De la garantie des défauts de la chose vendue :
le vice caché
le vice caché
- 0. – ⚖️ Préambule : distinction entre la garantie des vices cachés et les autres actions possibles
- 1. – ⚖️ Définition et fondements du vice caché
- 2. – ⚖️ Preuve incombant à l’acquéreur
- 3. – ⚖️ Les actions ouvertes à l’acheteur
- 4. – ⚖️ Vendeur professionnel : assimilation à un vendeur de mauvaise foi
- 5. – ⚖️ La transmission de la garantie aux propriétaires successifs de la chose
- 6. – ⚖️ Délai de deux ans pour agir en garantie – Prescription de l’action
- 7. – ⚖️ Les clauses contractuelles relatives à la garantie des vices cachés
- Définition légale : le vice caché est un défaut grave, non apparent, antérieur à la vente, rendant la chose impropre à son usage normal ou en diminuant fortement l’utilité (articles 1641 à 1649 du Code civil).
- Vendeur professionnel : présomption irréfragable de connaissance du vice (article 1645 du Code civil). Toute clause d’exclusion ou de limitation de garantie est inopérante, sauf si l’acheteur est un professionnel de même spécialité.
- Actions ouvertes à l’acheteur : action rédhibitoire (annulation du contrat, restitution de la chose et du prix) ou action estimatoire (réduction du prix). Le choix appartient exclusivement à l’acheteur ; le juge ne peut substituer une action à une autre.
- Chaîne des ventes : la garantie se transmet avec la chose. Le sous-acquéreur peut agir directement contre tout vendeur antérieur (fabricant, grossiste, distributeur). L’action est de nature contractuelle et soumise aux clauses du contrat liant le vendeur mis en cause.
- Délai de deux ans : l’action doit être exercée dans les deux ans suivant la découverte du vice. Pour le recours du vendeur intermédiaire contre son propre vendeur, le délai court à compter de l’assignation reçue.
- Délai-butoir de vingt ans : toute action fondée sur les vices cachés devient impossible vingt ans après la vente passée par la partie recherchée en garantie (article 2232 du Code civil – Cassation, 6 décembre 2023).
- Dommages-intérêts : ils sont possibles si le vendeur était de mauvaise foi (connaissance du vice). Préjudices indemnisables : frais liés à la vente, immobilisation de la chose, pertes d’exploitation, préjudice commercial.
0. – ⚖️ Préambule : distinction entre la garantie des vices cachés et les autres actions possibles
Diverses actions peuvent être exercées contre le vendeur à raison de l’état, des qualités ou du fonctionnement de la chose. Parmi ces actions figure la garantie légale des vices cachés, qui n’est qu’un des fondements possibles de la responsabilité.
En dehors du vice affectant la chose elle-même, l’acquéreur peut notamment invoquer à l’encontre du vendeur :
- l’erreur lors de la conclusion du contrat ;
- la non-conformité de la chose avec ce qui était convenu ;
- le manquement à l’obligation d’information sur les dangers de la chose ;
- le défaut de conseil ;
- le manquement à l’obligation de sécurité ;
- la responsabilité délictuelle ;
- la responsabilité du fait des produits défectueux.
La présente étude est exclusivement consacrée à l’action fondée sur la garantie des vices cachés. Elle n’a pas vocation à traiter de manière détaillée ces autres fondements, même si le juge devra, dans chaque affaire, vérifier que le vice caché est bien le terrain juridique le plus adapté au litige dont il est saisi.
1. – ⚖️ Définition et fondements du vice caché
1.1 – Définition juridique du vice caché
Le vice caché trouve son fondement dans les articles 1641 à 1649 du Code civil.
Le vendeur est tenu de garantir l’acheteur contre les défauts cachés de la chose vendue qui :
- la rendent impropre à l’usage auquel on la destine ;
- ou diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou en aurait donné un moindre prix, s’il les avait connus.
Cette garantie constitue un régime autonome, distinct de ceux relatifs à la non-conformité ou à la responsabilité délictuelle.
1.2 – Fondements du vice caché
1.2.1 – La notion de vice
Au sens de l’article 1641, le vice – que le législateur qualifie aussi de « défaut » – se définit par ses conséquences : l’inaptitude de la chose à l’usage normal auquel elle est destinée.
En vendant la chose, le vendeur garantit implicitement qu’elle présente les qualités que tout acheteur peut légitimement en attendre. Le vice s’identifie donc à toute défectuosité empêchant la chose de rendre, pleinement et normalement, les services attendus.
Il peut résulter :
- d’un mauvais état ou d’un mauvais fonctionnement ;
- de l’impossibilité d’en faire un usage normal ;
- ou de conséquences nuisibles lors d’une utilisation ordinaire.
