Jean-Claude LEMALLE : une expérience de juge-consulaire

Jean-Claude LEMALLE

Vice du consentement : erreur

1. – ⚖️ Notion et fonction de l’erreur

L’erreur peut se définir, en droit des contrats, comme une représentation inexacte de la réalité : la personne qui se trompe tient pour vrai ce qui est faux, ou pour faux ce qui est vrai.

Appliquée à la formation du contrat, l’erreur désigne l’idée erronée que se fait une partie sur un élément lié à l’opération juridique : la chose objet du contrat, la personne de son cocontractant, ou encore les conditions dans lesquelles elle s’engage.

On rencontre par exemple :

  • une erreur sur la valeur : l’acheteur se persuade qu’il acquiert une œuvre d’un grand maître, alors que le tableau est en réalité sans valeur artistique particulière ;
  • une erreur sur la personne : un client croit confier un dossier sensible à un avocat renommé, alors qu’il s’agit d’un homonyme débutant ;
  • une erreur sur les motifs de l’engagement : une personne achète un logement dans une ville parce qu’elle est convaincue d’y être mutée, puis découvre qu’elle est affectée dans une autre région.

Ces hypothèses présentent toutes un décalage entre la croyance et la réalité. Pour autant, le droit ne sanctionne pas toute représentation inexacte.

Le législateur, en 1804 comme lors de la réforme de 2016, a recherché un équilibre entre :

  • la protection du consentement des parties,
  • et la sécurité des échanges juridiques.

Il en résulte une distinction fondamentale :

  • d’un côté, les erreurs susceptibles d’entraîner la nullité du contrat ;
  • de l’autre, les erreurs indifférentes, qui laissent le contrat subsister.

Avant d’examiner ces catégories, il convient de rappeler les conditions générales communes à toute erreur de nature à vicier le consentement.

2. – ⚖️ Conditions générales de l’erreur viciant le consentement

Pour que l’erreur puisse justifier l’annulation du contrat, trois idées dominantes se dégagent des textes et de la jurisprudence :

  • l’erreur doit avoir été déterminante du consentement ;
  • l’erreur doit être excusable ;
  • il est indifférent qu’elle soit de fait ou de droit.

2.1 – 🔷 Une erreur déterminante

Article 1130 du Code civil

« L’erreur, le dol et la violence sont des causes de nullité du contrat lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. »

Selon ce texte, l’erreur ne vicie le consentement que si, sans cette représentation erronée, la partie qui l’invoque :

  • n’aurait pas contracté, ou
  • aurait accepté le contrat, mais à des conditions sensiblement différentes.

L’erreur doit donc se trouver au cœur de la décision de contracter. C’est à celui qui invoque l’erreur de démontrer que, sans cette fausse croyance, il n’aurait pas donné son accord dans les mêmes conditions.

Le texte précise que ce caractère déterminant s’apprécie « eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné ». Le juge procède ainsi à une appréciation concrète, tenant compte notamment :

  • de la qualité de la partie (profane ou professionnelle) ;
  • de la nature de l’opération (consommation, investissement, opération complexe) ;
  • du contexte dans lequel le contrat a été conclu.

Une simple erreur accessoire, qui n’aurait pas modifié la décision de contracter, ne suffit pas.

2.2 – 🔷 Une erreur excusable

Erreur excusable (article 1132 du Code civil)

L’article 1132 exige que l’erreur soit excusable pour être une cause de nullité, sauf en présence d’un dol.

Une erreur est dite excusable lorsque celui qui l’invoque a fait preuve d’une vigilance raisonnable, compte tenu de sa qualité et de la nature de l’opération, mais n’a pas pu éviter de se tromper.

À l’inverse, lorsque la méprise résulte d’une négligence grossière, les juges refusent d’annuler le contrat : celui qui a commis une faute lourde dans son propre intérêt ne peut pas en tirer profit.

En pratique :

  • les personnes profanes bénéficient d’une certaine indulgence, surtout lorsqu’elles contractent avec un professionnel ;
  • les professionnels sont appréciés plus sévèrement lorsqu’ils invoquent une erreur dans le domaine de leur compétence.

La logique est différente en présence d’un dol. Lorsque l’erreur a été provoquée ou entretenue par le cocontractant, la Cour de cassation considère que l’erreur provoquée est toujours excusable : l’accent se déplace alors sur le comportement fautif de l’auteur du dol et non sur la vigilance de la victime.

2.3 – 🔷 Erreur de fait et erreur de droit

L’article 1130 du Code civil vise expressément l’erreur « de droit ou de fait ». La distinction entre ces deux catégories est donc indifférente du point de vue du principe :

  • l’erreur de fait porte sur la réalité matérielle : nature de la chose, caractéristiques de la prestation, identité de la personne, circonstances factuelles ;
  • l’erreur de droit porte sur l’existence d’une règle, ses conditions d’application ou ses effets.

Cette reconnaissance de l’erreur de droit ne contredit pas l’adage « nul n’est censé ignorer la loi ». Cet adage signifie que l’on ne peut pas invoquer son ignorance pour échapper à une règle impérative ou à une sanction.

En matière d’erreur de droit, la situation est différente : la partie ne cherche pas à se soustraire à la loi, mais à faire annuler un contrat qu’elle a conclu en croyant, à tort, qu’une règle existait, s’appliquait ou produisait certains effets précis.

La Cour de cassation admet donc que l’erreur de droit puisse vicier le consentement, tout en rappelant que les dispositions légales produisent leurs effets indépendamment de la volonté de celui qui les ignore lorsqu’elles s’appliquent de plein droit.

3. – ⚖️ Les erreurs susceptibles d’entraîner la nullité

Parmi les nombreuses formes d’erreur possibles, trois catégories sont principalement retenues comme causes de nullité :

  • l’erreur qui empêche la rencontre même des volontés : l’erreur obstacle ;
  • l’erreur portant sur les qualités essentielles de la prestation ;
  • l’erreur portant sur les qualités essentielles du cocontractant, dans certains contrats.

3.1 – 🔷 L’erreur obstacle

3.1.1 – 🔸 Notion

On parle d’« erreur obstacle » lorsque le malentendu est si grave que les parties ne peuvent pas être regardées comme ayant voulu le même acte.

Deux situations sont traditionnellement mises en avant :

  • l’erreur sur la nature de l’acte : l’un pense conclure une vente, l’autre un contrat de location ou de dépôt ;
  • l’erreur sur l’objet même de la prestation : par exemple, le vendeur croit céder une parcelle déterminée, tandis que l’acquéreur pense acheter la parcelle voisine.

Dans ces hypothèses, il ne s’agit plus seulement d’un vice affectant un contrat valablement formé : c’est la concordance des volontés qui fait défaut.

3.1.2 – 🔸 Sanction

Idée importante
Sur le plan théorique, l’erreur obstacle devrait conduire à constater l’inexistence du contrat. En pratique, la Cour de cassation raisonne en termes de nullité, même lorsque l’erreur est grossière.

Une partie de la doctrine estime que l’erreur obstacle devrait être sanctionnée par l’inexistence du contrat, puisque l’élément essentiel de la formation de l’acte – la rencontre des consentements – fait défaut.

L’inexistence emporterait notamment :

  • l’absence de délai de prescription pour agir ;
  • l’impossibilité de confirmer un acte qui n’a jamais existé.

La Cour de cassation retient cependant la nullité. Lorsqu’elle constate une erreur portant sur l’objet même de la vente, elle impose l’annulation de l’acte, y compris lorsque l’erreur aurait pu être évitée par une meilleure vigilance de la partie qui l’invoque.

3.2 – 🔷 L’erreur sur les qualités essentielles de la prestation

3.2.1 – 🔸 De la « substance » aux « qualités essentielles »

Avant la réforme de 2016, l’ancien article 1110 du Code civil ne reconnaissait l’erreur que lorsqu’elle portait sur la « substance même de la chose ». Cette formule a suscité de nombreuses discussions.

Deux interprétations se sont opposées :

  • une lecture objective, centrée sur la matière de la chose (par exemple, croire acheter un bijou en or alors qu’il est en métal ordinaire) ;
  • une lecture subjective, qui rattache la substance aux qualités déterminantes pour la partie (authenticité d’une œuvre, aptitude d’un bien à un usage particulier, caractéristiques convenues).

La jurisprudence a progressivement adopté cette seconde approche, en admettant que l’erreur puisse porter sur toute qualité jugée essentielle par la partie, à condition que cette qualité soit entrée dans le champ contractuel, c’est-à-dire qu’elle ait été prise en compte par les deux parties.

Article 1133 du Code civil

« Les qualités essentielles de la prestation sont celles qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté. »

Le nouveau texte consacre ainsi clairement une approche subjective : ce qui compte, ce sont les qualités qui ont effectivement déterminé les parties à contracter.

3.2.2 – 🔸 Conditions de l’erreur sur les qualités essentielles

Plusieurs éléments doivent être réunis pour que l’erreur sur les qualités essentielles soit retenue :

  • Une véritable erreur au sens classique : une représentation inexacte de la réalité, portant sur un élément du contrat.
  • Une qualité essentielle : il doit s’agir d’une caractéristique de la prestation qui a été expressément ou tacitement convenue entre les parties et qui a motivé leur engagement. À défaut de clause précise, c’est à celui qui invoque l’erreur de prouver que le cocontractant savait que cette qualité était déterminante pour lui.
  • Une possibilité d’erreur sur sa propre prestation : l’article 1133, alinéa 2, précise que l’erreur est une cause de nullité qu’elle porte sur la prestation de l’une ou de l’autre partie. Il est donc possible de se tromper sur la nature ou l’étendue des droits que l’on cède ou des obligations que l’on assume soi-même.
  • L’absence d’aléa accepté : l’alinéa 3 de l’article 1133 prévoit que l’acceptation d’un aléa sur une qualité de la prestation exclut l’erreur relative à cette qualité. Lorsque les parties savent qu’un doute subsiste (par exemple, sur l’authenticité d’une œuvre ou la constructibilité d’un terrain) et acceptent de contracter malgré ce doute, celui-ci est intégré au contrat. La disparition ultérieure de l’incertitude ne peut plus fonder une action en nullité pour erreur.

3.2.3 – 🔸 Illustrations : authenticité, utilité, rentabilité

L’erreur sur les qualités essentielles peut prendre des formes variées.

👉 Caractéristiques physiques de la chose

  • nature du matériau ou de la matière ;
  • état d’usure ou ancienneté ;
  • surface réelle d’un immeuble ;
  • emplacement et environnement ;
  • constructibilité d’un terrain, etc.

👉 Authenticité d’une œuvre d’art

Les célèbres affaires Poussin et Fragonard illustrent la frontière entre l’erreur et l’aléa :

  • dans l’affaire Poussin, la Cour de cassation a jugé qu’il fallait rechercher si, au moment de la vente, les vendeurs n’avaient pas la conviction erronée que le tableau ne pouvait pas être une œuvre de Nicolas Poussin ; dans cette hypothèse, leur certitude fausse pouvait constituer une erreur sur une qualité essentielle ;
  • dans l’affaire Fragonard, la vente portait sur un tableau « attribué à Fragonard ». Le doute sur l’authenticité était donc connu et accepté par les parties. La Cour de cassation a considéré que cet aléa faisait partie du contrat, de sorte que la confirmation ultérieure de l’authenticité ne permettait pas d’invoquer une erreur.

👉 Aptitude de la chose à l’usage envisagé

L’erreur peut encore porter sur l’aptitude de la chose à remplir la fonction recherchée : terrain que l’on croyait constructible, matériel présenté comme adapté à une activité professionnelle déterminée, cheval supposé apte à la compétition, et ainsi de suite. Lorsque cet usage a été pris en considération par les deux parties, l’inaptitude peut révéler une erreur sur les qualités essentielles.

👉 Rentabilité attendue de l’opération

En principe, l’erreur sur la valeur ou sur la rentabilité économique relève de l’erreur sur la valeur, qui n’est pas une cause de nullité. Toutefois, dans certains contrats, la rentabilité fait partie de la substance même de l’opération, notamment dans les contrats de franchise ou d’investissement fortement structuré.

La Cour de cassation a ainsi reproché à une juridiction du fond de ne pas avoir recherché si, dans une affaire où les résultats d’un franchisé étaient très inférieurs aux prévisions, le consentement de ce dernier n’avait pas été déterminé par une erreur substantielle sur la rentabilité de l’activité. Dans ce type de situation, la rentabilité n’est plus une simple appréciation économique : elle constitue une qualité essentielle de la prestation.

3.3 – 🔷 L’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant

Article 1134 du Code civil

« L’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant n’est une cause de nullité que dans les contrats conclus en considération de la personne. »

Cette disposition reprend, en la reformulant, l’ancien article 1110. L’idée reste la même : l’erreur sur la personne est, en principe, indifférente, sauf lorsque le contrat a été conclu intuitu personae, c’est-à-dire en considération de la personne même du cocontractant.

Dans ce type de contrat, l’erreur peut porter sur :

  • l’identité civile ou professionnelle ;
  • les compétences, diplômes, expérience ;
  • la solvabilité ou la crédibilité financière ;
  • la moralité ou certains antécédents ;
  • la nationalité ou l’âge, lorsque ces éléments sont déterminants.

Encore faut-il que l’erreur ait été déterminante : celui qui l’invoque doit montrer que, sans les qualités qu’il attribuait à son cocontractant, il n’aurait pas conclu le contrat ou ne l’aurait pas conclu dans les mêmes conditions.

4. – ⚖️ Les erreurs indifférentes

À côté de ces erreurs « qualifiées », le droit écarte comme indifférentes toute une série de méprises, même si elles ont joué un rôle psychologique dans la décision de contracter.

On cite classiquement :

  • l’erreur sur une qualité non essentielle de la prestation ;
  • l’erreur sur les qualités du cocontractant lorsque le contrat n’est pas conclu intuitu personae ;
  • l’erreur sur les motifs de l’engagement ;
  • l’erreur sur la valeur.

4.1 – 🔷 L’erreur sur les motifs

Article 1135 du Code civil

« L’erreur sur un simple motif, étranger aux qualités essentielles de la prestation due ou du cocontractant, n’est pas une cause de nullité, à moins que les parties n’en aient fait expressément un élément déterminant de leur consentement. »

Les motifs sont les raisons personnelles qui poussent une partie à s’engager : projet de mutation, objectif de défiscalisation, volonté de favoriser tel membre de la famille, souhait de se rapprocher d’un lieu donné, et ainsi de suite.

Par principe, l’erreur sur ces motifs est indifférente, même si elle a été déterminante pour la partie qui s’est engagée. Le législateur part de l’idée que ces raisons, souvent invisibles pour le cocontractant, ne peuvent pas, en elles-mêmes, remettre en cause la stabilité des contrats.

Cependant, l’article 1135 prévoit deux tempéraments importants :

  • lorsque les parties ont intégré le motif dans le contrat par une clause expresse, l’erreur qui porte sur ce motif peut être requalifiée en erreur sur un élément contractuel et devenir une cause de nullité ;
  • en matière de libéralités, l’alinéa 2 du texte prévoit que l’erreur sur le motif d’une donation ou d’un legs est une cause de nullité lorsque, sans ce motif, l’auteur n’aurait pas disposé. Cette solution prolonge l’ancienne analyse de la cause dans les actes à titre gratuit, où le mobile déterminant du disposant était regardé comme indissociable de la validité de l’acte.

4.2 – 🔷 L’erreur sur la valeur

Article 1136 du Code civil

« L’erreur sur la valeur par laquelle, sans se tromper sur les qualités essentielles de la prestation, un contractant fait seulement de celle-ci une appréciation économique inexacte, n’est pas une cause de nullité. »

L’erreur sur la valeur correspond à l’hypothèse dans laquelle une partie se rend compte, après coup, qu’elle a payé trop cher ou vendu trop bas, alors même qu’elle ne s’est pas trompée sur les qualités de la chose ou de la prestation.

Admettre systématiquement ce type d’erreur reviendrait à ouvrir la voie à la lésion de manière générale, ce que le droit français refuse en principe (article 1168 du Code civil), sauf régimes spéciaux.

La jurisprudence est donc constante :

  • la simple prise de conscience d’une mauvaise affaire ne suffit pas pour obtenir la nullité du contrat ;
  • en revanche, lorsque le déséquilibre économique révèle, en réalité, un défaut sur une qualité essentielle (par exemple une activité totalement dépourvue de rentabilité dans un contrat où cette rentabilité faisait partie des qualités promises), le juge peut requalifier l’erreur et la sanctionner sur le terrain des qualités essentielles de la prestation, et non sur celui de la simple valeur.

À retenir

  • toute erreur ne justifie pas la nullité d’un contrat ;
  • l’erreur doit être déterminante, excusable, et porter sur un élément essentiel convenu entre les parties ;
  • les erreurs sur les motifs et sur la valeur sont en principe indifférentes, sauf exceptions prévues par la loi ou lorsque ces éléments ont été intégrés dans le champ contractuel.

