Jean-Claude LEMALLE : une expérience de juge-consulaire

Jean-Claude LEMALLE

Les fins de non-recevoir

(Le défaut de qualité à agir – Le défaut d’intérêt – La prescription – Le délai préfix – La chose jugée)

⚖️ Points à retenir
  • La fin de non-recevoir tend à faire déclarer une action irrecevable sans examen au fond pour défaut du droit d’agir (article 122 du Code de procédure civile).
  • Elle se distingue de l’exception de procédure, qui concerne la régularité du déroulement de la procédure, et non le droit d’agir lui-même.
  • Les principaux cas sont : défaut de qualité, défaut d’intérêt à agir, prescription, délai préfix et chose jugée.
  • Elle peut être d’origine légale (article 122) ou contractuelle (par exemple, clause de conciliation préalable).
  • Les fins de non-recevoir peuvent être invoquées en tout état de cause (article 123), sans qu’il soit nécessaire de justifier d’un grief (article 124).
  • Le juge du fond doit relever d’office les fins de non-recevoir d’ordre public : chose jugée, défaut d’intérêt ou de qualité, expiration d’un délai de forclusion d’ordre public (article 125).
  • Le juge ne peut pas relever d’office la prescription, sauf si elle présente un caractère d’ordre public.
  • Une irrégularité tirée d’une fin de non-recevoir peut être régularisée si elle a disparu avant que le juge statue (article 126).
  • La régularisation ne peut pas faire revivre un droit éteint par la prescription ou par la forclusion.
  • Lorsque la fin de non-recevoir est retenue, le juge doit déclarer l’action irrecevable et ne peut plus examiner le fond du litige.

⚖️1. – Généralités sur les moyens de défense

Pour faire échec aux prétentions du requérant (défendeur ou demandeur), la partie adverse peut, pour assurer sa défense, soutenir trois sortes de moyens qui consisteront à faire déclarer la demande :

  • soit irrégulière ;
  • soit irrecevable ;
  • soit mal fondée.

Ces trois catégories correspondent à la classification procédurale classique : moyens tenant à la régularité de la procédure, moyens tenant à la recevabilité de l’action, et moyens tenant au bien-fondé.

La demande irrégulière est celle qui tombe sous le coup soit d’une exception de procédure (incompétence, litispendance, connexité, exceptions dilatoires), soit d’une exception de nullité (nullité des actes pour vice de forme ou irrégularité de fond).

La demande irrecevable est celle qui tombe sous le coup d’une fin de non-recevoir, à savoir un défaut du droit d’agir.

La demande mal fondée est celle qui n’est pas justifiée en droit et/ou en fait, de sorte que le juge, après examen du fond de cette demande, ne peut pas l’accueillir favorablement. Il s’agit de l’examen du fond du litige.

Nous étudierons ici le cas de la demande irrecevable, par application d’une fin de non-recevoir.

📚2. – La notion de fin de non-recevoir

2.1 – La source légale des fins de non-recevoir

Article 122 du Code de procédure civile :

« Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande sans examen au fond, pour défaut du droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. »

La fin de non-recevoir est donc un moyen de défense qui tend :

  • à faire déclarer l’action de l’adversaire irrecevable (en demande comme en défense, y compris en demande incidente) ;
  • sans examen au fond de sa prétention ;
  • et ce, pour défaut du droit d’agir.

L’action est irrecevable, car l’adversaire (demandeur ou défendeur) soit ne dispose pas, ou plus, du droit d’agir ou de la qualité pour agir, soit n’a aucun intérêt à agir, soit l’action est prescrite ou atteinte par un délai préfix, soit enfin la chose a déjà été jugée.

Le juge, s’il retient la fin de non-recevoir, doit alors rédiger le dispositif de son jugement ainsi :

« Déclare irrecevable l’action engagée par … pour défaut de qualité à agir (ou défaut d’intérêt à agir, ou prescription, ou délai préfix, ou chose jugée). »

Dans le cas contraire, le juge déboute l’adversaire de sa demande de fin de non-recevoir.

2.2 – Caractère non limitatif de la liste : application à la clause de conciliation, de médiation ou d’expertise préalable avant toute action judiciaire

La jurisprudence a jugé que l’énumération faite par l’article 122 du Code de procédure civile ne constitue pas une liste limitative du défaut du droit d’agir.

