes de gestion traduisant une incompétence manifeste en matière de gestion (mauvaise gestion des stocks, absence de recouvrement des débiteurs de l’entreprise…),
- absence de décision (abstention, passivité…),
- omission de déclaration de l’état de cessation des paiements (voir remarque chapitre 4.1.2).
Relevons qu’un dirigeant de droit qui laisse agir un dirigeant de fait commet une faute (Cour de cassation du 01/07/2020, n° 18-24804).
Le dirigeant ne saurait s’exonérer de sa faute en invoquant :
- la délégation de pouvoir qu’il a consenti à un adjoint,
- le souci de préserver l’emploi.
4.1.1- La faute de gestion qualifiée de simple négligence n’est pas sanctionnable
L’article L. 651-2 précise qu’en cas de simple négligence, la responsabilité du dirigeant ne pourra être engagée.
Au regard de l’arrêt de la Cour de cassation du 17/06/2020 (n° 18-18321), il semble que le demandeur à l’action doit établir que la faute de gestion est caractérisée, et qu’elle n’est pas une simple négligence.
Un exemple pour lequel la simple négligence a été retenue : le seul fait d’une comptabilité tenue irrégulièrement.
4.1.2 – La faute de gestion doit être antérieure à l’ouverture de la procédure collective
La faute doit avoir été commise avant l’ouverture de la procédure (Cour de cassation, chambre commerciale du 29/11/2016, n° 15-10466).
Les faits postérieurs au jugement sont passibles de poursuites sur le fondement des textes de droit commun, qu’il s’agisse de l’article 1240 du Code civil, ou des articles L. 223-32 ou L. 225-251 du Code de commerce.
4.1.2.1 – Fautes commises par le dirigeant pendant la période d’observation, avant la conversion en liquidation judiciaire
Le tribunal qui prononce la liquidation judiciaire au cours ou à l’issue de la période d’observation, n’ouvre pas une nouvelle procédure collective, il convertit une procédure collective déjà existante (Cour de cassation du 08/03/2023, n° 21-24650).
Il en résulte que les éventuelles fautes de gestion commises par le dirigeant pendant la période d’observation ne peuvent être prises en considération, car elles sont postérieures à l’ouverture de la procédure collective.
4.1.2.2 – En cas de résolution du plan de continuation
Les fautes de gestion commises pendant la période d’observation de la première procédure ayant abouti à un plan de continuation et qui se sont éventuellement poursuivies après l’adoption du plan peuvent être retenues au titre d’une action en insuffisance d’actif, dans le cadre de la liquidation judiciaire, faisant suite à la résolution du plan. La liquidation judiciaire ouverte après la résolution du plan constitue une nouvelle procédure collective (Cour de cassation du 19/02/2008, n° 06-21542).
L’arrêté du plan de redressement ne doit pas constituer un mécanisme de purge des fautes, puisqu’il est interdit d’agir en responsabilité pour insuffisance d’actif avant sa résolution.
Dans l’hypothèse où la période d’observation aurait été gérée par un administrateur judiciaire, aucune faute ne pourrait être retenue à l’encontre du dirigeant pendant cette période.
4.1.3. – Une première observation concernant l’absence de déclaration de l’état de cessation des paiements dans les 45 jours
La faute couramment retenue, pour justifier la responsabilité du dirigeant dans l’insuffisance d’actif, est l’absence de déclaration de cessation des paiements dans le délai prévu par l’article L. 631-4, à savoir dans les 45 jours qui suivent la cessation des paiements, si la société n’a pas dans ce délai, demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation.
Dans un arrêt du 04/11/2014, n° 13-23070, la Cour de cassation énonce que la date de cessation des paiements à retenir pour constater la faute d’un retard est obligatoirement celle retenue par le jugement d’ouverture ou le jugement de report (voir également l’arrêt de la Cour de cassation du 04/07/2018, n° 14-20117).
Même, si, dans le jugement d’ouverture il est mentionné qu’il s’agit d’une date provisoire, c’est celle-ci qu’il convient de prendre en compte, à défaut d’un jugement de report.
Ainsi, même s’il est démontré que la date de cessation est antérieure à la date de cessation des paiements retenue par le tribunal, la faute de gestion ne pourra être retenue au regard d’une date antérieure à celle fixée par jugement.
Il est donc important à l’ouverture de la procédure collective de préciser une date exacte de cessation des paiements, au regard des éléments dont dispose le tribunal et en interrogeant le débiteur.
De plus, le liquidateur devra démontrer :
- en application de l’article L. 653-8, que c’est sciemment que le dirigeant a omis de demander l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans les délais,
- et que le retard à déclarer l’état de cessation des paiements est en relation avec l’augmentation de l’insuffisance d’actif, en effectuant une comparaison, entre les dettes au jour de l’état de cessation des paiements et celles au jour de l’ouverture de la procédure.
4.1.4 – Une deuxième observation concernant l’inobservation d’obligations légales, notamment fiscales et sociales.
Pour que l’inobservation des obligations fiscales et sociales soit sanctionnée comme insuffisance d’actif, il faut prouver qu’elle a contribué à cette insuffisance.
Il convient alors de démontrer que ces inobservations ont entraîné des taxations d’office, des pénalités de retard ou des vérifications fiscales ou sociales entraînant des redressements avec des pénalités.