5. – ⚖️ Tableau comparatif – Erreur sur les qualités essentielles / motifs / valeur

AspectErreur sur les qualités essentiellesErreur sur les motifsErreur sur la valeur
Objet de l’erreurQualité déterminante de la prestation (ou du cocontractant) entrée dans le champ contractuel.Raison personnelle qui a conduit à contracter (projet, situation, avantage fiscal, etc.).Appréciation économique du contrat (prix trop élevé, affaire moins avantageuse que prévu).
Texte de référenceArticles 1130, 1132 et 1133 du Code civil.Article 1135 du Code civil.Article 1136 du Code civil.
Nullité possible ?Oui, si l’erreur est déterminante, excusable et sans aléa accepté.Non, sauf si le motif a été expressément érigé en élément du contrat ou en matière de libéralité.Non, l’erreur sur la valeur est en principe indifférente.
Conditions spécifiquesQualité expressément ou tacitement convenue, connue comme déterminante par le cocontractant.Motif intégré dans le contrat (clause expresse) ou motif déterminant d’une libéralité.Erreur portant seulement sur l’évaluation économique, sans erreur sur les qualités de la prestation.
Exemple typeTableau acheté en croyant, à tort, à son authenticité ; terrain supposé constructible qui ne l’est pas.Bien acquis pour bénéficier d’un avantage fiscal qui ne se réalise pas, sans clause le prévoyant.Immeuble acheté au-dessus du prix du marché, sans erreur sur sa nature, sa surface ou son état.

6. – ⚖️ Points-clés pour le juge : contrôle de l’erreur

6 points essentiels pour trancher une demande en nullité pour erreur

1️⃣ L’erreur alléguée porte-t-elle sur un élément essentiel du contrat ?
Le juge vérifie immédiatement si l’erreur concerne une qualité convenue ou déterminante, ou un contrat conclu intuitu personae.

2️⃣ L’erreur a-t-elle été déterminante du consentement ?
Celui qui invoque l’erreur doit démontrer que, sans cette croyance, il n’aurait pas contracté ou l’aurait fait à des conditions différentes.

3️⃣ L’erreur est-elle excusable ?
Une vigilance normale est attendue : négligence grossière = erreur inopérante. En revanche, si un dol est établi, l’erreur est réputée excusable.

4️⃣ Y avait-il un aléa accepté ?
Si les parties ont contracté malgré un doute connu (ex. authenticité d’une œuvre, constructibilité), l’erreur est exclue sur ce point.

5️⃣ S’agit-il d’une erreur indifférente ?
Le juge écarte l’erreur sur les motifs personnels ou sur la valeur, sauf clause expresse ou cas des libéralités.

6️⃣ Quelle est la portée de la nullité ?
Si l’erreur est retenue, la nullité est en principe relative (article 1131) et impose la restitution réciproque des prestations.

7. – Illustration jurisprudentielle récente

Une décision récente rendue par la Cour d’appel de Grenoble le 12 janvier 2023 (numéro 21-03701) fournit un exemple utile de l’erreur portant sur une qualité essentielle dans le cadre d’un contrat commercial.

Dans cette affaire, un opticien avait conclu un contrat de licence portant sur la création d’un site internet destiné à son activité professionnelle. Il pensait obtenir un support conforme aux textes relatifs à la protection des données personnelles, notamment en matière de cookies. Le site livré comportait pourtant plusieurs dispositifs de collecte automatique incompatibles avec ces règles, créant un risque juridique important.

Enseignement de l’arrêt
  • La conformité juridique du site constituait une qualité essentielle de la prestation, indispensable à son usage normal.
  • L’erreur du client était déterminante : sans cette croyance, il n’aurait pas contracté.
  • L’erreur était excusable, la maîtrise des règles techniques relatives aux données personnelles dépassant les compétences d’un opticien.

La Cour d’appel prononce en conséquence la nullité du contrat sur le fondement des articles 1130 et 1133 du Code civil. Cette décision montre que, pour les prestations numériques, la conformité légale peut être regardée comme une qualité essentielle, même lorsqu’elle n’est pas expressément stipulée, dès lors qu’elle conditionne l’utilité du service.

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