Le défaut du droit d’agir peut avoir une origine contractuelle, en particulier lorsqu’une clause impose une conciliation, une médiation ou une expertise préalable à toute action judiciaire : l’inexécution de ce préalable constitue une fin de non-recevoir.

Ainsi, la Chambre mixte de la Cour de cassation, en date du 14/02/2003 (numéro 00-19.424), a jugé qu’une clause du contrat instituant une conciliation préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir, à la condition que les parties l’invoquent.

Il est donc admis qu’une partie qui s’oblige contractuellement à une solution alternative et contraignante préalable à l’action en justice ne peut ester en justice en se dispensant d’exercer ce préalable. Cette fin de non-recevoir ne peut pas être régularisée par la mise en œuvre de la clause de conciliation en cours d’instance (Cour de cassation, Chambre mixte du 12/12/2014, numéro 13-19.684).

Dans un arrêt du 06/06/2024, la chambre commerciale de la Cour de cassation (numéro 22-24.784) a jugé que la clause d’un contrat imposant aux parties de solliciter l’avis d’un expert choisi d’un commun accord avant toute action judiciaire constitue une clause de conciliation préalable. Encore faut-il que la clause ne soit pas rédigée de manière trop elliptique : il appartient alors au juge de rechercher la commune intention des parties.

Le défaut de mise en œuvre de cette clause constitue une fin de non-recevoir.

🔎3. – Examen des différents cas de défaut du droit d’agir énumérés par l’article 122 du Code de procédure civile

3.1 – Le défaut de qualité à agir

Avoir qualité à agir, c’est être titulaire d’un droit. La qualité pour agir s’apprécie à la date d’introduction de la demande.

Pour qu’une action en justice soit recevable, il est obligatoire que la personne justifie de la qualité à laquelle se trouve attaché ce à quoi elle prétend (par exemple, sa qualité de propriétaire, d’usufruitier, d’héritier ou de créancier).

Exemples :

  • Un commandement de payer un loyer délivré par une personne dépourvue de qualité pour le faire (par exemple l’épouse du propriétaire marié sous le régime de la séparation de biens) ne peut entraîner l’application de la clause résolutoire du bail.
  • Le débiteur mis en liquidation judiciaire est irrecevable à interjeter appel d’un jugement concernant son patrimoine (dessaisissement : article L. 641-9 du Code de commerce). Cette fin de non-recevoir, d’ordre public, doit être relevée d’office par le juge (article 125 du Code de procédure civile) (Cour de cassation, chambre commerciale du 18/01/2023, numéro 21-17.581).

À noter qu’une société absorbante peut agir en paiement d’une créance de l’absorbée dès la date d’effet de la fusion.

Il peut également s’agir de la disparition (provisoire ou non) du droit d’agir.

🧾 Exemple

En application de l’article L. 622-21 du Code de commerce, un créancier ne peut agir contre son débiteur en procédure collective pour une condamnation au paiement d’une somme d’argent (Cour de cassation, chambre commerciale du 12/01/2010, numéro 08-19.645). S’agissant d’une disposition d’ordre public, le juge a l’obligation de relever d’office cette fin de non-recevoir.

L’article 125 du Code de procédure civile dispose que le juge peut relever d’office la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité.

3.1.2 – La distinction entre le défaut de qualité pour agir et le défaut de capacité à représenter une partie

Il convient de ne pas confondre le défaut de qualité pour agir et le défaut de pouvoir de représentation.

La qualité pour agir vise le titulaire de l’action, c’est-à-dire le droit de solliciter du juge qu’il examine le bien-fondé d’une prétention découlant d’un droit dont il est titulaire.

La représentation concerne la capacité à représenter une personne devant les juridictions, tels les mandataires sociaux. Il ne s’agit donc pas de défendre un droit propre au demandeur ou au défendeur.

Exemple illustratif : qualité pour agir et capacité à représenter

La société civile immobilière X est propriétaire d’un immeuble. Son gérant est Monsieur Z. La gestion du bien est confiée à la société à responsabilité limitée Y, et le bien est loué à la société à responsabilité limitée W.