Certaines jurisprudences précises que le non-paiement du social et du fiscal a permis au débiteur, de dégager une disponibilité de trésorerie, permettant de maintenir une activité déficitaire, dont la conséquence est l’aggravation de l’insuffisance d’actif.
4.1.5 – Une troisième observation : impossibilité de retenir la faute consistant dans le défaut de coopération avec les organismes de la procédure collective
Le défaut de coopération avec les organismes de la procédure collective est une faute qui nécessairement a été commise postérieurement à l’ouverture de la procédure collective, il s’agit donc d’une faute qui ne peut être retenue, la faute de gestion pour être sanctionnable comme nous l’avons indiqué précédemment doit avoir été commise antérieurement à l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire (Cour de cassation du 23/05/2024, n° 23-10038).
4.1.6 – La preuve de la faute
4.1.6.1 – La charge de la preuve
Il appartient au demandeur d’apporter la preuve des fautes invoquées ayant eu pour conséquence la création d’une insuffisance d’actif.
Les juges du fond ont donc l’obligation de motiver sa décision en précisant d’une part la nature des fautes commises, qui ne peuvent être de simple négligence, et d’autre part, démontrer que celles-ci ont contribué à la création d’une insuffisance d’actif.
4.1.6.2 – Les moyens de preuve : l’expertise
Comme pour tout litige, rien n’interdit au demandeur de faire préciser sa demande en sollicitant du tribunal qu’il désigne un expert aux fins d’apporter des éléments objectifs.
4.2 – L’insuffisance d’actif
Le préjudice permettant l’ouverture de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif est constitué par l’insuffisance d’actif, le liquidateur (ou le ministère public) qui engage l’action a donc l’obligation d’en déterminer le montant auquel le dirigeant doit contribuer, pour partie ou en totalité.
L’insuffisance d’actif est égale au passif admis (correspondant à des créances antérieures à l’ouverture de la procédure collective), auquel il convient de déduire l’actif réalisé. L’insuffisance d’actif ne se confond pas avec la cessation des paiements (Cour de cassation du 24/05/2018, n° 17-10.117).
Une jurisprudence constante décide que l’action est recevable même si les opérations de vérification du passif ne sont pas terminées, dès lors qu’il apparaît que l’actif réalisé sera insuffisant pour payer les créances acceptées et qu’il est donc démontré une insuffisance d’actif certaine.
Le tribunal, dans son jugement, devra en préciser le montant avant de fixer le montant de la condamnation du dirigeant, qui ne pourra dépasser à cette somme.
4.2.1 – La détermination de l’insuffisance d’actif en cas de dispense de vérification des créances chirographaires
Rappelons que l’article L. 641-4 dispose que :
« Il n’est pas procédé à la vérification des créances chirographaires s’il apparaît que le produit de la réalisation de l’actif sera entièrement absorbé par les frais de justice et les créances privilégiées, à moins qu’il n’y ait lieu de mettre à la charge des dirigeants sociaux de droit ou de fait ou de cet entrepreneur individuel tout ou partie du passif conformément à l’article L. 651-2 »
Il est de jurisprudence constante que l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif peut être diligentée, même si le liquidateur a été dispensé de vérifier les créances chirographaires, il est alors indispensable de démontrer que les créances privilégiées certaines, sont supérieures aux réalisations des actifs, pour constater l’existence précise d’une insuffisance d’actif (Cour de cassation du 05/11/2013, n° 12-22510).
Rappelons que, concernant la dispense de vérification, le juge pourra modifier sa décision, qui n’a pas un caractère juridictionnel (Cour de cassation, chambre commerciale du 17/09/2013, n° 12-30158) au vu d’une requête formule par le liquidateur (Cour de cassation, chambre commerciale du 05/11/2013, n° 12-22510).
4.2.2 – Le cas du dirigeant ayant cessé ses fonctions avant l’ouverture de la procédure collective
Si le dirigeant a cessé ses fonctions avant l’ouverture de la procédure collective, il convient de déterminer le montant de l’insuffisance d’actif au jour de son départ et de démontrer que la faute de gestion a contribué à cette insuffisance d’actif (Cour de cassation du 24/03/2021, n° 20-10677).
4.3 – La contribution de la faute à l’insuffisance d’actif
Pour emporter la responsabilité du dirigeant, il convient de démontrer que sa faute a contribué à l’insuffisance d’actif.
L’article L. 651-2 précise qu’il convient simplement de démontrer que la faute à « contribuer » à l’insuffisance d’actif, sans que le tribunal soit dans l’obligation de déterminer la part de l’insuffisance d’actif imputable à la faute de gestion.
Cour de cassation, chambre commerciale du 25/03/2020, n° 18-21841.
« Mais attendu que le dirigeant d’une personne morale pouvant être condamné à supporter tout ou partie de l’insuffisance d’actif dès lors que la faute de gestion qu’il a commise a contribué à cette insuffisance, sans qu’il y ait lieu de déterminer la part de celle-ci imputable à sa faute, le moyen, qui critique un motif surabondant, est inopérant ».
Il n’est donc pas besoin que la faute soit à l’origine exclusive du dommage.