Si l’acheteur entend donner à la chose un usage particulier, différent de sa destination normale, la garantie ne joue que si le vendeur a été préalablement informé de cette utilisation.
Le vendeur répond du vice même s’il est indécelable, dès lors que des contrôles raisonnables auraient pu en révéler l’existence.
La proximité temporelle entre la vente et l’apparition du dysfonctionnement constitue souvent un indice déterminant. Plus le défaut se manifeste tôt, plus il est vraisemblable qu’il existait dès l’origine.
En revanche, la responsabilité du vendeur ne peut être engagée lorsque les défectuosités résultent :
- d’un mauvais montage ;
- d’un entretien négligé ;
- ou d’une utilisation non conforme.
L’appréciation du vice devient plus délicate lorsque la chose est intégrée dans un ensemble complexe, par exemple un matériel incorporé à un autre système ou un logiciel interagissant avec d’autres programmes.
Dans ces situations, il appartient au juge de déterminer si le vice réside dans la chose elle-même ou dans l’usage que l’acheteur en a fait au regard de l’ensemble dans lequel elle fonctionne.
L’utilité attendue peut aussi être appréciée au regard des déclarations du vendeur (notice technique, publicité, engagements commerciaux), ces éléments contribuant à définir les attentes légitimes de l’acheteur.
Les juges du fond apprécient souverainement l’existence du vice, mais doivent en préciser la nature et les effets concrets pour motiver valablement leur décision.
1.2.2 – Gravité du vice
La garantie ne joue que si le vice est suffisamment grave pour rompre l’équilibre contractuel.
Un simple défaut mineur ou aisément réparable ne justifie pas la résolution, sauf s’il rend la chose impropre à une utilisation normale ou présente un caractère dangereux.
Pour les biens d’occasion, les tribunaux exigent un défaut d’une gravité particulière, l’acheteur devant s’attendre à une usure en rapport avec l’âge de la chose.
1.2.3 – Caractère caché du vice
Le vice doit être caché, c’est-à-dire non apparent pour un acheteur diligent.
Un vice est réputé caché s’il n’aurait pu être découvert lors d’un examen normal, compte tenu :
- de la nature de la chose ;
- et de la qualité des parties (acheteur professionnel ou non).
À l’inverse, est apparent tout défaut qu’un examen attentif, notamment par un professionnel, aurait dû révéler.
La compétence technique de l’acheteur joue ici un rôle essentiel : plus elle est élevée, plus l’exigence de vigilance est forte.
La bonne ou mauvaise foi du vendeur est indifférente à la mise en œuvre de la garantie. Elle n’a d’incidence que sur l’étendue de la responsabilité, notamment en matière de dommages-intérêts.
En revanche, un camouflage volontaire du vice ou une information trompeuse peuvent constituer un dol, ouvrant la voie à une action distincte.
1.3 – Antériorité du vice par rapport à la vente
Pour ouvrir droit à la garantie, le vice doit exister au moment de la vente, ou plus précisément au moment du transfert de propriété.
Le principal obstacle rencontré par les acheteurs est la preuve de cette antériorité.
Les juges du fond apprécient souverainement si le vice préexistait à la vente, mais doivent relever les circonstances établissant cette antériorité.
Certains vices sont, par nature, originaires (défaut de conception, défaut de fabrication), ce qui simplifie la démonstration.
D’autres, en revanche, peuvent apparaître à n’importe quel moment (mauvais état, détérioration progressive, mauvais fonctionnement), rendant la preuve beaucoup plus délicate.
L’action échouera notamment lorsque :
- des intervenants extérieurs ont pu modifier la chose après la vente ;
- l’origine du mauvais fonctionnement ne peut pas être clairement datée ;
- des conditions de stockage ou d’utilisation imputables à l’acheteur ont pu altérer la chose.
Ainsi, lorsque la détérioration peut être imputée à la pose ou à l’installation du matériel par un tiers, la preuve de l’antériorité devient très difficile.
2. – ⚖️ Preuve incombant à l’acquéreur
Lorsque la chose a été délivrée et reçue sans qu’elle soit refusée, l’obligation de délivrance est matériellement exécutée.
À partir de ce moment, il appartient à l’acquéreur, demandeur en garantie, d’établir que la chose ne répond pas à l’usage que l’on peut légitimement en attendre.
Le vendeur, débiteur de la délivrance, justifie sa libération en remettant la chose ; c’est alors à l’acheteur de démontrer l’existence du vice.
2.1 – Preuve de l’existence d’un vice imputable au vendeur
L’acheteur doit rapporter la preuve des conditions prévues à l’article 1641 du Code civil :
- l’existence d’un vice affectant la chose ;
- sa gravité ;
- son antériorité par rapport à la vente.
Il peut être nécessaire d’identifier la cause des défectuosités constatées, notamment lorsque plusieurs origines possibles sont envisageables (défaut de conception, montage défectueux, mauvaise utilisation, détérioration postérieure).
