La réception des travaux de construction
- 1. – Fondements juridiques
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2. – Les différentes formes de réception
- 2.1 – La réception expresse ou amiable
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2.2 – La réception tacite
- 2.2.1 – Principe : la volonté non équivoque
- 2.2.2 – Nécessité cumulative de la prise de possession et du paiement du prix
- 2.2.3 – Échec de la réception tacite malgré la réunion des deux conditions
- 2.2.4 – Date de la réception tacite
- 2.2.5 – Réception tacite partielle (réception par lot)
- 2.2.6 – Réception tacite exclue en cas de contestations
- 2.3 – La réception judiciaire
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3. – Désordres apparents, désordres cachés et articulation avec la réception
- 3.1 – Importance structurante de la distinction
- 3.2 – Définition du caractère apparent au jour de la réception
- 3.3 – Désordres cachés : régime légal applicable
- 3.4 – Désordres intermédiaires : portée et traitement
- 3.5 – Désordres évolutifs et apparition progressive
- 3.6 – Appréciation spécifique dans les ouvrages professionnels
- 4. – Effets de la réception sur les garanties légales
- 5. – Recommandations pratiques pour les juridictions
- 6. – Tableau récapitulatif des trois formes de réception (expresse/tacite/judiciaire)
1. – Fondements juridiques
La réception des travaux est définie par l’alinéa 1 de l’article 1792-6 du Code civil :
« La réception est l’acte par lequel le maître d’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserves.
Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l’amiable, soit, à défaut, judiciairement.
Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement. »
La réception marque notamment :
- la fin du contrat d’entreprise,
- le transfert des risques et de la garde de l’ouvrage,
- le point de départ des garanties légales (garantie de parfait achèvement, garantie biennale, garantie décennale),
- le point de départ des délais de prescription propres aux actions fondées sur ces garanties.
Elle conditionne aussi la libération de la retenue de garantie prévue par l’article 1799-1 du Code civil.
La réception n’est pas un contrat. Elle procède d’un acte juridique unilatéral du maître de l’ouvrage, dont les effets sont fixés par la loi et ne peuvent pas être neutralisés par des stipulations contractuelles. La jurisprudence rappelle constamment ce caractère impératif, en particulier en matière de point de départ des garanties légales et de retenue de garantie.
Avant la réception, l’entrepreneur reste débiteur d’une obligation de résultat à l’égard du maître de l’ouvrage pour la conformité et la bonne exécution de son lot ; il doit supporter le coût des désordres qui affectent ses travaux tant que ceux-ci n’ont pas été réceptionnés (Cour de cassation, troisième chambre civile, 16 mars 2022, numéro 21-10.110).
Cette obligation de résultat cesse, pour les parties non réservées, au moment de la réception ; pour les éléments ayant fait l’objet de réserves, le régime redevient contractuel, sous le contrôle de la garantie de parfait achèvement.
1.1 – Différence entre réception, achèvement et livraison
La réception des travaux ne doit pas être confondue avec l’achèvement ou la livraison.
L’achèvement est une notion matérielle : il correspond au moment où les travaux prévus par le contrat de construction ont été réalisés. Il doit être apprécié au regard du contrat signé entre les parties (étendue des travaux, délais, prestations annexes).
La réception est une notion juridique, qui produit des effets définis par la loi : transfert de la garde de l’ouvrage au maître de l’ouvrage, point de départ des garanties de construction, bascule du régime de responsabilité contractuelle vers le régime légal des constructeurs, etc.
La livraison n’intéresse pas directement les rapports entre le maître de l’ouvrage et les constructeurs. Elle intervient dans les rapports entre vendeur et acquéreur d’un immeuble, notamment dans les ventes en l’état futur d’achèvement. La livraison correspond au moment où l’acquéreur prend possession du bien (remise des clés). En pratique, dans une opération de promotion immobilière, la livraison à l’acquéreur intervient après la réception par le maître de l’ouvrage (le promoteur).
La livraison correspond donc à la remise matérielle de l’ouvrage, tandis que la réception est un acte juridique aux effets beaucoup plus étendus (déclenchement des garanties, purge des vices apparents, transfert de la garde de l’ouvrage). Les deux notions ne se confondent pas.
1.2 – Les conséquences de l’absence de réception des travaux
En l’absence de réception :
- il n’y a pas d’acceptation des travaux par le maître de l’ouvrage ;
- il n’y a pas de date de réception susceptible de servir de point de départ aux différentes garanties légales (parfait achèvement, biennale, décennale) ;
- il est en principe impossible de mobiliser la garantie décennale, qui suppose une réception préalable.