Cour de cassation du 14/06/2017, n° 16-11513
« Et attendu, enfin, que le dirigeant d’une personne morale peut être déclaré responsable, sur le fondement de l’article L. 651-2 du code de commerce, même si la faute de gestion qu’il a commise n’est que l’une des causes de l’insuffisance d’actif, et peut être condamné à supporter la totalité ou une partie des dettes sociales, même si sa faute n’est à l’origine que d’une partie d’entre elles ».
4.4 – Conséquences du rejet, par la Cour de cassation, d’une des fautes retenues par le tribunal pour justifier la responsabilité du dirigeant dans l’insuffisance d’actif.
Si la motivation de l’une des fautes n’est pas suffisante, la pratique de la chambre commerciale de la Cour de cassation est de casser l’arrêt pour le tout, y compris si les autres fautes sont suffisamment démontrées (Cour de cassation, chambre commerciale du 15/12/2009, n° 08-21906)
5. – Montant de la condamnation
Une fois l’insuffisance d’actif caractérisée, les juges ont toute liberté pour fixer le montant de la condamnation, dans la limite du montant de l’insuffisance d’actif (et du montant réclamé par le liquidateur ou le ministère public).
Les juges pourront prendre en compte, pour minorer le montant de la condamnation, les efforts du dirigeant, après ses fautes de gestion, pour rétablir la situation.
Les juges pourront également tenir compte de la situation financière du dirigeant.
La faute de gestion pouvant n’être que très partiellement la cause du dommage, il est logique de décider que la condamnation peut n’être que partielle.
5.1 – Condamnation d’un ou plusieurs dirigeants avec ou sans solidarité.
L’article L. 651-2 précise que « en cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables ».
En cas de pluralité de dirigeants, le juge peut répartir entre les différents dirigeants la charge de l’insuffisance d’actif, mais sans aucune obligation.
S’il condamne les dirigeants solidairement, il doit spécialement motiver sa décision.
Cour de cassation du 09/05/2018, n° 16-26684
« Mais attendu, en premier lieu, que l’arrêt qui retient que les dirigeants ont commis des fautes de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif, apprécie souverainement, dans la limite de cette insuffisance, le montant de la condamnation, sans que la Cour de cassation contrôle le caractère proportionné de ce montant ;
Qu’ayant retenu à la charge de M. et Mme Y… des fautes de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif, la cour d’appel n’a fait qu’user des pouvoirs qu’elle tient de l’article L. 651-2 du code de commerce, en condamnant les deux dirigeants à 70 % de l’insuffisance d’actif ;
Et attendu, en second lieu, qu’ayant relevé qu’à l’exception de la tardiveté de la déclaration de cessation des paiements, qui n’était intervenue que vingt-huit jours après la démission de Mme Y…, les deux époux avaient ensemble commis les fautes de gestion retenues, l’arrêt retient qu’il n’y a pas lieu d’opérer entre eux une distinction, quant à leur responsabilité ;
Que par ces constatations et appréciations, la cour d’appel, sans méconnaître son office, a légalement justifié sa décision ».
5.2 – Délais de paiement accordé au dirigeant condamné
Rien dans les textes n’interdit au tribunal d’octroyer au dirigeant condamné des délais de paiement, sur le fondement de l’article 1244-1 du Code civil.
6. – La transaction.
Dans un arrêt du 07/03/2017 (n° 15-16005), la Cour de cassation retient qu’une transaction peut intervenir entre l’assignation et la condamnation. Elle reste impossible lorsque la condamnation a été prononcée, y compris lorsqu’elle n’a pas acquis son caractère définitif à la date de la signature du protocole.
Il conviendra alors de faire application des articles L. 642-24 et R. 642-41.
7- Annexes
7-1 – Extrait d’un arrêt de la Cour d’appel de RIOM du 17/06/2015, concernant une qualification de gérance de fait.
« En l’espèce, dès 1998, M. Antonio Z… qui avait fait l’objet d’une précédente liquidation judiciaire, a dirigé de fait la société RL CONSTRUCTION.
Son épouse, alors gérante de droit jusqu’à la cession de ses actions à M. X… en décembre 2007, lui avait en effet donné tous pouvoirs, pour tout ce qui concerne la société (administratif, financier, clientèle et gestion du personnel) avec procuration sur les comptes bancaires.
Il résulte des témoignages du comptable de la société, d’un fournisseur, de M. X…, des dires mêmes de M. Z…, d’un courrier de la banque CIC du 1er février 2011 auprès de laquelle il a gardé mandat pour le fonctionnement du compte professionnel, que cette gestion de fait a perduré du temps de M. X…, lequel était associé minoritaire, n’avait pas de compétence technique en matière de construction.
Monsieur Z…, doté d’une forte personnalité, n’avait en pratique aucun lien de subordination avec le gérant de droit qui se trouvait sous son emprise totale, jusqu’à ce que finalement M. X…, décide de démissionner de ses fonctions de dirigeant.
Il est également établi au vu des divers éléments du dossier que M. Z… était également l’interlocuteur privilégié auprès des salariés, des clients, des banques, des assurances.
Durant les trois derniers mois d’activité de la société RL CONSTRUCTION, M. Y…, désigné lors de l’assemblée générale du 1er septembre 2010 comme nouveau gérant par les voix majoritaires de M. Z… avec lequel il travaillait depuis des années, a manifestement servi « d’homme de paille ».