2.1.1 – Le caractère caché du vice : une nuance importante
Sur ce point, une partie de la doctrine considère que la preuve du caractère caché ne pèse pas sur l’acheteur, dès lors que l’existence du vice est établie.
Dans cette perspective, il revient au vendeur, s’il souhaite échapper à la garantie, de démontrer que l’acheteur avait connaissance du défaut au moment de la vente.
Cette position, favorable à l’acquéreur, reste cohérente avec la finalité protectrice du régime de la garantie des vices cachés.
2.1.2 – Les modes de preuve
La preuve peut résulter :
- d’indices objectifs (correspondances, échanges entre les parties, réclamations, interventions techniques, factures de réparations) ;
- ou d’une expertise, généralement le moyen le plus adapté compte tenu de la technicité fréquente des litiges.
2.1.3 – L’expertise
En pratique, l’expertise judiciaire est la pièce maîtresse dans la plupart des actions fondées sur les vices cachés.
L’acquéreur a tout intérêt à la solliciter en référé dès l’apparition des dysfonctionnements. Le rapport d’expertise permettra notamment :
- d’établir la date d’apparition du défaut ;
- de qualifier son caractère caché ;
- de déterminer l’impossibilité d’usage ou la diminution de valeur ;
- d’examiner l’origine du dysfonctionnement (vice de la chose, mauvaise installation, usage anormal, intervention d’un tiers, et autres situations similaires).
2.1.4 – Caractère contradictoire
L’expertise doit, en principe, être contradictoire : le vendeur doit être mis en mesure d’y assister.
Toutefois, la jurisprudence admet que le juge du fond puisse tenir compte d’un rapport d’expertise établi en référé sans la présence du vendeur, dès lors que le rapport a été versé aux débats et discuté contradictoirement.
2.1.5 – Frais et limites de l’expertise
L’acquéreur doit en principe avancer les frais de l’expertise, ce qui peut limiter l’efficacité de la garantie lorsque l’enjeu financier est modeste.
Le juge peut refuser une expertise lorsqu’elle serait inutile ou impossible :
- trop de temps écoulé ;
- impossibilité d’examiner l’état initial de la chose ;
- remise en état déjà réalisée sans constat préalable ;
- altération de la chose par un tiers.
2.1.6 – Présomption contre le vendeur professionnel
En cas de difficulté, la jurisprudence reconnaît une présomption de connaissance du vice par le vendeur professionnel (Cour de cassation, chambre commerciale, 24 novembre 1981, numéro 80-13.311).
Cette présomption simplifie la preuve lorsque le vendeur est un professionnel du secteur.
2.2 – Preuve du lien de causalité entre le vice et le dommage
L’acheteur doit également démontrer que le vice est bien la cause du dommage qu’il invoque.
Comme dans tout contentieux de la responsabilité, la charge de cette preuve lui incombe.
Cependant, les juges peuvent déduire ce lien directement des circonstances de l’affaire, notamment lorsque :
- le défaut constaté rend la chose inexploitable ;
- les conséquences sont manifestement liées à la défectuosité identifiée ;
- aucune autre cause sérieuse n’est envisageable.
Dans de nombreux cas, l’expertise technique permet à elle seule de caractériser ce lien causal.
3. – ⚖️ Les actions ouvertes à l’acheteur
L’action en garantie des vices cachés peut conduire à plusieurs issues.
L’article 1644 du Code civil reconnaît à l’acquéreur un choix entre deux sanctions principales :
- l’action rédhibitoire, qui entraîne la résolution de la vente (restitution de la chose contre restitution du prix) ;
- l’action estimatoire, qui permet une réduction du prix proportionnée à la gravité du vice.
Ces deux actions peuvent être exercées quelle que soit la bonne ou mauvaise foi du vendeur (article 1643 du Code civil).
Par ailleurs, l’acquéreur peut rechercher d’autres modalités d’exécution de la garantie, telles que la remise en état ou le remplacement, questions qu’il convient d’examiner séparément.
3.1 – L’option de l’acquéreur
Le choix entre action rédhibitoire et action estimatoire appartient exclusivement à l’acquéreur.
Il peut :
- exercer l’action rédhibitoire à titre principal et l’action estimatoire à titre subsidiaire (Cour de cassation, chambre commerciale, 6 mars 1990, numéro 88-14.929) ;
- modifier sa demande tant qu’aucune décision définitive n’a été rendue.
Le juge est strictement lié par ce choix : s’il est saisi d’une action rédhibitoire qu’il estime injustifiée, il ne peut pas substituer d’office une réduction du prix.
L’acquéreur sera alors débouté, sauf à modifier sa demande en appel.