À la suite d’un impayé de loyers, la société à responsabilité limitée Y assigne la locataire en référé pour faire constater la résiliation du bail. À la demande de la société à responsabilité limitée W, le juge déclare l’action irrecevable, la société à responsabilité limitée Y n’ayant pas qualité pour agir, n’étant pas propriétaire du bien loué.

Si l’action avait été introduite au nom de la société civile immobilière X, mais par un autre associé que le gérant, l’acte d’assignation aurait été nul pour irrégularité de fond, l’associé n’ayant pas le pouvoir de représenter la société.

En résumé :

  • Défaut de qualité pour agir → fin de non-recevoir (article 122 du Code de procédure civile) ;
  • Défaut de pouvoir de représentation → irrégularité de fond (article 117 du Code de procédure civile).

Le défaut de pouvoir ne constitue donc pas un défaut du droit d’agir, mais une irrégularité de fond entraînant la nullité de l’acte.

3.2 – Le défaut d’intérêt à agir

L’intérêt à agir est défini par l’article 31 du Code de procédure civile qui dispose que « l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ».

Cela signifie que, sauf texte spécial, nul ne peut agir en justice que pour défendre un intérêt qui lui est propre. L’article 125 du Code de procédure civile dispose que le juge peut relever d’office une fin de non-recevoir pour défaut d’intérêt.

L’intérêt à agir doit présenter plusieurs caractéristiques cumulatives. Il doit être :

  • personnel et direct ;
  • né et actuel ;
  • légitime.

3.2.1 – Première condition : l’intérêt doit être personnel

Au regard de l’article 31 du Code de procédure civile, sauf texte spécial, nul ne peut agir en justice que pour défendre un intérêt qui lui est propre. Il en résulte donc que nul n’est admis, en principe, à défendre les intérêts d’autrui.

🧾 Exemple

Monsieur A, gérant de la société à responsabilité limitée Alpha, assigne la société Bêta, cliente de la société, pour obtenir le paiement de factures restées impayées. Le tribunal juge la demande irrecevable, considérant que le préjudice invoqué ne concerne pas Monsieur A personnellement, mais la société Alpha, personne morale distincte, seule titulaire de la créance. Dès lors, seule la société Alpha, représentée par son gérant, avait qualité et intérêt à agir. Le gérant, agissant en son nom propre, ne justifiait pas d’un intérêt personnel, direct et actuel, au sens de l’article 31 du Code de procédure civile.

Le défaut d’intérêt personnel constitue une fin de non-recevoir, qui entraîne l’irrecevabilité de la demande sans examen au fond.

Il convient toutefois de distinguer la condition d’intérêt à agir du bien-fondé de la prétention. L’existence d’un intérêt personnel et direct ne préjuge en rien du bien-fondé de l’action. L’intérêt à agir n’est qu’une condition de recevabilité : il ouvre au demandeur la possibilité de soumettre sa prétention au juge, sans que celui-ci se prononce encore sur le droit invoqué.

Ainsi, un demandeur peut parfaitement avoir intérêt à agir, parce que la décision sollicitée est susceptible d’améliorer sa situation juridique, tout en étant débouté au fond s’il ne prouve pas la réalité du droit qu’il invoque. Inversement, le juge ne peut examiner le fond que si la condition d’intérêt à agir est remplie.

3.2.1.1 – Une exception : l’action sociale ut singuli

Les articles L. 223-22, alinéa 3, et R. 223-31 du Code de commerce prévoient que « un ou plusieurs associés peuvent intenter l’action sociale en responsabilité contre les gérants ». Cette action, dite « ut singuli », constitue une dérogation au principe selon lequel nul ne peut agir en justice que pour la défense d’un intérêt personnel.

Elle permet à un associé d’agir au nom et pour le compte de la société, afin d’obtenir la réparation d’un préjudice subi par celle-ci du fait d’une faute de gestion du ou des dirigeants, y compris en cas d’inaction des organes sociaux. Les dommages-intérêts éventuellement alloués bénéficient à la société, non à l’associé demandeur. En l’absence d’un tel texte, une action engagée par un associé en réparation du préjudice social serait irrecevable pour défaut de qualité à agir.

3.2.2 – Deuxième condition : l’intérêt doit être né et actuel

L’article 31 du Code de procédure civile suppose que l’intérêt invoqué existe au moment où la demande est formée. Le rôle du juge est de trancher des litiges déjà nés, et non d’anticiper des situations hypothétiques ou futures. Un intérêt éventuel ou simplement possible ne peut donc être pris en considération. En revanche, un intérêt futur mais certain peut suffire à rendre l’action recevable.

🧾 Exemple jurisprudentiel

Est irrecevable la demande tendant à mettre en œuvre la responsabilité d’un notaire à propos d’une vente de fonds de commerce, faute pour le vendeur d’établir que le solde du prix ne sera pas payé dans la procédure de liquidation judiciaire ouverte contre l’acquéreur (Cour de cassation, première chambre civile du 30/04/2009, numéro 07-21.881). Le préjudice invoqué était seulement éventuel au jour de l’assignation : la créance du vendeur n’était pas encore perdue.

Il convient toutefois de distinguer cette hypothèse de la possibilité d’obtenir des mesures conservatoires ou des mesures d’instruction avant tout procès, notamment sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile. Ces mesures, destinées à préserver un droit ou établir une preuve, ne constituent pas un jugement sur le fond et peuvent être sollicitées même en l’absence d’un intérêt actuel à agir au fond.

3.2.3 – Troisième condition : l’intérêt doit être légitime

L’intérêt à agir doit, enfin, être légitime, c’est-à-dire conforme à la loi, à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Cette exigence permet au juge d’apprécier la moralité du recours à la justice et d’écarter les prétentions fondées sur des situations illicites ou contraires à la probité.

Article 1965 du Code civil :

« La loi n’accorde aucune action pour une dette du jeu ou le paiement d’un pari (sauf en ce qui concerne les jeux autorisés par la loi). »

🧾 Exemple jurisprudentiel

En présence des turpitudes réciproques du vendeur d’un fonds de commerce, poursuivi pour proxénétisme, et de l’acquéreur, qui connaissait cette situation, la Cour de cassation a jugé qu’il y avait lieu de déclarer d’office irrecevable la demande en garantie de l’acquéreur (Cour de cassation, chambre commerciale du 27/04/1981, numéro 80-11.200). L’action était dépourvue d’intérêt légitime, dès lors qu’elle visait à tirer profit d’une opération illicite.

🔎 À retenir

Un intérêt à agir peut être personnel, direct et actuel, mais rester irrecevable s’il poursuit un but illicite ou contraire à la morale.

3.2.4 – Un exemple du défaut d’intérêt à agir en matière commerciale

L’action en responsabilité délictuelle pour rupture brutale de relations commerciales établies (article L. 442-1, II du Code de commerce) appartient à toute personne qui justifie avoir subi un préjudice directement causé par la rupture. Lorsqu’elle est exercée par un tiers à la relation rompue, encore faut-il qu’il démontre avoir personnellement subi le dommage qu’il invoque, sans quoi il est dépourvu d’intérêt à agir.

🧾 Exemple

La relation commerciale avait été initialement conclue par un entrepreneur individuel, lequel a ensuite apporté son fonds de commerce à une société à responsabilité limitée. La société cliente a mis fin à la relation après cet apport. L’entrepreneur individuel, n’étant plus partie à la relation au moment de la rupture, ne pouvait justifier d’un préjudice personnel. Son action a donc été jugée irrecevable pour défaut d’intérêt à agir.

🔎 À retenir

Un demandeur ne peut agir qu’à raison du préjudice qui lui est propre, même lorsqu’il est à l’origine de la relation commerciale initiale.

3.3 – La prescription

L’article L. 110-4 du Code de commerce dispose que les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.

Article 2224 du Code civil :

« Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »

La prescription fait l’objet d’une étude spéciale. En application de l’article 125 du Code de procédure civile, le juge ne peut pas relever d’office la prescription, sauf lorsque la loi en dispose autrement pour des raisons d’ordre public.

3.4 – Le délai préfix (ou délai de forclusion)

Le délai préfix est un délai fixé par la loi pour accomplir un acte déterminé. Il se distingue du délai de prescription en ce qu’il court sans pouvoir être suspendu ni interrompu, sauf disposition contraire. À son expiration, le droit d’agir ou d’accomplir l’acte est éteint : la partie est frappée de forclusion.