- Z… qui conteste la qualité de gérant de fait au motif que le tribunal s’est fondé sur des témoignages de personnes avec lesquelles il était en litige, ne donne toutefois pas d’explications satisfaisantes ».
Arrêt de la Cour de cassation du 20/04/2017, n° 15-23600, concernant ce litige
« Mais attendu que l’arrêt relève, par motifs propres et adoptés :
- Que M. Z… avait procuration sur les comptes bancaires de la société de 1998 à décembre 2010 ;
- Qu’il n’avait aucun lien de subordination avec le gérant de droit qui se trouvait sous son emprise totale ;
- Qu’il signait la plupart des marchés et les commandes ;
- Qu’il était l’interlocuteur privilégié des salariés, des clients, des banques et des assurances ;
- Et que le site internet de la société indiquait son nom et son numéro de téléphone ;
Qu’en déduisant de ces constatations et appréciations que M. Z… avait été le dirigeant de fait de la société, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ;
Que le moyen n’est pas fondé ».
7-2 – Arrêt de la Cour de cassation du 09/06/2022, n° 19-2406 : qui casse l’arrêt de la Cour d’appel pour n’avoir pas précisé que le gérant qualifié de fait avait agi en toute indépendance (voir également l’arrêt du 09/06/2022 n° 21-13588)
« Pour retenir la responsabilité de M. [V] en qualité de gérant de fait de la société Conseil et stratégie, l’arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que celui-ci a signé le 1er janvier 2005, au nom de cette société et avec les pleins pouvoirs du gérant d’alors, une convention de trésorerie avec la société mère, et qu’il a également signé un contrat de location gérance au nom de la société.
Il relève encore que lui étaient accordés des avantages en nature réservés ordinairement aux dirigeants, à savoir la mise à disposition à titre gratuit d’un logement de fonction représentant 45 % de sa rémunération, ainsi que des avances sur salaires importantes, très au-delà de ce qui est admis par la loi, et qu’il n’avait pas contesté l’absence de prise en charge par l’AGS du paiement de ses indemnités de licenciement.
Soulignant qu’il avait représenté la société aux audiences de contestations de créances, à l’audience de conversion de la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire et qu’il était présent aux rendez-vous fixés par l’administrateur judiciaire au cours de la période d’observation, il retient que cette participation active corroborait le fait qu’il dirigeait bien de fait la société Conseil et stratégie.
En se déterminant ainsi, sans relever que M. [V] avait agi en toute indépendance et accompli de faits précis de nature à caractériser une immixtion de celui-ci dans la gestion et la direction de la société, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».
7.3 – Arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 02/03/2023, n° 22/00837, concernant une condamnation pour insuffisance d’actif
Dans un but pédagogique cette arrêt a fait l’objet d’une modification dans sa présentation, l’ensemble des arguments développés par les parties ont été reclassés dans la motivation, sans y apporter aucune modification.
FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par jugement en date du 28 mai 2018, le tribunal de commerce de FREJUS a converti la procédure de redressement judiciaire ouverte à l’encontre de la SARL X… , société gérée par Monsieur Y… et ayant pour objet social l’activité de marchand de biens, en procédure de liquidation judiciaire.
Par jugement en date du 10 janvier 2022, le tribunal de commerce de FREJUS a, sur assignation de Maître G…, es qualité de liquidateur judiciaire, condamné Monsieur Y … à supporter personnellement les dettes de la SARL X… à hauteur de 206.835 € et de 396.000 €.
Les premiers juges, après avoir constaté une insuffisance d’actifs s’élevant à 2.046.247,67 €, ont retenu à l’encontre de Monsieur Y… les fautes de gestion suivantes :
- le recours à des moyens de financement inadaptés au regard de la souscription d’un prêt de 18 mois dont le remboursement était dépendant du résultat d’une autre société immobilière,
- l’absence de tenue de comptabilité régulière,
- le non-respect des obligations fiscales et sociales.
Le tribunal de commerce n’a pas statué sur la faute résultant de la poursuite d’une activité déficitaire dans un intérêt personnel dont il était également saisi.
Par déclaration en date du 19 janvier 2022, Monsieur Y… a interjeté appel de cette décision.
Par conclusions déposées et notifiées par le RPVA en date du 14 décembre 2022, auxquelles il est fait référence pour plus ample exposé des motifs, Monsieur Y… demande à la cour de :
- Le DECLARER recevable et bien fondé en son appel,
- INFIRMER le jugement du tribunal de commerce de FREJUS du 10 janvier 2022 en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau,
- JUGER qu’il n’a commis aucune faute de gestion ayant contribué à créer ou aggraver l’insuffisance d’actif de la société X…,
- DEBOUTER Maître G… es qualité de liquidateur judiciaire de la société X…B INVESTISSEMENTS de son appel incident,
- DEBOUTER Maître G… es qualité de liquidateur judiciaire de la société X… de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- CONDAMNER Maître G… es qualité de liquidateur judiciaire de la société X… à lui payer la somme de 7500€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
- CONDAMNER Maître G… es qualité de liquidateur judiciaire de la société X… aux entiers dépens, dont distraction au profit du cabinet SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
Monsieur Y… indique à titre liminaire que les difficultés de la SARL X… trouvent leur origine dans les diverses procédures et recours exercés par des riverains dans le cadre du projet immobilier.
