La force majeure
(Article 1218 du Code civil)
1. â Lâarticle applicable (1218 du Code civil)
Article 1218
« Il y a force majeure en matiĂšre contractuelle lorsqu’un Ă©vĂ©nement Ă©chappant au contrĂŽle du dĂ©biteur, qui ne pouvait ĂȘtre raisonnablement prĂ©vu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent ĂȘtre Ă©vitĂ©s par des mesures appropriĂ©es, empĂȘche l’exĂ©cution de son obligation par le dĂ©biteur.
Si lâempĂȘchement est temporaire, l’exĂ©cution de l’obligation est suspendue Ă moins que le retard qui en rĂ©sulterait ne justifie la rĂ©solution du contrat. Si lâempĂȘchement est dĂ©finitif, le contrat est rĂ©solu de plein droit et les parties sont libĂ©rĂ©es de leurs obligations dans les conditions prĂ©vues aux articles 1351 et 1351-1 ».
 2. â DĂ©finition et domaine.
De cette dĂ©finition de la force majeure, donnĂ©e par lâarticle 1218, il apparaĂźt que trois Ă©lĂ©ments doivent ĂȘtre rĂ©unis pour quâun Ă©vĂšnement soit qualifiĂ© de force majeure, LâĂ©vĂšnement doit :
- échapper au contrÎle du débiteur,
- ĂȘtre imprĂ©visible,
- ĂȘtre irrĂ©sistible.
Ce texte nâĂ©tant pas impĂ©ratif, il nâest pas douteux que les parties demeurent libres de prĂ©voir Ă lâavance les consĂ©quences de la survenance dâun Ă©vĂšnement de force majeure sur leurs relations contractuelles.
3. â Examen des critĂšres exigĂ©s pour que lâĂ©vĂšnement soit qualifiĂ© de force majeure
3.1 â Abandon du critĂšre dâextĂ©rioritĂ© remplacĂ© par la notion dâĂ©vĂšnement qui Ă©chappe au contrĂŽle du dĂ©biteur
Lâarticle 1218 prĂ©cise que pour constituer un cas de force majeure lâĂ©vĂ©nement invoquĂ© doit avoir Ă©chappĂ© au contrĂŽle du dĂ©biteur. Ce critĂšre, remplace lâexigence dâextĂ©rioritĂ©, qui Ă©tait imposĂ©e par une partie de la jurisprudence.
La question qui se pose est alors de savoir à quelles hypothÚses correspond un événement qui échappe au contrÎle du débiteur.
On pourrait considĂ©rer quâil sâagit dâun Ă©vĂ©nement qui serait Ă©tranger Ă son activitĂ©, car ne relevant pas de son contrĂŽle. Cette interprĂ©tation conduirait nĂ©anmoins Ă rĂ©introduire le critĂšre dâextĂ©rioritĂ©. Or cela serait contraire Ă la volontĂ© du lĂ©gislateur.
Aussi, convient-il dâadmettre que le nouveau critĂšre posĂ© par lâarticle 1218 couvre un spectre plus large de situations, lesquelles sont susceptibles de correspondre, tant Ă des Ă©vĂšnements externes quâinternes.
Ce qui importe, pour constituer un cas de force majeure, câest que le dĂ©biteur nâait pas de prise sur lâĂ©vĂ©nement invoquĂ©, celui-ci Ă©chappant Ă son contrĂŽle.
Pris dans cette acception, le critĂšre de « lâabsence de contrĂŽle » autorise Ă inclure, Ă lâinstar de certaines dĂ©cisions, dans le giron des cas de force majeure la maladie du dĂ©biteur ou encore la grĂšve Ă la condition nĂ©anmoins que, dans ces deux cas, lâĂ©vĂ©nement invoquĂ© ne rĂ©sulte pas de la conduite du dĂ©biteur.
En effet, la maladie qui serait causĂ©e par la conduite Ă risque du dĂ©biteur ne devrait, a priori, pas ĂȘtre constitutive dâun cas de force majeure. Il en va de mĂȘme pour une grĂšve qui prendrait sa source dans une dĂ©cision de lâemployeur.
Cour de cassation, assemblée pléniÚre du 14/04/2006, n° 02-11168.
« Attendu, selon l’arrĂȘt confirmatif attaquĂ© (Douai, 12 novembre 2001), que M. X⊠a commandĂ© Ă M. Y⊠une machine spĂ©cialement conçue pour les besoins de son activitĂ© professionnelle ;
Qu’en raison de l’Ă©tat de santĂ© de ce dernier, les parties sont convenues d’une nouvelle date de livraison qui n’a pas Ă©tĂ© respectĂ©e ;
Que les examens mĂ©dicaux qu’il a subis ont rĂ©vĂ©lĂ© l’existence d’un cancer des suites duquel il est dĂ©cĂ©dĂ© quelques mois plus tard sans que la machine ait Ă©tĂ© livrĂ©e ;
Que M. X⊠a fait assigner les consorts YâŠ, hĂ©ritiers du dĂ©funt, en rĂ©solution du contrat et en paiement de dommages-intĂ©rĂȘts ;
Attendu que M. X⊠fait grief Ă l’arrĂȘt d’avoir rejetĂ© sa demande de dommages-intĂ©rĂȘts alors, selon le moyen :âŠ
Mais attendu qu’il n’y a lieu Ă aucuns dommages-intĂ©rĂȘts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le dĂ©biteur a Ă©tĂ© empĂȘchĂ© de donner ou de faire ce Ă quoi il Ă©tait obligĂ©, ou a fait ce qui lui Ă©tait interdit ;
Qu’il en est ainsi lorsque le dĂ©biteur a Ă©tĂ© empĂȘchĂ© d’exĂ©cuter par la maladie, dĂšs lors que cet Ă©vĂ©nement, prĂ©sentant un caractĂšre imprĂ©visible lors de la conclusion du contrat et irrĂ©sistible dans son exĂ©cution, est constitutif d’un cas de force majeure ;
Qu’ayant retenu, par motifs propres et adoptĂ©s, que seul Michel Y⊠était en mesure de rĂ©aliser la machine et qu’il s’en Ă©tait trouvĂ© empĂȘchĂ© par son incapacitĂ© temporaire partielle puis par la maladie ayant entraĂźnĂ© son dĂ©cĂšs, que l’incapacitĂ© physique rĂ©sultant de l’infection et de la maladie grave survenues aprĂšs la conclusion du contrat prĂ©sentait un caractĂšre imprĂ©visible et que la chronologie des faits ainsi que les attestations relatant la dĂ©gradation brutale de son Ă©tat de santĂ© faisaient la preuve d’une maladie irrĂ©sistible, la cour d’appel a dĂ©cidĂ© Ă bon droit que ces circonstances Ă©taient constitutives d’un cas de force majeure ».