Cependant, le juge peut refuser la résolution lorsque :
- le vice n’est pas suffisamment grave ;
- ou lorsque la remise en état est aisément réalisable et offerte dans des conditions satisfaisantes par le vendeur.
Dans ces hypothèses, seule l’action estimatoire apparaît proportionnée.
3.2 – L’action rédhibitoire
L’action rédhibitoire conduit à l’anéantissement du contrat : l’acheteur rend la chose et le vendeur restitue le prix.
3.2.1 – Rendre la chose
L’action rédhibitoire suppose, en principe, que l’acquéreur soit en mesure de restituer la chose.
S’il en est incapable, sauf si l’impossibilité est imputable au vendeur, seule l’action estimatoire demeure ouverte.
L’article 1647 du Code civil apporte deux tempéraments :
- si la perte de la chose résulte du vice lui-même, le vendeur en supporte les conséquences et l’action rédhibitoire demeure possible ;
- si la perte résulte d’un cas fortuit non imputable au vice, elle reste à la charge de l’acquéreur, sauf clause de réserve de propriété.
3.2.1.1 – Le sous-acquéreur
Le sous-acquéreur peut également agir en restitution du prix contre :
- son vendeur immédiat ;
- ou tout vendeur antérieur (Cour de cassation, chambre commerciale, 17 mai 1982, numéro 80-16.040).
Cependant, il ne peut obtenir la restitution du prix auprès d’un vendeur antérieur que si celui-ci l’a lui-même perçu.
Il en résulte qu’une condamnation in solidum entre vendeur immédiat et vendeur initial est difficilement concevable pour cette restitution.
3.2.1.2 – Indemnité pour l’usage de la chose : refus constant
Le vendeur ne peut réclamer aucune compensation pour l’usage que l’acquéreur a pu tirer de la chose avant la résolution.
Cour de cassation, chambre commerciale, 30 septembre 2008, numéro 07-16.876 : le vendeur tenu de restituer le prix n’est pas fondé à obtenir une indemnité pour l’utilisation ou l’usure de la chose vendue.
3.2.2 – Rendre le prix
Le vendeur doit restituer l’intégralité du prix payé.
Il doit également rembourser les impenses nécessaires ou utiles exposées par l’acquéreur (travaux indispensables à la conservation ou à l’usage de la chose).
3.3 – L’action estimatoire
L’action estimatoire consiste à solliciter la réduction du prix à proportion du défaut affectant la chose.
Elle permet à l’acheteur de conserver le bien malgré le vice.
Elle vise à replacer l’acquéreur dans la situation où il se serait trouvé si le bien n’avait pas été vicié.
Elle n’a pas la nature de dommages-intérêts : la restitution se limite à la diminution de valeur.
Le montant ne peut jamais dépasser le prix payé.
Les tribunaux disposent d’une large marge d’appréciation, pouvant notamment se fonder sur :
- le coût des travaux de remise en état ;
- les constatations d’une expertise.
3.4 – La remise en état ou le remplacement (exécution en nature)
Au-delà des deux actions prévues à l’article 1644, les parties peuvent rechercher l’exécution en nature de la garantie : remise en état ou remplacement de la chose.
3.4.1 – Demande émanant de l’acquéreur
L’acquéreur peut demander la remise en état ou le remplacement, mais cette solution trouve ses limites dans :
- l’article 1221 du Code civil (proportionnalité de la réparation en nature) ;
- le caractère raisonnable du coût des travaux.
S’il fait réaliser des travaux, il doit impérativement :
- faire constater préalablement l’étendue du vice, idéalement par expertise ;
- ou obtenir l’accord du vendeur sur la prise en charge.
La jurisprudence exige que le coût des travaux ne dépasse pas ce que l’acquéreur pourrait obtenir au titre de l’action estimatoire.
En cas de refus du vendeur d’exécuter sa garantie, l’acheteur peut demander une exécution par un tiers aux frais du vendeur, sur le fondement des principes de l’exécution forcée en nature.
3.4.2 – Demande émanant du vendeur
Le vendeur peut proposer une remise en état, mais ne peut pas l’imposer.
La jurisprudence est constante : il ne peut s’opposer à une action rédhibitoire en offrant le remplacement ou la réparation.
Le libre choix ouvert à l’acheteur par l’article 1644 est exclusif.
3.5 – Les dommages-intérêts
En plus de la résolution ou de la réduction du prix, l’acquéreur peut obtenir des dommages-intérêts, s’il établit :
- un préjudice distinct ;
- et un lien direct avec le vice.
Les préjudices indemnisables peuvent inclure :
- frais liés à la vente ;
- frais accessoires ;
- immobilisation ou indisponibilité du bien ;
- préjudice moral ;
- pertes d’exploitation dans certaines situations.