Il fait valoir que les éléments apportés par Maître G…, sur laquelle repose la charge de la preuve, ne permettent pas d’étayer ses prétentions et conteste l’ensemble des fautes qui lui sont imputées, lesquelles ont été insuffisamment caractérisées par la juridiction du premier degré.
Par conclusions déposées et notifiées par le RPVA en date du 15 avril 2022, auxquelles il est fait référence pour plus ample exposé des motifs, Maître G… es qualité de liquidateur judiciaire de la société X… demande à la cour de :
- DEBOUTER Monsieur Y… de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- CONFIRMER le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a écarté la poursuite fautive d’une activité déficitaire dans un intérêt personnel.
Y AJOUTANT
- JUGER que Monsieur Y… a poursuivi une activité déficitaire dans un intérêt personnel,
- JUGER qu’il s’agit d’une faute de gestion qui lui est imputable,
- CONDAMNER Monsieur Y… à payer au titre de cette faute de gestion une somme complémentaire de 216 000 €,
- CONDAMNER Monsieur Y… à payer la somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
- CONDAMNER Monsieur Y… aux entiers dépens.
Sur l’insuffisance d’actif
Le liquidateur judiciaire rappelle que le passif s’élève à la somme de 3 321 247,67 € (soit 2 044 914,47 € à titre privilégié et 1 276 333,20 € à titre chirographaire) tandis que l’actif a été réalisé à hauteur de 1 275 000 € de sorte que l’insuffisance d’actifs est de 2.046.247,67 €.
Sur les fautes de gestion
Le liquidateur judiciaire sollicite la confirmation du jugement querellé en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a écarté l’existence d’une poursuite d’activité déficitaire dans un intérêt personnel.
Par avis en date du 13 décembre 2022, le ministère public requiert la confirmation du jugement entrepris.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 5 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
Il résulte des dispositions de l’article L651-2 du code de commerce que le tribunal peut condamner à supporter l’insuffisance d’actif d’une société placée en liquidation judiciaire tout dirigeant de droit ou de fait responsable d’une faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif.
En application du texte susvisé, pour que l’action initiée par Maître G… puisse prospérer il faut que soit établi :
- une insuffisance d’actif
- une ou plusieurs fautes de gestion imputables à Monsieur [B]
- un lien de causalité entre la ou les fautes commises et l’insuffisance d’actif
Sur l’insuffisance d’actif :
L’insuffisance d’actif s’établit à la différence entre le montant du passif admis et correspondant à des créances antérieures au jugement d’ouverture et le montant de l’actif de la personne morale débitrice.
En l’espèce, il résulte des éléments de la procédure et n’est pas contesté que le montant de l’insuffisance d’actif s’établit à la somme de 2 046 247,67 € correspondant à la différence entre le montant du passif fixé à 3 321 247,67 € et le montant de l’actif recouvré ou réalisé fixé à 1 275 000 €.
Sur les fautes de gestion reprochées à M. Y…
Sur l’absence de tenue de comptabilité régulière
- a) Les conclusions en défense de M. Y…
Il soutient que les bilans ont bien été réalisés et régulièrement déposés.
Il rappelle que la seule activité de la société X… étant la détention d’un bien la comptabilité était nécessairement des plus élémentaire puisqu’elle se limitait à quelques charges annuelles.
- b) Les conclusions en réponse du liquidateur judiciaire
Le liquidateur judiciaire indique qu’il ne lui a été remis que certains bilans (2013, 2014 et
2017) et que s’agissant des exercices 2013 et 2014 seules les liasses fiscales ont été communiquées.
Il relève en outre que les bilans 2013 et 2014 ne laissent apparaître aucune charge d’exploitation et que le résultat d’exploitation, le bénéfice/perte ainsi que le résultat fiscal sont inexistants, ce qui laisse à penser que la comptabilité a été mal tenue ou est à tout le moins irrégulière.
- c) La décision de la Cour d’appel
Il résulte des dispositions de l’article L123-12 du code de commerce que :
- Toute personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant doit procéder à l’enregistrement comptable des mouvements affectant le patrimoine de son entreprise.
- Ces mouvements sont enregistrés chronologiquement.
- Elle doit contrôler par inventaire, au moins une fois tous les douze mois, l’existence et la valeur des éléments actifs et passifs du patrimoine de l’entreprise.
- Elle doit établir des comptes annuels à la clôture de l’exercice au vu des enregistrements comptables et de l’inventaire. Ces comptes annuels comprennent le bilan, compte de résultat et une annexe qui forment un tout indissociable.
Il appert que les éléments comptables transmis sont insuffisants à démontrer que Monsieur Y… s’est, en sa qualité de dirigeant, acquitté des obligations légales mises à sa charge, le liquidateur judiciaire restant dans l’attente de la transmission du bilan 2015 et du grand livre de l’exercice 2016.
La faute résultant de la tenue d’une comptabilité incomplète, irrégulière ou fictive est caractérisée. Elle doit donc être retenue.
Sur le défaut de paiement des dettes sociales et fiscales
- a) Les conclusions en défense de M. Y…
Monsieur Y… indique qu’aucune faute de gestion n’a été prouvée à ce titre par Maître G… en ce sens qu’il n’a jamais manqué volontairement à ses obligations fiscales ou sociales ou n’a pas été d’une négligence telle que son comportement serait fautif.
Il relève par ailleurs que le montant de cette dette ne représente qu’une partie réduite de l’ensemble de la dette de la société.
- b) Les conclusions en réponse du liquidateur judiciaire
Il expose que le POLE DE RECOUVREMENT SPECIALISE DU VAR a déclaré une créance de 128 835 € portant sur des taxes foncières et taxes d’habitation impayées entre 2013 et 2016 ainsi que sur des droits de mutation impayés en 2010 pour un montant de 78 000 €.
- c) La décision de la Cour d’appel
Il appert que le POLE DE RECOUVREMENT SPECIALISE DU VAR a déclaré à titre privilégié une créance de 128 835 € portant sur des taxes foncières et des taxes d’habitation impayées entre 2013 et 2016 à hauteur de 50 040 € outre une somme de 78 795 € correspondant à des droits de mutation de février 2010.
La faute de gestion est caractérisée.
Il convient cependant de relever que c’est à tort que la somme correspondant aux droits de mutation a été ajoutée à la somme globale déclarée de 128 835 € dès lors qu’il résulte de la déclaration correspondante qu’elle y était incluse.
Sur le recours à des moyens de financement inadaptés
- a) Les conclusions en défense de M. Y…
L’appelant expose :
- qu’en février 2010 la société a procédé, en vue d’y réaliser une opération immobilière, à l’acquisition d’un ensemble immobilier composé de trois terrains, deux maisons principales et COS résiduels formant un ensemble sur un tènement de 11 200m2 situé sur la commune de [Localité 4]
- que l’acquisition a été faite pour un montant de 3 500 000 € alors que valorisée à hauteur de 5 800 000 € car la propriété était dépourvue de conformité et comprenait plus de 1000 m2 construits de manière illégale
- que l’opération financière initialement prévue n’a jamais pu se réaliser
Il soutient :
- que le prêt s’inscrivait dans la logique même de l’objet social qui consistait en l’achat et la revente de biens immobiliers à savoir que la SARL X… achetait un bien à un prix aussi réduit que possible, y effectuait des travaux et aménagements et revendait le bien à un prix supérieur ou le conservait en patrimoine avec un refinancement; qu’il était cohérent que le prêt accordé par HSBC ait une durée qui ne dépasse pas 18 mois ;
- que cependant les difficultés rencontrées par le groupe ont eu pour conséquence que la banque n’a pas procédé à la prorogation normale et que la société s’est retrouvée en difficulté vis à vis de tout concours bancaire.
Elle ajoute que le taux d’intérêt initial se situait dans la moyenne des taux applicables en 2010 et que le taux d’intérêt de 7, 10% finalement appliqué par HSBC est une sanction infligée à la société et non un taux convenu entre les parties au moment de la conclusion du prêt.
- b) Les conclusions en réponse du liquidateur judiciaire
Le liquidateur judiciaire indique que la SARL X… a fait l’acquisition d’un bien immobilier sis à [Localité 4] pour une somme de 3 500 000 € financé en partie par un prêt de 2.600.000 € souscrit auprès de la banque HSBC consenti pour une durée de 18 mois (soit une échéance au 4 Août 2011) et avec un taux variable révisable trimestriellement, le taux effectif global étant arrêté à 4,0205%.
Il expose :
- qu’au 4 Août 2011, la SARL X… a été incapable de rembourser l’intégralité du capital dont elle restait redevable et que le taux a donc été porté à 7,10%
- qu’il aura fallu attendre mai 2013, date à laquelle les intérêts s’élevaient déjà à 325.000 €, pour que 2 des 3 lots soient vendus pour 1 450 000 € soit une somme insuffisante à permettre le remboursement.
- qu’à ce jour les intérêts continuent à courir et s’élevaient à plus de 396 000 € au jour de l’ouverture de la procédure collective en octobre 2016.
Il fait valoir que le choix de financement et surtout sa durée étaient inadaptés et mettait la société en situation délicate si la vente des biens n’intervenait pas très rapidement c’est à dire en moins de 18 mois.
- c) La décision de la Cour d’appel
Il est établi et non contesté que Monsieur Y… a en sa qualité de gérant souscrit un prêt de 2 600 000 € d’une durée de 18 mois dont le remboursement exigible au 4 août 2011 était conditionné à la réalisation d’une vente immobilière laquelle n’est finalement intervenue, de manière partielle, qu’en mai 2013 pour un montant insuffisant à couvrir l’échéance due ;
Que la carence de la SARL X… a entraîné une majoration du taux d’intérêt générant une somme de 396 000 € à la date de l’ouverture de la procédure collective.
Il s’en déduit que le choix de financement retenu par Monsieur Y… était inadapté dès lors que la possibilité de remboursement de la SARL X… était entièrement conditionnée à la réalisation rapide de la vente d’un ensemble immobilier dont la valeur a été à tout le moins mal appréciée.
La faute de gestion est caractérisée.
Sur la poursuite d’une activité déficitaire dans un intérêt personnel
- a) Les conclusions en défense de M. Y…
L’appelant soutient qu’aucune activité déficitaire ne pouvait être continuée étant donné que la société n’avait pas de salarié et seulement un actif immobilier à valoriser.
Il indique que l’occupation du bien situé à [Localité 4] lui a permis de conserver le bien en bon état et d’éviter qu’il perde de sa valeur, que par ailleurs le commodat permettait d’alléger les charges de la société puisque la taxe d’habitation était dès lors supportée par lui-même et non par la société.
