Jean-Claude LEMALLE

Jean-Claude LEMALLE : une expérience de juge-consulaire

L'exception d'incompétence d'attribution ou territoriale
(articles 75 à 91 du Code de procédure civile)
Les exceptions de litispendance et de connexité
(articles 100 à 107 du Code de procédure civile)

Table des matières

1ière PARTIE : les exceptions d'incompétence d'attribution et territoriale

1. – Généralités

L’exception d’incompétence est un moyen de défense, qui a pour finalité de faire constater  l’inaptitude d’une juridiction à connaître du litige,

L’incompétence peut résulter, de la nature du litige (incompétence d’attribution), ou de sa localisation (incompétence territoriale).

1.1 – Qui peut soulever l’incompétence

L’exception d’incompétence, figurant au nombre des moyens de défense, le demandeur n’est donc pas recevable à contester la compétence de la juridiction qu’il a lui-même saisie.

1.2 – Distinction ent incompétence et fin de non-recevoir

La différence avec la fin de non-recevoir, qui tend à faire déclarer la demande irrecevable pour défaut du droit d’agir, sans examen au fond, réside dans le fait qu’aucune autre juridiction ne serait compétente pour connaître de la demande.

Ainsi, le moyen tiré de l’existence d’une clause de conciliation constitue une fin de non-recevoir, et non une incompétence car s’agit de à dénier au juge le pouvoir de statuer au moins provisoirement. La sanction du non-respect de la clause est donc l’irrecevabilité 

1.3 – Distinction entre incompétence et absence de pouvoir juridictionnel

L’incompétence implique l’idée d’une concurrence entre juridictions, l’auteur du déclinatoire de compétence soutenant que la demande aurait dû être portée devant une autre juridiction, tandis que le défaut de pouvoir a pour objet de contester dans son principe même l’intervention du juge, sans que cette contestation s’accompagne d’une revendication quelconque de la compétence d’une autre juridiction.

  • contestation sérieuse devant le juge des référés,
  • contestation sérieuse devant le juge-commissaire, en matière de contestation de créance.

2. – Conditions de recevabilité de l’exception d’incompétence

L’exception d’incompétence est une exception de procédure et doit, à ce titre, remplir les conditions de recevabilité applicables à toute exception de cette classification, à savoir :

  • elle doit être soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir et simultanément avec les autres exceptions – « in limine litis» (article 74 du CPC),
  • elle doit être motivée (article 75 du CPC),
  • elle doit indiquer la juridiction estimée compétente (article 75 du CPC).

2.1 – Elle doit être soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir et simultanément avec les autres exceptions (article 74 du Code de procédure civile)

Pour être recevable, l’exception d’incompétence doit être soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir (article 122 du Code de procédure civile : défaut du droit d’agir, défaut de qualité, défaut d’intérêt…) et simultanément avec les autres exceptions (litispendance, connexité, nullité des actes…).

Ainsi est irrecevable l’exception de compétence d’attribution soulevée après qu’un premier jugement ait rejeté une exception de compétence territoriale.

En procédure orale, l’exception d’incompétence pourrait être soulevée lors des débats, même si des conclusions ont été préalablement formulées par écrit, dès lors que l’exception est soulevée à la barre avant toute fin de non-recevoir ou défense au fond (Cour de cassation, chambre civile 2 du 16/10/2003 n° 01-13036).

Toutefois, si le juge a organisé des échanges écrits entre les parties, en application de l’article 446-2 du Code procédure civile, concernant la mise en état des procédures orales, l’exception d’incompétence doit être soulevée avant la défense au fond écrite, échangée régulièrement entre les parties.

Article 446-2 du Code de procédure civile dispose que «  lorsque les débats sont renvoyés à une audience ulterieure, le juge peut organiser les échanges entre les parties comparantes. Après avoir recueilli leur avis, le juge peut ainsi fixer les délais et, si elles en sont d’accord, les conditions de communication de leurs prétentions, moyens et pièces « .

L’appel en garantie, constitue pour le défendeur une défense au fond rendant irrecevable une exception d’incompétence, soulevée à la première audience (Cour de cassation, chambre civile 2 du 10/04/2014 n° 13-14623).

2.2 –  Elle doit être motivée (article 75 du Code de procédure civile)

L’incompétence alléguée de la juridiction saisie doit être justifiée en fait et en droit. L’auteur de l’exception doit donc motiver spécialement l’exception d’incompétence, c’est-à-dire fonder cette exception par l’indication de la ou des règles de compétence qui n’auraient pas été respectées en fonction des éléments.

2.3 – Elle doit indiquer la juridiction estimée compétente (article 75 du Code de procédure civile)

Cette obligation de désignation de la juridiction estimée compétente est le complément logique de celle de motiver l’exception. La motivation est le raisonnement doivent conduire à pouvoir indiquer la juridiction qui serait compétente matériellement et territorialement.

L’indication de la juridiction que le plaideur pense compétente n’est qu’une suggestion pour le juge. Elle ne lie pas ce dernier qui pourrait, s’il fait droit à l’exception d’incompétence, désigner une autre juridiction qu’il estime compétente, au lieu de celle proposée dans l’exception d’incompétence. La désignation par le défendeur d’une désignation incompétente ne rend pas l’exception irrecevable

En procédure orale, l’indication de la juridiction compétente peut être faite verbalement, mais elle doit être notée au plumitif tenu par le secrétaire de la juridiction.

L’auteur de l’exception d’incompétence ne doit désigner qu’une seule juridiction, sauf les cas où il bénéficie d’une option légale de compétence, et ce à peine d’irrecevabilité de l’exception (Cour de cassation, chambre civile 2 du 28/06/2006 n° 05-14085).

3. – Quand l’incompétence peut-elle être relevée d’office par le tribunal ?

3.1 – Première hypothèse : violation d’une règle de compétence d’attribution

Si violation d’une règle de compétence d’attribution, le tribunal peut l’invoquer d’office l’exception d’incompétence (article 76 du Code de procédure civile) :

  • en cas de violation d’une règle de compétence attribution lorsque cette règle est d’ordre public,
  • ou si le défendeur ne comparaît pas.

Si le juge relève d’office son incompétence (si défendeur ne comparaît pas), il convient d’ordonner la réouverture des débats afin de respecter le principe du contradictoire et permettre aux parties de présenter leurs observations (article 16 du Code de procédure civile). 

L’incompétence est d’ordre public si la juridiction compétente est une juridiction administrative ou une juridiction répressive.

D’une façon générale, on considère que les juridictions d’exception ne peuvent statuer en dehors de leur compétence d’attribution expresse. Leur incompétence est d’ordre public.

Même remarque que précédemment concernant le respect du principe du contradictoire, par une réouverture des débats.

Il en est de même lorsque le juge est saisi d’un litige pour lequel une juridiction d’un autre Etat contractant est exclusivement compétente en vertu de l’article 22 du règlement.

3.2 – Deuxième hypothèse : violation d’une règle de compétence territoriale

En matière d’incompétence territoriale, le juge peut relever d’office son incompétence dans les cas où (article 77 du Code de procédure civile) :

  • la matière relève de l’état des personnes,
  • la loi accorde compétence exclusive à une autre juridiction,
  • le défendeur n’est pas comparant.

 

3. – La réponse du juge

Qu’elle que soit la décision du juge, celle-ci doit être motivée, en particulier par l’examen des 3 points suivants :

  • la recevabilité de l’exception d’incompétence,
  • le bien-fondé d’une règle de compétence (éventuellement contractuelle),
  • la désignation de la juridiction compétente.

En l’absence d’appel du jugement rendu par le tribunal :

  • si le tribunal se déclare compétent, l’instance est suspendue jusqu’à l’expiration du délai pour former appel. L’instance se poursuit à l’initiative du juge,
  • si le tribunal se déclare incompétent, l’instance est également suspendue jusqu’à l’expiration du délai pour former appel, au-delà le dossier de l’affaire est transmis par le greffe, à la juridiction désignée (tribunal judiciaire, tribunal de commerce…), avec une copie du défaut d’appel dans le délai,
  • si le tribunal se déclare incompétent au bénéfice d’une juridiction répressive, administrative, arbitrale ou étrangère, il renvoie les parties à mieux se pourvoir.

3.1 – En cas d’appel d’un jugement statuant exclusivement sur la compétence (article 83 à 89 du Code de procédure civile).

3.1.1 – Le juge se déclare compétent

Si le juge se déclare compétent, sans statuer sur le fond, l’instance est suspendue (article 80 du Code de procédure civile) jusqu’à ce que la cour d’appel ait rendu sa décision.