3.5.1 – Condition : mauvaise foi du vendeur
Selon l’article 1645 du Code civil :
- si le vendeur ignorait le vice, il est tenu seulement de restituer le prix et les frais ;
- s’il connaissait le vice, il doit en outre réparer l’intégralité des dommages.
Le juge devra donc apprécier la mauvaise foi, souvent présumée lorsqu’il s’agit d’un vendeur professionnel (voir paragraphe 4).
3.5.2 – Dommage causé par la chose elle-même
Si la chose a causé un dommage distinct (incendie, accident, blessure), la responsabilité pourra relever du régime des produits défectueux (articles 1245 à 1245-7 du Code civil), notamment lorsque le fabricant est en cause.
4. – ⚖️ Vendeur professionnel : assimilation à un vendeur de mauvaise foi
Pour la Cour de cassation, est considéré comme vendeur professionnel :
- le fabricant de la chose ;
- et toute personne dont l’activité habituelle consiste à vendre des biens du même type.
Cette qualification emporte des conséquences majeures : le vendeur professionnel est assimilé à un vendeur de mauvaise foi, en raison d’une présomption irréfragable.
4.1 – Une présomption irréfragable de connaissance du vice
Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, 17 janvier 2024, numéro 21-23.909 :
« Il résulte de l’article 1645 du Code civil une présomption irréfragable de connaissance du vice par le vendeur professionnel, l’obligeant à réparer l’intégralité des dommages qui en sont la conséquence. »
Cette jurisprudence constante signifie :
- le vendeur professionnel est censé connaître tous les vices de la chose ;
- cette présomption est absolue : il est impossible d’apporter la preuve contraire ;
- même un vice indécelable ne l’exonère pas ;
- il doit réparer tous les dommages, pas seulement restituer le prix.
4.2 – Une règle très générale
Cette solution s’applique :
- aux meubles comme aux immeubles ;
- aux objets neufs comme aux objets d’occasion ;
- aux produits naturels comme aux biens fabriqués ;
- aux vendeurs-distributeurs comme aux fabricants.
Elle est donc transversale et uniforme, sans distinction selon la nature de la chose.
4.3 – Interdiction des clauses limitatives ou exonératoires
Le vendeur professionnel ne peut jamais limiter ou exclure la garantie des vices cachés.
Sont donc réputées sans effet toutes clauses du type :
- vente en l’état ;
- sans garantie ;
- aux risques et périls de l’acquéreur ;
- limitation à un simple remplacement ;
- limitation dans le temps de la garantie ;
- exclusion des immobilisations ou pertes d’exploitation.
Cette règle est justifiée par la présomption de mauvaise foi pesant sur le professionnel, au sens de l’article 1643 du Code civil.
4.4 – Une présomption qui joue même entre professionnels
La présomption profite à tout acquéreur, y compris :
- un professionnel ;
- une entreprise ;
- un acheteur utilisant la chose dans un cadre professionnel.
Autrement dit, le vendeur professionnel reste tenu :
- même si l’acquéreur est lui-même professionnel ;
- même si l’acquéreur a utilisé le bien dans son exploitation.
La seule exception concerne l’hypothèse de la vente entre professionnels de même spécialité, mais cela relève des clauses contractuelles (traité au paragraphe 7).
4.5 – Une assimilation à sens unique : protection maximale de l’acquéreur
La Cour de cassation admet une articulation subtile mais essentielle :
« Il n’est pas contradictoire d’affirmer qu’un vendeur professionnel ne connaissait pas le vice lors de son propre achat, mais est réputé le connaître lors de la revente à son client. »
Conséquences :
- le vendeur intermédiaire peut recourir contre son propre vendeur, car il peut prouver qu’il ignorait le vice au moment de son achat ;
- mais ce même vendeur intermédiaire est réputé avoir connu le vice lorsqu’il revend la chose à son client.
La présomption joue donc uniquement dans le sens protecteur de l’acquéreur final et facilite la remontée de la garantie vers le vendeur initial ou le fabricant.
5. – ⚖️ La transmission de la garantie aux propriétaires successifs de la chose
5.1 – Créancier ou bénéficiaire de la garantie
5.1.1 – Les sous-acquéreurs
La jurisprudence admet que la garantie contre les vices cachés, qui naît du contrat de vente, se transmet avec la chose au sous-acquéreur. Celui-ci, ayant cause à titre particulier de l’acheteur initial, peut donc agir par la voie contractuelle :
- contre son propre vendeur ;
- contre un vendeur intermédiaire ;
- ou même contre le vendeur initial.
L’intérêt est majeur : le sous-acquéreur dispose non d’un seul débiteur, mais d’un faisceau de débiteurs successifs. Il peut agir contre l’un d’entre eux, contre plusieurs simultanément, ou demander leur condamnation in solidum.
La première règle dégagée par la jurisprudence est que le sous-acquéreur ne peut agir, à l’encontre des vendeurs successifs, que sur le terrain contractuel, à la différence d’un tiers qui peut agir en responsabilité délictuelle.
La difficulté réside alors dans le choix des règles contractuelles applicables : faut-il appliquer celles du contrat liant le vendeur mis en cause ou celles du contrat du propriétaire actuel ?
La Cour de cassation a tranché : c’est le contrat liant le vendeur mis en cause qui s’applique.
Exemple : Cour de cassation, troisième chambre civile, 3 novembre 2016, numéro 15-18.340.
Une clause d’exclusion de garantie stipulée entre un fabricant et un professionnel du chauffage a été jugée opposable aux sous-acquéreurs, exerçant l’action contractuelle transmise depuis leur propre vendeur.
Ainsi, le maître de l’ouvrage, tout comme un sous-acquéreur, ne peut agir contre le fabricant que par la voie contractuelle et sous réserve des clauses du contrat qui liait ce fabricant à son acheteur direct.
5.1.2 – Le locataire-acheteur (crédit-bail ou location-vente)
En principe, le locataire-utilisateur n’est pas titulaire, en tant que tel, de l’action en garantie, celle-ci appartenant au crédit-bailleur, véritable propriétaire du bien.
Cependant, le crédit-bailleur exerce en réalité un rôle financier et souhaite se dégager de toute obligation relative à l’état du matériel. Le contrat de crédit-bail prévoit donc presque toujours que :
- le locataire choisit lui-même l’équipement ;
- il agit directement contre le vendeur pour tout problème de fonctionnement ;
- le crédit-bailleur se décharge des obligations de garantie.
Les clauses utilisées (mandat, délégation, subrogation, transmission, stipulation pour autrui, cession) visent toutes le même résultat : placer le locataire dans la situation juridique de l’acheteur.
Dans ces conditions, ce sont les règles de la vente qui s’appliqueront à lui pour tout ce qui concerne les qualités et les défauts de la chose, même si le contrat principal est un contrat de location.
5.2 – Débiteur de la garantie
5.2.1 – Le vendeur immédiat
La garantie est attachée à la qualité juridique de vendeur, quelle que soit sa nature :
- fabricant ;
- grossiste, distributeur, revendeur ;
- particulier ou professionnel ;
- personne physique ou personne morale.
Il importe peu que ce vendeur ne puisse pas, pour des raisons de fait ou de droit, exercer un recours contre son propre vendeur.
5.2.2 – Les vendeurs antérieurs
Les vendeurs antérieurs sont également tenus de la garantie envers l’acquéreur final, en raison de la transmission de la garantie avec la chose, considérée comme un accessoire.
L’acquéreur final peut donc :
- agir contre tout vendeur intermédiaire ;
- remonter jusqu’au vendeur initial ou au fabricant, sous réserve que le vice existait déjà lors de la vente intervenue avec le vendeur mis en cause.
Parallèlement, un vendeur ayant indemnisé l’acquéreur peut exercer un recours contre les vendeurs antérieurs ou postérieurs, par le mécanisme de la subrogation.
Cour de cassation, première chambre civile, 6 janvier 2021, numéro 19-18.588 :
« Le vendeur intermédiaire condamné à garantir les conséquences d’un vice caché peut exercer un appel en garantie contre le fabricant pour la totalité des condamnations mises à sa charge, mais le fabricant peut invoquer des moyens propres pour limiter sa garantie. »
5.3 – Synthèse pédagogique pour le juge consulaire
- La garantie se transmet avec la chose : l’action du sous-acquéreur est contractuelle, non délictuelle.
- Cette action est exercée contre le vendeur mis en cause, selon les règles du contrat qui liait ce vendeur à son propre cocontractant.
- Le sous-acquéreur dispose de plusieurs débiteurs de la garantie : vendeur immédiat, vendeurs intermédiaires, fabricant.
- Les vendeurs intermédiaires disposent d’une action récursoire (appel en garantie).
- Le juge doit vérifier, vendeur par vendeur, si le vice existait lors de la vente correspondante.
6. – ⚖️ Délai de deux ans pour agir en garantie – Prescription de l’action
Article 1648, alinéa 1 du Code civil :
« L’action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l’acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice. »
Ce délai de deux ans est un délai d’action, distinct du délai de prescription extinctive de droit commun. Il s’applique à toute action fondée sur les vices cachés.
6.1 – Point de départ du délai de deux ans
Le texte fixe avec précision le point de départ : la découverte du vice.
Toutefois, déterminer cette date n’est pas toujours évident.
En pratique, les tribunaux retiennent souvent comme date de découverte :
- la date du rapport d’expertise (le plus souvent une expertise en référé), car c’est à cette occasion que sont établies l’existence, la cause et la gravité du défaut.
6.1.1 – Exemple : Cour de cassation, chambre commerciale, 14 juin 2016, numéro 14-19.202
La Cour approuve les juges du fond qui avaient retenu que l’acheteur connaissait le vice dès une expertise amiable, laquelle avait précisément identifié les défectuosités et leurs causes.
En conséquence, les juges doivent expliquer pourquoi ils retiennent une autre date que celle du rapport d’expertise, si tel est le cas.
6.1.2 – Principes dégagés par la jurisprudence
La simple apparition de dysfonctionnements ne suffit pas à faire courir le délai.
Si l’acheteur pouvait considérer ces symptômes comme mineurs, la découverte du vice peut être repoussée.
Le délai peut être retardé jusqu’au moment où l’origine exacte du défaut a pu être objectivement identifiée.
La saisine en référé aux fins d’expertise ne constitue pas, en soi, la découverte du vice. L’acheteur peut agir en référé sans avoir encore déterminé la cause réelle.
6.2 – Prolongation ou suspension du délai : comportement du vendeur
Les juges retiennent que le délai peut être prolongé ou suspendu lorsque le comportement du vendeur révèle une volonté :
- de retarder le règlement du litige ;
- ou de laisser croire à l’acheteur qu’une solution amiable est envisageable.
Exemples :
- réparations provisoires ou de fortune destinées à rassurer l’acheteur ;
- promesses de prise en charge, correspondances laissant croire à une reconnaissance de responsabilité ;
- pourparlers amiables ;
- échanges prolongés, rendez-vous reportés, demandes répétées de pièces.
Ces comportements peuvent repousser le point de départ ou suspendre le délai, au nom de la bonne foi contractuelle.
6.3 – Prescription de l’action en garantie : articulation avec l’article 2232 du Code civil
Cass. civ. 1, 6 décembre 2023, numéro 22-23.487
La Cour de cassation rappelle que :
- l’action en garantie doit être exercée dans les deux ans à compter :
- de la découverte du vice (action de l’acheteur) ;
- ou de l’assignation (action récursoire du vendeur intermédiaire) ;
- cette action ne peut jamais dépasser le délai-butoir de vingt ans prévu à l’article 2232 du Code civil, à compter de la vente passée par la partie recherchée en garantie.
La Cour précise également que l’ancien délai de prescription commerciale de l’article L. 110-4 du Code de commerce ne s’applique plus à la garantie des vices cachés.
6.4 – 🔷 Résumé pédagogique pour le juge consulaire
- Action de l’acheteur contre son vendeur : deux ans à compter de la découverte du vice, sans jamais dépasser vingt ans après la vente initiale.
- Action récursoire du vendeur intermédiaire : deux ans à compter de l’assignation délivrée par l’acheteur, sous la même limite de vingt ans après la vente initiale.
- Au-delà de vingt ans, l’action est irrecevable, même si le vice n’a été découvert que tardivement.
6.5 – ⭐ Synthèse opérationnelle
Pour statuer sur une action en garantie des vices cachés, le juge doit répondre à deux questions :
- Le demandeur agit-il dans les deux ans suivant :
- la découverte du vice (acheteur) ;
- ou son assignation (vendeur intermédiaire) ?
- La vente litigieuse remonte-t-elle à moins de vingt ans ?
- Si la réponse est négative, l’action est prescrite.
7. – ⚖️ Les clauses contractuelles relatives à la garantie des vices cachés
La garantie légale des vices cachés peut, en principe, faire l’objet d’aménagements contractuels. Les parties peuvent décider de la limiter ou de l’exclure.
Toutefois, l’article 1643 du Code civil interdit de telles clauses lorsque le vendeur connaissait le vice : un vendeur de mauvaise foi ne peut limiter ni exclure la garantie.
En pratique, la jurisprudence et le législateur encadrent strictement ces clauses, qui ne sont valables que dans deux situations :
- lorsque le vendeur est un non-professionnel ;
- lorsque la vente est conclue avec un acheteur professionnel de même spécialité que le vendeur.
Certaines réglementations spéciales rendent par ailleurs ces clauses inopérantes, notamment :
- en matière de vente immobilière ;
- en matière de produits défectueux (articles 1245 et suivants du Code civil) ;
- en présence de clauses abusives dans les contrats conclus avec des consommateurs.
7.1 – Situation du vendeur professionnel
Le vendeur professionnel est celui dont l’activité habituelle consiste à vendre des biens du type de celui en cause.
À l’inverse, un professionnel qui revend ponctuellement un bien utilisé dans son entreprise est considéré comme vendeur occasionnel, non comme vendeur professionnel.
7.1.1 – Principe fondamental : la présomption irréfragable de connaissance du vice
La jurisprudence est constante : tout vendeur professionnel est réputé connaître les vices de la chose vendue.