3.2 â Sur le critĂšre dâimprĂ©visibilitĂ©
Le deuxiĂšme Ă©lĂ©ment de la dĂ©finition de la force majeure posĂ© par lâarticle 1218 du Code civil concerne lâimprĂ©visibilitĂ© de lâĂ©vĂ©nement.
Ce critÚre appelle deux observations :
- lâimprĂ©visibilitĂ© sâapprĂ©cie par rĂ©fĂ©rence Ă un contractant prudent et diligent, et en tenant compte des circonstances de lieu, de temps, de la saison. Il faut que la personne sujette nâait pas pu prĂ©voir la rĂ©alisation du dommage,
- de plus, lâimprĂ©visibilitĂ© doit sâapprĂ©cier au jour de la formation ou de la conclusion du contrat, le dĂ©biteur ne sâĂ©tant engagĂ© quâen fonction de ce qui Ă©tait prĂ©visible Ă cette date. Si lâĂ©vĂ©nement Ă©tait prĂ©visible au moment de la formation du contrat, le dĂ©biteur a entendu supporter le risque de ne pas pouvoir exĂ©cuter son obligation.
Ainsi, en fonction des circonstances de lieu, de date, de saison, peuvent ne peut pas ĂȘtre regardĂ©s comme des cas de force majeure, le verglas, la tempĂȘte, le vent, lâorage, les inondations, les chutes de neige, le brouillard, les glissements et effondrements de terrains, etcâŠExemple, une inondation dans un terrain reconnu inondable, ne peut constituer un cas de force majeure.
3.3 â Sur le critĂšre dâirrĂ©sistibilitĂ©
TroisiĂšme et dernier critĂšre caractĂ©risant la force majeure, posĂ©e par lâarticle 1218, alinĂ©a 1 du Code civil : lâirrĂ©sistibilitĂ©.
Le texte dispose que la force majeure est constituĂ©e lorsque les effets de lâĂ©vĂ©nement « ne peuvent ĂȘtre Ă©vitĂ©s par des mesures appropriĂ©es. »
Le rapport au PrĂ©sident de la rĂ©publique prĂ©cise que lâirrĂ©sistibilitĂ© de lâĂ©vĂ©nement doit lâĂȘtre, tant dans sa survenance (inĂ©vitable) que dans ses effets (insurmontables).
LâirrĂ©sistibilitĂ© implique donc une apprĂ©ciation du comportement de lâindividu pendant toute la durĂ©e de rĂ©alisation de lâĂ©vĂ©nement, de son fait gĂ©nĂ©rateur Ă ses consĂ©quences.
Pour que lâĂ©vĂ©nement soit irrĂ©sistible il faut que la personne concernĂ©e ait Ă©tĂ© dans lâimpossibilitĂ© dâagir autrement quâelle lâa fait.
Aussi, dĂšs lors que lâĂ©vĂ©nement peut ĂȘtre surmontĂ©, y compris dans des conditions plus difficiles par le dĂ©biteur, il nâest pas fondĂ© Ă se prĂ©valoir de la force majeure.
4. â Effets de la force majeure.
Outre lâexonĂ©ration de responsabilitĂ© du dĂ©biteur, la force majeure a pour effet, la suspension ou lâextinction du contrat.
Pour que la force majeure produise ses effets, le dĂ©biteur doit justifier dâun empĂȘchement qui rend lâexĂ©cution de son obligation, non pas difficile, mais impossible.
LâimpossibilitĂ© sera apprĂ©ciĂ©e objectivement par la juridiction saisie, soit, non pas en considĂ©ration de la personne du dĂ©biteur, mais en fonction dâĂ©lĂ©ments objectifs.
4.1 â En cas dâempĂȘchement temporaire, suspension du contrat.
Lorsque lâempĂȘchement est temporaire, lâarticle 1218 prĂ©voit que lâexĂ©cution de lâobligation est suspendue.
A titre dâexception, lâarticle 1218, prĂ©voit que lâempĂȘchement temporaire peut entraĂźner, non pas la suspension, mais lâextinction du contrat, lorsque le retard justifie sa rĂ©solution. On peut imaginer que le texte vise lâhypothĂšse oĂč lâexĂ©cution tardive de lâobligation ne prĂ©sente plus aucun intĂ©rĂȘt pour le crĂ©ancier.
4.2 â En cas dâempĂȘchement dