Jean-Claude LEMALLE

Jean-Claude LEMALLE : une expérience de juge-consulaire

L'exécution forcée en nature
(articles 1221 et 1222 du Code civil applicable à compter du 01/10/2016)

Table des matières

1. – Les articles applicables (1221 et 1222 du Code civil)

Article 1221

« Le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier ».

Article 1222 

« Après mise en demeure, le créancier peut aussi, dans un délai et à un coût raisonnables, faire exécuter lui-même l’obligation ou, sur autorisation préalable du juge, détruire ce qui a été fait en violation de celle-ci. Il peut demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin.

Il peut aussi demander en justice que le débiteur avance les sommes nécessaires à cette exécution ou à cette destruction ».

2. – Domaine et définition.

L’article 1221 pose le principe selon lequel le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature.

L’article 1222 propose une alternative au créancier en lui permettant, au lieu de poursuivre l’exécution forcée de l’obligation concernée, de faire exécuter lui-même l’obligation ou détruire ce qui a été mal exécuté après mise en demeure du débiteur, et de solliciter ensuite du débiteur le remboursement des sommes exposées pour ce faire.

Pratiquement, l’exécution forcée peut donc prendre deux formes :

  • soit contraindre le débiteur à exécuter ce à quoi il s’est engagé (l’exécution forcée directe),
  • soit le créancier peut exécuter lui-même l’obligation, aux frais du débiteur (l’exécution forcée indirecte).

Ces dispositions n’ayant pas un caractère impératif, les parties doivent pouvoir y déroger et même évincer l’exécution forcée, au profit de la seule responsabilité contractuelle.

3. – L’exécution forcée directe

3.1 – Principe

L’article 1221 du Code civil autorise le créancier à solliciter l’exécution forcée en nature en cas de défaillance de son débiteur.

Toutes les obligations, quelle que soit leur nature, sont susceptibles de faire l’objet d’une exécution forcée en nature.

3.2 – Conditions de mise en œuvre : mise en demeure du débiteur.

L’article 1221 ne subordonne l’exécution forcée, ni à la preuve d’une inexécution suffisamment grave, ni à l’existence d’un préjudice pour le créancier, mais seulement la mise en demeure préalable du débiteur.

La mise en demeure peut prendre la forme, selon les termes de l’article 1344 du Code civil, soit d’une sommation, soit d’un acte portant interpellation suffisante.

L’absence de mise en demeure pourrait être invoquée par le débiteur comme un moyen de défense au fond pourra avoir pour effet de tenir en échec la demande d’exécution forcée formulée par le créancier.

3.3 – Les exceptions à l’exécution forcée directe

L’article 1221 du Code civil assortit le principe de l’exécution forcée en nature de deux exceptions :

  • l’impossibilité d’exécution pour le débiteur,
  • une disproportion manifeste entre le coût pour le débiteur et l’intérêt du créancier.

3.3.1 – Première exception : l’impossibilité d’exécution par le débiteur

L’article 1221 du Code civil indique que, dans l’hypothèse où il est avéré, que l’exécution de l’obligation en cause est impossible, le créancier ne peut en demander l’exécution forcée en nature.

Pour s’en convaincre, il suffit de se reporter au Rapport au Président de la République qui précise que « l’exécution forcée en nature ne peut être ordonnée en cas d’impossibilité (matérielle, juridique ou morale, en particulier si elle porte atteinte aux libertés individuelles du débiteur) ».

Ainsi, concernant l’exécution de travaux de rénovation d’une maison, aucune contrainte forcée n’est possible à l’encontre d’un débiteur en liquidation judiciaire.

3.3.2 – Deuxième exception : coût excessif de l’exécution

L’article 1221 consacre une seconde limite à l’exécution forcée : la « disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier ».

Ainsi, lorsque l’exécution forcée en nature est extrêmement onéreuse pour le débiteur sans que le créancier y ait vraiment intérêt, il apparaît en effet inéquitable et injustifié que celui-ci puisse l’exiger, alors qu’une condamnation à des dommages et intérêts pourrait lui fournir une compensation adéquate pour un prix beaucoup plus réduit.

En tout état de cause, pour faire échec à la demande d’exécution forcée en nature du créancier le débiteur devra démontrer qu’il existe une disproportion entre le coût de l’exécution et l’intérêt pour le créancier de la mise en œuvre de cette exécution.

Notons que cette exception, au regard de l’article 1221 du Code civil, ne pourrait bénéficier qu’au débiteur de bonne foi.

4. – L’exécution forcée indirecte.