🧾 Exemple jurisprudentiel

Le délai de dix ans dont bénéficie le maître d’ouvrage pour agir contre le constructeur, sur le fondement de l’article 1792-4-3 du Code civil, est un délai de forclusion. Il n’est donc ni interrompu ni suspendu, sauf texte contraire (Cour de cassation, troisième chambre civile du 10/06/2021, numéro 20-16.837).

Contrairement à la prescription, l’extinction de l’action à l’expiration d’un délai de forclusion peut être relevée d’office par le juge, lorsque la forclusion présente un caractère d’ordre public, ou au contraire ne pas l’être lorsqu’elle concerne un intérêt privé (article 125 du Code de procédure civile).

🧾 Exemple pratique

Le délai de deux mois dont dispose un créancier pour déclarer sa créance à compter de la publication au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales de l’ouverture d’une procédure collective est un délai de forclusion d’ordre public. Le juge doit en relever d’office l’expiration.

🔎 À retenir

Le délai préfix est un délai impératif et non modulable, dont l’expiration entraîne l’irrecevabilité automatique de l’action, indépendamment de toute prescription.

3.5 – La chose jugée

L’autorité de la chose jugée empêche qu’un litige ayant déjà fait l’objet d’un jugement soit de nouveau soumis à un juge. Elle s’attache à toute décision contentieuse, dès son prononcé, même si elle est frappée d’appel, et suppose l’identité des parties, de l’objet et de la cause.

Elle ne doit pas être confondue avec la force de chose jugée, qui s’attache uniquement aux décisions devenues irrévocables, c’est-à-dire non susceptibles de recours suspensif. L’autorité de la chose jugée n’existe pas pour les décisions provisoires (jugement avant dire droit, ordonnance de référé, et autres), qui n’épuisent pas le litige.

⚖️ Concentration des moyens

Un demandeur ne peut pas invoquer dans une nouvelle instance un fondement juridique qu’il aurait pu soulever lors de la première. Il lui incombe de présenter dès la première instance l’ensemble des moyens de droit qu’il estime de nature à fonder sa prétention (Cour de cassation, Assemblée plénière du 07/07/2006, numéro 04-10.672). Cette règle s’applique également au défendeur (Cour de cassation, deuxième chambre civile du 12/07/2012, numéro 11-20.587).

🧾 Exemples pratiques

Une ordonnance d’injonction de payer a autorité de chose jugée à défaut d’opposition dans le délai, ou lorsque l’opposition est déclarée irrecevable (article 1408 du Code de procédure civile).

Le juge doit relever d’office la fin de non-recevoir tirée de la chose jugée, car il s’agit d’une règle d’ordre public (articles 122 et 125 du Code de procédure civile ; Cour de cassation, deuxième chambre civile du 15/09/2005, numéro 01-16.762).

🔎 À retenir

L’autorité de la chose jugée s’attache à tout jugement dès son prononcé et interdit de rejuger un même litige. Elle se distingue de la force de chose jugée, qui ne s’attache qu’aux décisions devenues irrévocables. Le juge a l’obligation de relever d’office cette fin de non-recevoir pour garantir la stabilité des décisions de justice et éviter toute contrariété de jugements.

🧭4. – Distinction entre l’exception de procédure et la fin de non-recevoir

Les exceptions de procédure et les fins de non-recevoir appartiennent toutes deux aux moyens de défense, mais elles n’ont pas la même finalité.

L’exception de procédure (articles 112 à 121 du Code de procédure civile) tend à faire déclarer la procédure irrégulière, éteinte ou suspendue, sans remettre en cause le droit d’agir lui-même. Elle concerne par exemple la nullité d’un acte, l’incompétence du tribunal, la litispendance ou la connexité.

La fin de non-recevoir (articles 122 à 126 du même code), quant à elle, vise non pas la régularité de la procédure, mais le droit d’agir en justice. Elle écarte la demande comme irrecevable, sans examen du fond, lorsque le demandeur ne justifie pas des conditions prévues par la loi (intérêt, qualité, délai, autorité de la chose jugée, et autres).

👉 À retenir

L’exception de procédure retarde ou empêche provisoirement le jugement au fond, tandis que la fin de non-recevoir éteint définitivement l’action.

🧩5. – Régime juridique

5.1 – Conditions

Les fins de non-recevoir obéissent au même régime que les défenses au fond.