Si la Cour infirme le jugement du tribunal, elle renvoie l’affaire à la juridiction qu’elle estime compétente. Cette décision s’impose aux parties. Le dossier de l’affaire est transmis à la juridiction compétente par le greffe, avec une copie de la décision de renvoi (article 82 du Code de procédure civile).

Si la Cour confirme la compétence du tribunal saisi à l’origine, elle renvoi l’affaire à la juridiction qui avait été initialement saisie, l’instance se poursuivant à la diligence du juge.

3.1.2 – Le juge se déclare incompétent

Lorsque le juge estime que l’affaire relève de la compétence d’une juridiction répressive, administrative, arbitrale ou étrangère, il renvoie seulement les parties à mieux se pourvoir (article 81 alinéa 1 du Code de procédure judiciaire).

Dans tous les autres cas, le juge qui se déclare incompétent désigne la juridiction qu’il estime compétente. En l’absence d’appel, cette désignation s’impose aux parties et au juge de renvoi (article 81 alinéa 2 du Code de procédure civile).

Si la Cour confirme l’incompétence du tribunal, elle renvoie l’affaire à la juridiction qu’elle estime compétente.

En cas de renvoi devant une juridiction désignée, le dossier de l’affaire lui est transmis par le greffe, avec une copie de la décision de renvoi (article 82 du Code de procédure civile).

Si la Cour infirme la décision et confirme la compétence du tribunal initial, elle renvoie l’affaire à cette même juridiction, l’instance se poursuivant à la diligence du juge.

3.2 – Dans quelles conditions le juge peut-il statuer sur la compétence et sur le fond du litige ?

Par un même jugement, le juge peut se déclarer compétent et statuer sur le fond.

Si les parties, à l’audience de plaidoiries, ont conclu sur la compétence et le fond, le juge dans un même jugement peut se déclarer compétent et statuer sur le fond, par des dispositions distinctes.

Si les parties n’ont pas conclu sur le fond, le juge ne peut statuer sur la compétence et sur le fond par un même jugement sans, au préalable, mettre en demeure les parties de conclure sur le fond (article 78 du Code de procédure civile).

Devant le tribunal de commerce, la procédure étant orale, si le juge est informé de l’existence d’une exception d’incompétence,  il peut renvoyer l’affaire à une date ultérieure, en mettant les parties en demeure de plaider le fond.

Le jugement doit comporter des dispositions distinctes sur la compétence et sur la question de fond dont dépend la compétence (article 79 du Code de procédure civile).

La décision a autorité de chose jugée sur la question de fond.

En cas d’appel, si la Cour infirme du chef de la compétence, elle statue néanmoins sur le fond du litige si la Cour est juridiction d’appel relativement à la juridiction qu’elle estime compétente (article 90 du Code de procédure civile).

4.3 – La voie de recours de la décision d’office d’incompétence

La voie de recours de la décision du juge concernant l’incompétence est l’appel (article 83 du Code de procédure civile).

2ième PARTIE : les exceptions de litispendance et de connexité

1 – La Litispendance (article 100 du CPC)

1.1 – Notion de litispendance

Il y a litispendance lorsque deux juridictions distinctes, de même degré, et également compétentes, sont saisies simultanément d’un même litige. La litispendance exige donc 3 conditions :

  • un litige identique,
  • pendant devant deux juridictions de même degré, (voir toutefois l’article 102 du CPC si les juridictions saisies ne sont pas du même degré),
  • également compétente pour en connaître.

En application de l’article 102 du Code de procédure civile

« lorsque les juridictions saisies ne sont pas de même degré, l’exception de litispendance ou de connexité ne peut être soulevée que devant la juridiction du degré inférieur ».

1.1.1 – Identité du litige

Il s’agit ici d’une quadruple identité :

  • de parties – si les parties ne sont pas rigoureusement les mêmes, il peut y avoir connexité ;
  • d’objet – une seule prétention ayant le même objet suffit – il peut y avoir litispendance entre deux demandes de montants différents, dès lors qu’elles sont formées entre les mêmes parties, et reposent sur le même fait générateur ;
  • de fait générateur – les deux demandent procèdent des mêmes faits, de la même cause,
  • de fondement juridique.

1.1.2 – Litige pendant devant deux juridictions de même degré

Il est admis que la litispendance, comme la connexité, peut être invoquée devant le juge français en raison de l’instance engagée devant un tribunal étranger également compétent.

Pour qu’il y est litispendance, il faut que deux juridictions soient effectivement saisies et il faut encore que les affaires soient pendantes.

La saisine ne s’opère que par l’enrôlement de l’assignation.

1.2 – Décision sur la litispendance

L’exception de litispendance ne peut être demandée par l’une des parties, que devant la juridiction saisie en second (article 100 du CPC).

L’exception de litispendance doit être soulevée avant toute fin de non-recevoir ou défense au fond.

L’article 100 du CPC, indique que le juge, de la juridiction saisie en second peut se saisir d’office. Cela suppose que le juge a été informé par les parties de la litispendance. Avant d’ordonner le renvoi, le juge doit inviter les parties à présenter leurs observations (Article 16 du CPC).

S’il constate la litispendance, le juge saisi en second lorsque les juridictions concernées sont de même degré, doit se dessaisir au profit de l’autre juridiction, dans les mêmes conditions que l’exception d’incompétence (article 97 et 105 du CPC).

2. – La connexité (article 101 du CPC)

2.1 – Notion de connexité

L’hypothèse est que deux juridictions distinctes sont saisies chacune d’un litige entrant dans sa compétence, mais qu’il existe un lien tel entre les affaires qu’il est « de l’intérêt d’une bonne justice de les faire instruire et juger ensemble ».

La connexion nécessite la réunion de deux conditions :

  • un lien entre deux affaires,
  • en raison de ce lien, il apparaît utile ou préférable de les instruire ensemble, afin d’éviter des décisions contradictoires ou du moins peu cohérentes entre elles.

2.1.1 – Un lien entre les deux effaires

Le lien peut-être divers (identité, totale ou partielle, des parties, partiellement à l’identité de la cause ou d’objet).

Par exemple, une partie demande l’exécution forcée d’un contrat devant une juridiction tandis que l’autre demande la résiliation du même contrat devant une autre juridiction.

2.1.2 – Intérêt d’une bonne justice de les instruire ensemble

Existence d’un intérêt rationnel à les juger ensemble, les décisions rendues pouvant être inconciliables. Cet intérêt est évident, par exemple entre la demande en exécution forcée d’un contrat et la demande en résiliation ou en nullité du même contrat.

2.1.3 – La connexité, une appréciation souveraine du juge du fond.

La Cour de cassation laisse au juge l’appréciation des circonstances qui établissent la connexité  (Cour de cassation, Chambre civile 1 du 09/10/1974 n° 72-14647).

2.1.4 – Moment de la formulation de la demande de connexité

La demande de connexité peut être demandée à tout moment de la procédure, sauf à l’écarter si la demande tardive procède d’une intention dilatoire (article 103 du Code de procédure civile).

2.2 – Décision sur la connexité

Il résulte des articles 101 et 103 du CPC que le renvoi pour connexité doit être demandé par les parties.

Le juge ne peut relever d’office l’existence d’une connexité entre deux affaires.

L’exception de connexité peut être proposée en tout état de cause, sauf à être écartée si elle

3 – Règles communes À la litispendance et la connexité (article 104 et suivants du CPC)

Lorsque les juridictions saisies ne sont pas de même degré, l’exception de litispendance ne peut être soulevée que devant la juridiction de degré inférieur (article 102 du CPC).

Les voies de recours fonctionnent comme en matière d’incompétence (article 104 du CPC).

En cas de recours multiples, la décision est celle de la première cour d’appel saisie qui, si elle accueille l’exception, attribuera l’affaire à la juridiction qu’elle considère la mieux placée pour en connaître.

La décision rendue sur l’exception s’impose à la juridiction de renvoi et à celle dont le dessaisissement est ordonné.

En cas de double dessaisissement : la dernière des deux décisions rendues en ce sens est considérée comme non avenue.

DOCUMENTATION


1ière partie : les exceptions d’incompétence d’attribution et territoriale


DALLOZDocumentation/Encyclopédie/Répertoire de procédure civile : Incompétence

LEXIS 360 Entreprise – Les tribunaux de commerce n’ont plus d’accès au contenu de la documentation concernant la procédure civile.

Site A. Bamdé et J. Bourdoiseau : l’incompétence


2ième partie : les exceptions de litispendance et de connexité


DALLOZ : Documentation/Encyclopédie/Répertoire de procédure civile/Rubrique « Connexité» et rubrique « Litispendance ».

  • Documentation/Ouvrages DALLOZ/Droit et pratique de la procédure civile (Dalloz action)/Chapitre 252 : connexité et litispendance.

Site A. Bamdé et J. Bourdoiseau : la litispendance, la connexité

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