L’article 1222 du Code civil prévoit qu’ « après mise en demeure, le créancier peut aussi, dans un délai et à un coût raisonnables, faire exécuter lui-même l’obligation ou, sur autorisation préalable du juge, détruire ce qui a été fait en violation de celle-ci. »

À l’analyse, cette disposition octroie au créancier une alternative en lui permettant, au lieu de poursuivre l’exécution forcée de l’obligation concernée, de faire exécuter lui-même l’obligation ou détruire ce qui a été mal exécuté après mise en demeure du débiteur, et de solliciter ensuite du débiteur le remboursement des sommes exposées pour ce faire.

Outre l’inexécution de l’obligation, deux conditions sont posées par l’article 1222 :

  • le débiteur doit avoir été mis en demeure,
  • et la faculté de remplacement doit être mise en œuvre dans un délai et à un coût raisonnable.

Par contre, l’autorisation judiciaire n’est imposée, au créancier, que dans l’hypothèse de la destruction de ce qui a été fait en violation du contrat.

Le créancier demandera au débiteur le remboursement de cette exécution forcée indirecte. En cas de contestation, il devra avoir recours au juge. 

Ainsi, la jurisprudence admet que le maître d’ouvrage puisse faire réaliser les travaux convenus par une entreprise, autre que celle à qui le marché a initialement été confié.

4.1 – Les conditions de mise en œuvre

4.1.1 – Première condition : la mise en demeure du débiteur.

La faculté de remplacement ne peut être exercée par le créancier qu’à la condition que le débiteur ait été mis en demeure de s’exécuter.

Il convient de le prévenir sur le risque auquel il s’expose en cas d’inaction, soit de devoir supporter le coût de la prestation fournie par un tiers.

La mise en demeure que le créancier adresse au débiteur doit répondre aux exigences énoncées aux articles 1344 et suivants du Code civil.

4.1.2 – Deuxième condition : l’observation d’un délai raisonnable

La faculté de remplacement dont dispose le créancier ne pourra être envisagée qu’à la condition que ce dernier ait attendu un délai raisonnable entre la date d’échéance de l’obligation et la sollicitation d’un tiers, ne serait-ce que parce qu’il a l’obligation d’adresser, au préalable, une mise en demeure.

Aussi, le débiteur doit-il disposer du temps nécessaire pour régulariser sa situation.

4.1.3 – Troisième condition : le respect d’un coût raisonnable

Dernière condition devant être remplie pour que le créancier soit fondé à exercer la faculté de remplacement que lui octroie l’article 1222, le coût de l’intervention du tiers doit être raisonnable.

L’appréciation du caractère raisonnable de ce coût devra s’apprécier au regard du montant de la prestation stipulée dans le contrat.

L’intervention du tiers ne devra pas, en d’autres termes, engendrer des frais disproportionnés eut égard l’obligation à laquelle s’était engagé initialement le débiteur.

4.2 – Exigence d’une autorisation judiciaire dans deux cas.

Dans le cadre de l’exercice de la faculté de remplacement, l’obtention d’une autorisation judiciaire est exigée dans deux cas.

4.2.1 – La destruction de ce qui a été fait en violation d’une obligation contractuelle

Si, l’ordonnance du 10 février 2016 a supprimé l’exigence d’une autorisation judiciaire préalable pour faire procéder à l’exécution de l’obligation inexécutée par un tiers, elle maintient, en revanche, la nécessité d’une autorisation pour obtenir la destruction de ce qui a été réalisé en contravention de l’obligation, compte tenu du caractère irrémédiable d’une telle destruction afin d’éviter les abus de la part du créancier.

Reste que c’est au juge, dans cette hypothèse, qu’il reviendra de trancher, soit d’autoriser ou de refuser l’intervention d’un tiers.

4.2.2 – Le versement d’une avance des frais exposés

Le second alinéa de l’article 1222 du Code civil complète le dispositif encadrant la faculté de remplacement conférée au créancier en lui permettant de solliciter la condamnation du débiteur à faire l’avance des sommes nécessaires à l’exécution ou la destruction en cause.

Ainsi, lorsque le créancier ne souhaite pas supporter temporairement le coût de l’intervention du tiers dans l’attente d’être remboursé par le débiteur, il n’aura d’autre choix que de saisir le juge.

Cette obligation de saisir le juge vaut, tant lorsqu’il s’agit pour le créancier d’exercer sa faculté de remplacement, que lorsqu’il s’agit de faire détruire ce qui a été fait en violation d’une obligation contractuelle.

DOCUMENTATION

Site « A. Bamdé et J. Bourdoiseau » : exécution forcée en nature.

DALLOZ – Documentation/Répertoire de droit civil : exécution forcée en nature.

LEXIS 360 – Encyclopédies/JCL. Civil Code/Art. 1221 à 1222 : exécution forcée en nature.

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