L’entrepreneur demeure alors responsable de la garde de l’ouvrage : il continue d’assumer les risques liés à la conservation et à l’entretien du chantier, y compris en cas de dommages causés à l’ouvrage avant réception.
Sur le terrain procédural, l’absence de réception peut avoir des conséquences importantes :
- le maître de l’ouvrage ne peut pas utilement invoquer les garanties légales de construction ;
- il doit agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, avec un régime de preuve et de prescription différent ;
- l’assureur de responsabilité décennale peut opposer l’absence de réception comme fin de non-recevoir ;
- le juge doit alors qualifier précisément la situation (absence de réception, réception tacite, réception judiciaire).
2. – Les différentes formes de réception
2.1 – La réception expresse ou amiable
2.1.1 – Le procès-verbal de réception
La réception expresse est constatée par un procès-verbal de réception signé au moins par le maître de l’ouvrage. Ce document constitue un élément probatoire majeur. La signature du maître de l’ouvrage fait présumer sa volonté d’accepter l’ouvrage avec ou sans réserves.
2.1.2 – Caractère contradictoire de la réception expresse
En vertu de l’article 1792-6 du Code civil, la réception doit être prononcée contradictoirement. Une réception qui n’aurait pas été faite au contradictoire des entrepreneurs ne peut, en principe, leur être opposée.
La Cour de cassation considère toutefois que ce caractère contradictoire est satisfait dès lors que les entrepreneurs ont été régulièrement convoqués aux opérations de réception. L’absence de signature du procès-verbal par un entrepreneur régulièrement convoqué n’empêche pas que la réception lui soit opposable (Cour de cassation, troisième chambre civile, 3 juin 2015, numéro 14-17.744).
De même, il appartient au maître de l’ouvrage d’être en mesure de prouver la convocation des constructeurs, afin de démontrer que la réception a bien été organisée contradictoirement (Cour de cassation, troisième chambre civile, 7 mars 2019, numéro 18-12.221).
Pour autant, la réception reste un acte unilatéral du maître de l’ouvrage : l’article 1792-6 n’exige ni la présence, ni la signature des constructeurs. Le caractère contradictoire implique que ceux-ci aient eu la possibilité de participer à la réception, non qu’ils l’aient effectivement fait.
2.1.3 – Valeur probatoire : importance et limites
Le procès-verbal de réception bénéficie d’une force probante importante, mais non absolue. Le juge conserve la faculté d’en apprécier la cohérence avec les autres éléments du dossier : courriels, échanges antérieurs, réserves oubliées, constats d’huissier, rapports d’expertise, incohérences graves.
Si des éléments précis et concordants révèlent une absence réelle d’acceptation de l’ouvrage par le maître de l’ouvrage, le juge peut écarter la qualification de réception à la date prétendue, malgré l’existence formelle d’un procès-verbal.
2.1.4 – Réception partielle
La jurisprudence admet que les parties puissent opter pour une réception partielle, par lots ou par tranches, lorsque cette modalité est cohérente avec la structure de l’opération (par exemple réception successive des différents bâtiments d’un ensemble immobilier, ou de tranches fonctionnelles distinctes). En présence de travaux de reprise de désordres affectant le même ouvrage, il y aura autant de points de départ des délais qu’il y a de réceptions distinctes (Cour de cassation, troisième chambre civile, 2 mars 2011, numéro 10-15.211).
En revanche, il ne peut pas y avoir de réception partielle à l’intérieur d’un même lot ; un même lot de travaux ne peut être regardé comme partiellement réceptionné et partiellement non réceptionné (Cour de cassation, troisième chambre civile, 2 février 2017, numéro 14-19.279).
2.1.5 – Particularités du contrat de construction de maison individuelle
Dans le régime spécifique du contrat de construction de maison individuelle, la réception demeure la clé de voûte du droit des désordres : elle fixe le point de départ des garanties, détermine le sort des désordres apparents, et sert de référence à l’assureur dommages-ouvrage et à l’assureur de responsabilité décennale du constructeur.
La jurisprudence refuse que les parties définissent contractuellement des mécanismes de « réception tacite » plus larges que ceux issus de la loi et de la jurisprudence, notamment au détriment d’un maître de l’ouvrage non professionnel.
2.2 – La réception tacite
La réception tacite est invoquée en l’absence de réception expresse, lorsque les acteurs de l’opération de construction n’ont pas organisé de réception amiable et ne sollicitent pas, à titre principal, le prononcé d’une réception judiciaire.