- b) Les conclusions en réponse du liquidateur judiciaire
Le liquidateur expose
- que face au non-respect du contrat de prêt et au non remboursement de l’emprunt souscrit en 2010 par la SARL X…, la banque HSBC s’est vue contrainte de lui faire signifier en 2012 un commandement de payer valant saisie ;
- que la société n’était donc plus dès 2012 en capacité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible ;
- que cependant son dirigeant a décidé de poursuivre l’exploitation déficitaire avec un prêt impayé portant intérêt à 7,10% par an.
Il ajoute qu’en janvier 2012 un prêt à commodat a été signé entre la SARL X… et Monsieur Y… portant sur le dernier lot du bien immobilier devant être vendu pour rembourser le prêt souscrit en 2010 et constitué d’une maison de maître avec piscine dont Monsieur Y… a fait un usage strictement personnel.
Il précise, pour confirmer la caractérisation de cette poursuite d’exploitation déficitaire, que la société souffrait d’une insuffisance d’actif disponible de 174 550 € à la fin de l’exercice 2013, laquelle était identique à la fin de l’exercice 2014. Il en déduit que si Monsieur [Y… avait tenu régulièrement sa comptabilité, il aurait pu constater que malgré la vente de 2 des 3 lots, sa société était en difficulté.
Il ajoute qu’en octobre 2014 la banque a fait signifier à la société un second commandement de payer valant saisie ;
- que le jugement d’orientation avait fixé la date de la vente dudit bien à l’audience d’adjudication du 21 octobre 2016 ;
- que Monsieur Y… s’est empressé de déposer la déclaration de cessation des paiements auprès du greffe du tribunal de commerce de Fréjus le 7 octobre 2016 bloquant ainsi la procédure de saisie immobilière.
Il soutient qu’il est ainsi démontré que Monsieur Y… a toujours agit dans son propre intérêt et non dans celui de la société qui était en état de cessation des paiements depuis l’exercice 2012.
Il relève que Monsieur Y… a occupé la maison à titre gracieux pendant six années ce qui a non seulement fait échec à la vente de l’immeuble mais a également privé la société de revenus locatifs sur cette période.
Il demande que cette faute sur laquelle les premiers juges ne se sont pas prononcés soit retenue et que Monsieur Y… soit condamné à ce titre au paiement d’une somme de 216.00 €.
- c) La décision de la Cour d’appel
Il est établi que la SARL X… s’est trouvée dans l’incapacité de faire face au remboursement du prêt qu’elle avait contracté et dont l’échéance était fixée au 4 Août 2011 ;
Que les éléments versée au débats confirment une exploitation déficitaire qui s’est aggravée au fur à mesure des exercices entre 2012 et 2016 ;
Que nonobstant cette situation, et alors que le taux d’intérêt du prêt était porté à 7,10% par an, Monsieur Y… a poursuivi l’exploitation de la société et a signé un prêt à commodat portant sur le dernier lot du bien immobilier qui devait être vendu pour rembourser le solde du prêt et qu’il a occupé à titre gracieux pendant plusieurs années.
L’existence d’une contrepartie à cette occupation gratuite n’est pas démontrée.
Il s’en déduit que c’est à tort que les premiers juges n’ont pas retenu cette faute de gestion qui était parfaitement caractérisée.
Sur le lien de causalité entre les fautes retenues et l’insuffisance d’actif :
- a) Les conclusions en défense de M. Y…
L’appelant relève l’absence de démonstration d’un lien entre les fautes alléguées et l’insuffisance d’actif.
- b) Les conclusions en réponse du liquidateur judiciaire
Le liquidateur judiciaire fait valoir que toutes les fautes de gestion imputables à Monsieur Y… ont un lien direct avec l’insuffisance d’actif ;
Que l’absence de tenue d’une comptabilité régulière ne lui a pas permis de prendre la mesure de la situation financière catastrophique de la société et que toutes les autres ont considérablement accru le montant du passif.
- c) La décision de la Cour d’appel
Il convient de rappeler que le dirigeant peut être déclaré responsable même si la faute de gestion n’est qu’une des causes de l’insuffisance d’actif et qu’il en est de même si la faute n’est à l’origine que de l’une des parties des dettes de la société.
L’absence de tenue de comptabilité complète et régulière ainsi que le non-paiement des dettes fiscales à hauteur de 128 835 € ont empêché Monsieur [B] en sa qualité de dirigeant d’avoir une vision de l’état financier de la société et de lui permettre de prendre les mesures nécessaires et lui ont permis la poursuite d’une activité déficitaire dans un intérêt personnel ayant nécessairement et directement contribué à l’insuffisance d’actif.
De la même manière, le fait de recourir à un financement inadapté et hasardeux qui n’a pas permis à la société de faire face à ses dettes a engendré une majoration des intérêts lesquels s’élevaient à la date de l’ouverture de la procédure collective à la somme de 396.000€ qui est venu alourdir le passif.
Il est ainsi établi que Monsieur Y… a, de part les fautes de gestion qu’il a commises, contribué à l’insuffisance d’actif de la procédure collective de SARL X….