Cour de cassation, chambre commerciale, 17 janvier 2024, numéro 21-23.909 :
« Il résulte de l’article 1645 du Code civil une présomption irréfragable de connaissance du vice par le vendeur professionnel, l’obligeant à réparer l’intégralité des dommages qui en sont la conséquence. »
Conséquences :
- le vendeur professionnel est assimilé à un vendeur de mauvaise foi ;
- il est tenu du remboursement du prix, des dommages-intérêts et de tous les préjudices consécutifs ;
- toute clause limitative ou exonératoire de garantie est nulle, quelles que soient les formules employées (vente en l’état, tels quels, aux risques et périls, garantie limitée, et autres formulations voisines).
La règle protège l’acheteur, qu’il soit consommateur ou professionnel, sauf lorsqu’il s’agit d’un professionnel de même spécialité, cas traité au point suivant.
7.1.2 – Une logique à sens unique
La présomption joue exclusivement pour protéger l’acheteur. Ainsi :
- un vendeur professionnel est réputé connaître le vice à l’égard de son acheteur ;
- mais il peut ne pas être réputé connaître le vice lorsqu’il agit lui-même en recours contre un vendeur antérieur.
La Cour de cassation juge qu’il n’est pas contradictoire d’affirmer qu’un vendeur professionnel ne connaissait pas le vice lors de son propre achat, mais est réputé le connaître lors de la revente à son client.
7.2 – Relations entre vendeur et acheteur professionnels
La jurisprudence a toujours jugé que les clauses excluant la garantie sont inopposables à un acquéreur professionnel, sauf lorsque celui-ci est de même spécialité que le vendeur.
7.2.1 – Professionnels de même spécialité
Lorsque vendeur et acheteur ont la même compétence technique :
- l’acheteur est présumé capable de détecter les vices ;
- les clauses excluant ou limitant la garantie deviennent valides et opposables ;
- la protection du droit commun s’efface au profit de l’autonomie contractuelle.
Cela suppose toutefois que le vice ne nécessitait pas des investigations anormales. Si le défaut était indécelable, la clause reste inopérante.
7.2.2 – Limite importante : les chaînes de distribution
La jurisprudence ne transpose pas automatiquement cette validité aux chaînes de distribution.
Un professionnel intermédiaire peut invoquer la garantie contre un fabricant, même s’il est professionnel, sauf s’il exerce également une activité d’entretien.
7.2.3 – Exemple : Cour de cassation, chambre commerciale, 28 janvier 2004, numéro 02-11.522
Le fabricant IVECO avait inséré dans ses conditions générales une clause excluant la garantie pour immobilisation du véhicule.
Un sous-acquéreur (Monsieur X) l’a assigné directement.
La Cour de cassation a jugé que la clause IVECO était opposable au sous-acquéreur, car elle faisait partie du contrat liant le fabricant au vendeur intermédiaire.
Cela tient au principe que le sous-acquéreur exerce une action contractuelle fondée sur le contrat du vendeur mis en cause.
En revanche, si Monsieur X avait assigné son vendeur immédiat, celui-ci n’aurait probablement pas pu s’exonérer, faute de clause dans son propre contrat.
7.3 – 🔍 Résumé pédagogique pour le juge consulaire
- Vendeur professionnel : présomption irréfragable de connaissance du vice, clauses d’exclusion en principe inopérantes.
- Acheteur professionnel de même spécialité : les clauses peuvent produire effet, sauf vice indécelable.
- Chaîne de contrats : le sous-acquéreur agit selon les clauses du contrat du vendeur mis en cause.
- Le juge doit toujours vérifier la qualité des parties et la nature du vice avant de donner effet à une clause limitative ou exonératoire.
- Conditions du vice caché : vice grave, caché, antérieur à la vente, rendant la chose impropre à son usage normal ou diminuant fortement cet usage.
- Preuve : charge de la preuve sur l’acheteur (vice, gravité, antériorité, lien de causalité) ; expertise souvent déterminante.
- Option de l’acheteur : choix entre action rédhibitoire (résolution) et action estimatoire (réduction du prix), libre mais liant le juge.
- Dommages-intérêts : possibles en cas de mauvaise foi du vendeur, avec réparation intégrale des préjudices prouvés.
- Vendeur professionnel : présomption irréfragable de connaissance du vice, clauses de non-garantie en principe inopposables.
- Chaîne de ventes : garantie transmise aux sous-acquéreurs ; action contractuelle contre vendeur immédiat, intermédiaires et fabricant.
- Délais : deux ans à compter de la découverte du vice (ou de l’assignation pour le recours), dans la limite d’un délai-butoir de vingt ans à compter de la vente.
- Clauses contractuelles : valables seulement dans des hypothèses limitées (vendeur non professionnel, professionnel de même spécialité, vice décelable).