Le maître de l’ouvrage peut demander à la juridiction saisie d’un contentieux relatif à des désordres :
- de constater l’existence d’une réception tacite, à titre incident,
- afin de pouvoir bénéficier des garanties légales dont la réception est le préalable indispensable.
Les entrepreneurs peuvent également avoir intérêt à se prévaloir d’une réception tacite :
- soit pour soutenir que certains désordres étaient apparents et non réservés,
- soit pour invoquer une forclusion ou une prescription liée au point de départ des délais de garantie.
2.2.1 – Principe : la volonté non équivoque
La réception tacite exige une volonté non équivoque du maître de l’ouvrage d’accepter l’ouvrage en l’état. Ce critère est central : le juge doit expressément rechercher et caractériser cette volonté (Cour de cassation, troisième chambre civile, 4 janvier 2006, numéro 04-16.446).
La jurisprudence considère que la prise de possession de l’ouvrage et le paiement du prix des travaux font présumer la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de le recevoir avec ou sans réserves (Cour de cassation, troisième chambre civile, 25 juin 2020, numéro 19-15.780 ; Cour de cassation, troisième chambre civile, 30 janvier 2019, pourvois numéro 18-10.197 et 18-10.699).
Ces deux éléments constituent un faisceau d’indices privilégié, mais ils doivent être appréciés en tenant compte de l’ensemble du contexte (réserves, réclamations, comportement des parties).
2.2.2 – Nécessité cumulative de la prise de possession et du paiement du prix
Lorsque l’un de ces deux éléments fait défaut, la présomption de réception tacite est normalement écartée :
- la seule prise de possession, en l’absence de règlement du solde des travaux, est insuffisante pour caractériser une volonté non équivoque d’accepter l’ouvrage (Cour de cassation, troisième chambre civile, 12 septembre 2012, numéro 09-71.189) ;
- le seul paiement du prix ne permet pas davantage de démontrer une telle volonté (Cour de cassation, troisième chambre civile, 30 septembre 1998, numéro 96-17.014).
À l’inverse, la réunion de ces deux éléments (prise de possession et paiement du prix, ou de la quasi-totalité du prix) permet de présumer la réception tacite, même si l’ouvrage n’est pas entièrement achevé :
la Cour de cassation a jugé que la réception tacite n’est pas subordonnée à l’achèvement complet de l’ouvrage, dès lors que le maître de l’ouvrage en a pris possession et a payé le prix (Cour de cassation, troisième chambre civile, 16 janvier 2013, numéro 11-19.605 ; Cour de cassation, troisième chambre civile, 25 juin 2020, numéro 19-15.780).
Il en résulte que ni l’inachèvement de certains travaux, ni le fait que l’ouvrage ne serait pas encore en état d’être habité, ne font obstacle, à eux seuls, à la constatation d’une réception tacite, dès lors que la prise de possession et le paiement sont établis.
2.2.3 – Échec de la réception tacite malgré la réunion des deux conditions
Même lorsque la prise de possession et le paiement de la quasi-totalité du prix sont réunis, la réception tacite peut être exclue si des indices rendent équivoque la volonté du maître de l’ouvrage d’accepter l’ouvrage en l’état.
La jurisprudence fournit plusieurs illustrations :
- lorsque le maître de l’ouvrage n’a pas d’autre domicile qu’un mobil-home, la prise de possession de la maison qu’il a fait édifier est regardée comme contrainte et ne traduit pas une volonté non équivoque d’accepter l’ouvrage (Cour de cassation, troisième chambre civile, 25 janvier 2018, numéro 16-25.520) ;
- lorsque le maître de l’ouvrage, après être entré en possession, adresse au constructeur un courrier indiquant que le paiement du prix ne vaut pas réception des travaux, la volonté non équivoque d’accepter l’ouvrage en l’état n’est pas démontrée (Cour de cassation, troisième chambre civile, 3 décembre 2002, numéro 00-21.304).
La démarche du juge consiste donc à apprécier au cas par cas, à partir d’un faisceau d’indices, si le comportement du maître de l’ouvrage révèle une véritable acceptation de l’ouvrage, ou au contraire le maintien de contestations sur la qualité ou l’achèvement des travaux.
2.2.4 – Date de la réception tacite
En principe, la date de la réception tacite correspond à la date du dernier événement caractérisant la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage d’accepter l’ouvrage en l’état (prise de possession, paiement de la quasi-totalité du prix, éventuels échanges écrits).
La Cour de cassation a jugé que cette date ne peut pas être fixée automatiquement au jour de l’achèvement des travaux ; il convient de rechercher la date à laquelle le maître de l’ouvrage a véritablement accepté l’ouvrage, en fait et en droit (Cour de cassation, troisième chambre civile, 22 octobre 2002, numéro 01-10.967).
2.2.5 – Réception tacite partielle (réception par lot)
La réception tacite peut intervenir par lot, indépendamment de l’achèvement de l’ensemble de l’ouvrage. La Cour de cassation a jugé que l’achèvement de la totalité de l’ouvrage n’est pas une condition de la prise de possession d’un lot et de sa réception ; le paiement de l’intégralité des travaux d’un lot et sa prise de possession par le maître de l’ouvrage valent présomption de réception tacite de ce lot (Cour de cassation, troisième chambre civile, 30 janvier 2019, pourvois numéro 18-10.197 et 18-10.699).
Cette solution permet d’admettre des réceptions échelonnées dans les opérations complexes, tout en conservant l’exigence d’une volonté non équivoque.
2.2.6 – Réception tacite exclue en cas de contestations
La contestation de la qualité ou de la conformité des travaux, avant ou après la prise de possession, fait obstacle à la réception tacite. La jurisprudence considère que la réception tacite est incompatible avec une contestation sérieuse des travaux par le maître de l’ouvrage (réclamations écrites, réserves persistantes, refus explicite de réception).
Il a ainsi été jugé qu’en présence de courriers de réclamation ou de contestations claires de la qualité des travaux, la prise de possession et le paiement ne suffisent pas à caractériser une volonté non équivoque de recevoir l’ouvrage (Cour de cassation, troisième chambre civile, 1er avril 2021, numéro 19-25.563).
2.3 – La réception judiciaire
2.3.1 – Fondement légal et utilité
La réception judiciaire se distingue de la réception tacite : elle résulte d’une décision de justice constatant que l’ouvrage est en état d’être reçu.
Elle intervient, en pratique :
- soit à la demande du maître de l’ouvrage, en cas de conflit persistant avec les entrepreneurs ou d’abandon de chantier ;
- soit à la demande des entrepreneurs, pour pallier l’inertie du maître de l’ouvrage ou contester le caractère abusif de son refus de réceptionner.
Conformément à l’article 1792-6 du Code civil, seules les parties au contrat de construction peuvent solliciter la réception judiciaire ; l’assureur dommages-ouvrage, par exemple, est dépourvu de qualité pour le faire.
2.3.2 – Critères d’appréciation
En l’état de la jurisprudence récente, la condition déterminante de la réception judiciaire est que l’ouvrage soit en état d’être reçu ou habité.
La Cour de cassation a ainsi jugé que la réception judiciaire peut être prononcée dès lors que l’ouvrage est objectivement en état d’être reçu, sans que l’achèvement intégral soit exigé (Cour de cassation, troisième chambre civile, 18 octobre 2018, numéro 17-24.278 ; Cour de cassation, troisième chambre civile, 19 septembre 2024, numéro 22-24.871).
La réception judiciaire ne peut pas être refusée pour le seul motif que le maître de l’ouvrage n’a pas versé l’intégralité du prix des travaux, si aucun élément ne démontre que la construction n’est pas en état d’être habitable (Cour de cassation, troisième chambre civile, 4 juin 1997, numéro 95-13.046).
En résumé, la réception judiciaire n’est pas subordonnée à l’achèvement intégral de l’ouvrage, mais à son aptitude à sa destination (être habité, exploité ou utilisé conformément à ce qui était prévu).
2.3.3 – Modalités de la réception judiciaire
Lorsque la juridiction est saisie d’une demande de réception judiciaire, elle peut désigner un expert judiciaire afin de déterminer si l’ouvrage est en état d’être réceptionné.
L’expert doit notamment :
- décrire l’état d’avancement des travaux ;
- dire si l’ouvrage est en état d’être habité ou utilisé conformément à sa destination ;
- lister les réserves éventuelles ;
- proposer une date de réception.
Sur la base de ce rapport, la juridiction prononce la réception judiciaire, avec ou sans réserves, et fixe la date de réception qui servira de point de départ aux différents délais d’action contre les constructeurs et leurs assureurs.
3. – Désordres apparents, désordres cachés et articulation avec la réception
3.1 – Importance structurante de la distinction
La distinction entre désordres apparents et désordres cachés au jour de la réception est fondamentale. Elle détermine :
- le régime applicable au dommage (garantie de parfait achèvement, garantie biennale, garantie décennale, responsabilité contractuelle de droit commun) ;
- la responsabilité mobilisable (constructeurs, contrôleur technique, assureurs) ;
- l’issue de l’action en indemnisation.
Les désordres apparents doivent être réservés lors de la réception. À défaut, ils sont réputés acceptés.
L’absence de dénonciation des défauts apparents emporte une présomption irréfragable de renonciation à demander réparation (en nature ou en dommages et intérêts) des désordres en question. La jurisprudence affirme de manière constante que « les défauts de conformité contractuels apparents sont, comme les vices de construction apparents, couverts par la réception sans réserves » (Cour de cassation, troisième chambre civile, 28 février 2012, numéro 11-13.670 ; 27 mars 2012, numéro 11-15.468 ; 25 mai 2022, numéro 21-13.441).
La réception sans réserves libère ainsi les constructeurs, envers le maître de l’ouvrage, de leur responsabilité contractuelle pour les désordres apparents.
3.2 – Définition du caractère apparent au jour de la réception
Le caractère apparent d’un désordre s’apprécie :
- objectivement, au moment de la réception,
- en fonction des connaissances normales d’un maître de l’ouvrage non professionnel.
Un désordre peut être apparent même si sa gravité exacte n’était pas pleinement perçue : il suffit que l’existence du défaut soit visible ou décelable sans investigations techniques approfondies.
Lorsque le maître de l’ouvrage dispose d’une compétence particulière (professionnel du bâtiment, maître d’ouvrage expérimenté, exploitant commercial habitué à la réalisation de travaux importants), le seuil d’appréciation peut être relevé, le juge considérant qu’il devait être plus vigilant dans la détection des défauts.
3.3 – Désordres cachés : régime légal applicable
Les désordres cachés sont ceux qui ne pouvaient être découverts lors de la réception, compte tenu des circonstances et des compétences raisonnables du maître de l’ouvrage.
Lorsqu’ils compromettent la solidité de l’ouvrage ou le rendent impropre à sa destination, ils relèvent de la garantie décennale (Cour de cassation, troisième chambre civile, 15 juin 2023, numéro 22-15.406).
Lorsqu’ils affectent un élément d’équipement dissociable, sans compromettre la solidité de l’ouvrage ni sa destination, ils relèvent en principe de la garantie biennale.
La jurisprudence insiste sur le fait que la qualification du désordre (décennal, biennal, intermédiaire) dépend des effets concrets du dommage sur le fonctionnement global de l’ouvrage et non de la seule nature de l’élément technique atteint.
3.4 – Désordres intermédiaires : portée et traitement
Certains dommages ne compromettent ni la solidité, ni la destination de l’ouvrage, mais excèdent un simple défaut mineur de conformité contractuelle. On les qualifie parfois de désordres intermédiaires.
Ces désordres :
- relèvent en principe de la garantie de parfait achèvement lorsqu’ils sont signalés dans l’année suivant la réception ;
- à défaut de mise en œuvre utile de cette garantie, ils ressortent du régime contractuel de droit commun, sous réserve de prouver une faute du constructeur antérieure à la réception, un préjudice et un lien de causalité.
3.5 – Désordres évolutifs et apparition progressive
Certains désordres se manifestent de manière progressive (infiltrations, affaissements de dallage, défauts de réseaux techniques), alors que les premières manifestations étaient peu significatives au moment de la réception ou dans les années immédiatement postérieures.
La jurisprudence admet que, lorsque l’évolution du désordre révèle un phénomène qui, en réalité, affectait déjà l’ouvrage au moment de la réception, et que la destination de l’ouvrage se trouve compromise, la garantie décennale peut être mobilisée (Cour de cassation, troisième chambre civile, 30 mars 2022, numéro 21-13.067).
Le juge doit alors déterminer :
- si le désordre trouve son origine dans la conception ou l’exécution antérieure à la réception ;
- si son aggravation ultérieure rend l’ouvrage impropre à sa destination dans le délai décennal.
3.6 – Appréciation spécifique dans les ouvrages professionnels
Dans les locaux commerciaux, ateliers, entrepôts ou bureaux, la notion d’« apparence » doit être maniée avec prudence.