Sur le quantum de la contribution mise à la charge de Monsieur [B]
Les premiers juges ont condamné Monsieur Y… au paiement des sommes de 206 835 € et de 396 000 € correspondant respectivement aux dettes fiscales et aux intérêts majorés du prêt à la date de l’ouverture de la procédure collective.
Il a été précédemment relevé que les dettes fiscales s’élevaient à la somme de 128.835 €.
Il y a lieu par ailleurs de mettre à la charge de Monsieur Y… une somme supplémentaire de 216 000 € correspondant à 8 années d’occupation à raison de 3.000 € par mois.
Il se déduit de l’ensemble de ses éléments que le jugement rendu par le tribunal de commerce de Fréjus le 10 janvier 2022 doit être confirmé sauf en ce qu’il n’a pas retenu la faute de gestion résultant de la poursuite d’une activité déficitaire dans un intérêt personnel et sauf en ce qui concerne le quantum de la contribution mise à la charge de Monsieur Y… lequel sera fixé, au vu des fautes commises retenues et au regard du principe de proportionnalité, à la somme de 740 835 €.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Monsieur Y… qui succombe sera condamné aux dépens
Il se trouve ainsi infondé en ses prétentions au titre de l’article 700 du CPC
Il serait inéquitable de laisser supporter à Maître G… es qualité de l’intégralité des frais qu’elle a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens.
Monsieur Y… sera condamné à lui payer la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe ;
CONFIRME le jugement rendu le 10 janvier 2022 par le tribunal de commerce de Fréjus sauf en ce qu’il n’a pas retenu à l’encontre de Monsieur Y… la faute de gestion résultant de la poursuite d’une activité déficitaire dans un intérêt personnel et sauf en ce qui concerne le montant de l’insuffisance d’actif mis à la charge de Monsieur Y…
Statuant à nouveau,
DIT que Monsieur Y… a commis une faute de gestion en poursuivant une activité déficitaire dans un intérêt personnel
CONDAMNE Monsieur Y… à payer entre les mains de Maître G… es qualité de liquidateur judiciaire de la société X… la somme de 740 835 € au titre de l’insuffisance d’actif de la société X…
DECLARE Monsieur Y… infondé en ses prétentions au titre des frais irrépétibles
CONDAMNE Monsieur Y… à verser à Maître G… es qualité de liquidateur judiciaire de la société X… la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile
CONDAMNE Monsieur Y… aux dépens.
7.4 – Arrêt de la Cour de cassation du 02/10/2025, n° 23-15995 qui casse l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 02/03/2023, pour ne pas démontrer qu’une comptabilité irrégulière n’est pas une simple négligence
Enoncé du moyen
M. Y… fait grief à l’arrêt de dire qu’il a commis des fautes de gestion notamment en poursuivant une activité déficitaire dans un intérêt personnel, et de le condamner en conséquence à payer entre les mains de Mme G…, ès qualités, la somme de 740 835 euros au titre de l’insuffisance d’actif de la société X…, alors « que la loi du 9 décembre 2016, qui écarte, en cas de simple négligence dans la gestion de la société, la responsabilité du dirigeant au titre de l’insuffisance d’actif, est applicable immédiatement aux procédures collectives en cours et aux instances en responsabilité en cours ;
Que pour condamner M. Y… à supporter une partie de l’insuffisance d’actif de la société X…, l’arrêt retient que les éléments comptables transmis sont insuffisants à démontrer que l’exposant s’est, en sa qualité de dirigeant, acquitté des obligations comptables légales mises à sa charge, le liquidateur judiciaire restant dans l’attente de la transmission du bilan 2015 et du grand livre de l’exercice 2016, de sorte que la faute résultant de la tenue d’une comptabilité incomplète, irrégulière ou fictive est caractérisée et doit être retenue ;
Qu’il retient encore que l’absence de tenue de comptabilité complète et régulière a empêché l’exposant en sa qualité de dirigeant d’avoir une vision de l’état financier de la société et de prendre les mesures nécessaires, ce qui a nécessairement et directement contribué à l’insuffisance d’actif ;
Qu’en se déterminant par de tels motifs, impropres à caractériser une faute de l’exposant qui ne soit pas une simple négligence dans la gestion de la société, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article L. 651-2 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 9 décembre 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l’article L. 651-2 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 9 décembre 2016 :
La loi du 9 décembre 2016, qui écarte, en cas de simple négligence dans la gestion de la société, la responsabilité du dirigeant au titre de l’insuffisance d’actif, est applicable immédiatement aux procédures collectives en cours et aux instances en responsabilité en cours.
Pour condamner M. Y… à contribuer à l’insuffisance d’actif, l’arrêt retient que les éléments comptables transmis sont insuffisants à démontrer que celui-ci s’est acquitté des obligations mises à sa charge en qualité de dirigeant, le liquidateur restant dans l’attente de la transmission du bilan 2015 et du grand livre de l’exercice 2016.
En se déterminant par ces seuls motifs, impropres à caractériser, à la charge de M. Y…, des fautes qui ne soient pas une simple négligence dans la gestion de la société, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.
Portée et conséquences de la cassation
La condamnation du dirigeant à supporter l’insuffisance d’actif ayant été prononcée en considération de plusieurs fautes, la cassation encourue à raison de l’une d’entre elles entraîne, en application du principe de proportionnalité, la cassation de l’arrêt de ce chef.