Elles peuvent être soulevées en tout état de cause, c’est-à-dire à tout moment de la procédure, sous réserve des dispositions de l’article 123 du Code de procédure civile, qui permet au juge de condamner à des dommages et intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt. Cette faculté vaut également devant la juridiction d’appel, sous réserve des règles propres à l’instance d’appel et de l’absence d’abus.

Elles n’exigent pas, pour celui qui les invoque, la preuve d’un grief (article 124 du Code de procédure civile). Leur effet est purement procédural : elles empêchent le juge d’examiner le fond du litige.

5.2 – Pouvoir du juge chargé d’instruire l’affaire

Au tribunal de commerce, le juge chargé d’instruire l’affaire (souvent désigné comme juge rapporteur) a pour mission de préparer le dossier avant son examen par la formation de jugement. S’il exerce une fonction comparable à celle du juge de mise en état dans les procédures écrites devant le tribunal judiciaire, ses pouvoirs sont toutefois plus limités.

Contrairement au juge de mise en état mentionné à l’article 789, 6° du Code de procédure civile, le juge chargé d’instruire l’affaire ne peut pas statuer par ordonnance sur une demande d’irrecevabilité fondée sur une fin de non-recevoir. Il peut seulement constater l’existence d’un moyen d’irrecevabilité et en informer la formation de jugement, laquelle demeure seule compétente pour se prononcer sur la fin de non-recevoir.

5.3 – Pouvoirs du juge du fond

En application de l’article 125 du Code de procédure civile, le juge du fond peut relever d’office les fins de non-recevoir ayant un caractère d’ordre public.

🧾 Exemple

Le juge doit relever d’office la fin de non-recevoir tirée de l’expiration du délai de six mois après la parution au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales de l’ouverture d’une procédure collective, pour agir en relevé de forclusion, ce délai étant d’ordre public.

Le deuxième alinéa de l’article 125 du Code de procédure civile autorise également le juge à relever d’office les fins de non-recevoir tirées du défaut d’intérêt à agir, du défaut de qualité, ou de la chose jugée.

En revanche, le juge ne peut pas relever d’office la fin de non-recevoir résultant de la prescription ou d’un délai préfix, sauf lorsque ces délais présentent un caractère d’ordre public.

Chaque fois que le juge envisage de soulever d’office une fin de non-recevoir, il doit inviter les parties à s’expliquer conformément au principe du contradictoire (article 16 du Code de procédure civile). Une fois l’irrecevabilité déclarée, le juge ne peut plus examiner le fond de la demande.

🛠️6. – Régularisation

L’article 126 du Code de procédure civile dispose que l’irrégularité tirée d’une fin de non-recevoir peut être couverte si elle a disparu au moment où le juge statue. Le juge statue au jour où il rend sa décision : une action initialement irrecevable peut devenir recevable si la condition de recevabilité est remplie en cours d’instance.

🧾 Exemple

Est recevable l’action directe de sous-traitants ayant assigné le maître de l’ouvrage en paiement du prix de leurs travaux sans avoir au préalable mis en demeure l’entrepreneur principal, dès lors que ce dernier a été mis en demeure postérieurement, et que le maître de l’ouvrage a reçu copie de cette mise en demeure plus d’un mois avant que le juge ne statue. Dans cette hypothèse, l’irrégularité initiale a disparu avant la clôture du débat judiciaire.

Il en est de même lorsque, avant toute forclusion, la personne ayant qualité pour agir devient partie à l’instance.

En revanche, lorsque la régularisation suppose un changement de qualité équivalant à un changement de partie, elle n’est possible que si elle intervient avant l’expiration du délai de prescription.

🧾 Exemple

Lorsqu’une action en paiement des dettes sociales a été engagée par l’administrateur judiciaire, alors que seul le commissaire à l’exécution du plan avait qualité pour agir, la régularisation n’est possible qu’à la condition que ce dernier intervienne avant l’expiration du délai de prescription. Une régularisation postérieure est sans effet, même si la personne acquiert ensuite cette qualité.

🔎 À retenir

La régularisation constitue une exception au principe d’irrecevabilité, mais elle ne peut jamais faire revivre un droit éteint par la prescription ou par la forclusion.

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