Certains défauts visibles lors de la réception (sol légèrement inégal, éclairage insuffisant, ventilation imparfaite) peuvent ne révéler leur véritable gravité qu’après la mise en exploitation, lorsque l’inadéquation fonctionnelle apparaît clairement (troubles d’exploitation, baisse de rendement, non-conformité aux normes d’hygiène ou de sécurité).
Le juge doit alors se demander :
- si le maître de l’ouvrage a réellement accepté le désordre en connaissance de cause ;
- ou si le caractère dommageable du défaut, au regard de la destination professionnelle des locaux, ne pouvait raisonnablement être apprécié qu’à l’usage.
4. – Effets de la réception sur les garanties légales
La réception constitue le point de départ obligatoire des trois garanties légales :
- la garantie de parfait achèvement pendant un an,
- la garantie de bon fonctionnement (dite « garantie biennale ») pendant deux ans,
- la garantie décennale pendant dix ans.
Avant la réception, le régime applicable est celui de la responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs. Après la réception, le contentieux des désordres bascule en principe vers les garanties légales, sous réserve de la distinction entre désordres apparents (couverts, sauf réserves) et désordres cachés.
L’ensemble de ces garanties fera l’objet d’une étude séparée, détaillant :
- leurs conditions d’application,
- leurs bénéficiaires,
- les délais d’action,
- l’articulation avec les assurances obligatoires.
5. – Recommandations pratiques pour les juridictions
5.1 – Vérification systématique de la réception
Dans tout contentieux impliquant des désordres de construction, le juge doit toujours :
- identifier l’existence ou non d’une réception ;
- en préciser la date ;
- en déterminer la forme (expresse, tacite ou judiciaire) ;
- relever les réserves éventuelles et leur levée.
Cette analyse conditionne le fondement juridique de l’action, la responsabilité mobilisable et les délais applicables.
5.2 – Exclusion de la réception tacite en cas de contestations
La moindre contestation sérieuse de la qualité ou de la conformité des travaux, exprimée avant ou peu après la prise de possession, fait obstacle à la réception tacite. La volonté non équivoque du maître de l’ouvrage demeure le critère déterminant.
Le juge doit donc examiner attentivement :
- les échanges de courriels, lettres de réclamation, mises en demeure ;
- les réserves formulées à l’occasion d’états des lieux ou de constats ;
- le comportement du maître de l’ouvrage après la prise de possession.
5.3 – Analyse rigoureuse des réserves et de leur levée
Les réserves doivent être précises et circonstanciées (désordres identifiés, localisation, nature des reprises attendues).
La charge de la preuve de la levée des réserves pèse sur l’entrepreneur ou le constructeur. En l’absence de preuve claire de la levée, l’élément réservé demeure soumis au régime contractuel et peut engager la responsabilité de droit commun du constructeur.
5.4 – Qualification du désordre : apparent ou caché
Le juge doit déterminer, pour chaque désordre :
- s’il était visible ou décelable au moment de la réception par un maître de l’ouvrage normalement attentif ;
- ou s’il ne pouvait raisonnablement être découvert qu’après la réception.
Cette qualification conditionne :
- la possibilité d’invoquer les garanties légales (décennale, biennale, parfait achèvement) ;
- la recevabilité d’une action fondée sur la responsabilité contractuelle ou délictuelle ;
- la charge de la preuve et les délais de prescription.
En résumé
La réception est un acte juridique unilatéral du maître de l’ouvrage, aux effets impératifs.
Elle peut être expresse, tacite ou judiciaire, mais suppose toujours une volonté non équivoque d’accepter l’ouvrage.
Elle marque la frontière entre la responsabilité contractuelle de droit commun et les garanties légales de construction.
Pour le juge consulaire, la bonne qualification de la réception et de ses conséquences constitue un préalable indispensable à tout raisonnement sur les responsabilités et les garanties d’assurance.
6. – Tableau récapitulatif des trois formes de réception (expresse/tacite/judiciaire)
| Élément comparé | Réception expresse (amiable) | Réception tacite | Réception judiciaire |
|---|---|---|---|
| Fondement |
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| Initiative |
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| Forme |
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| Caractère contradictoire |
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| Élément central |
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| Exemples typiques |
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| Réserves |
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| Date de la réception |
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| Effets principaux |
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| Avantages pratiques |
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| Points de vigilance pour le juge |
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- La forme de la réception change, mais les effets sont identiques dès lors que la réception est acquise.
- La réception tacite ne doit jamais être déduite sans une analyse précise de la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage.
- La réception judiciaire est l’outil à privilégier en cas de blocage durable entre le maître de l’ouvrage et les constructeurs.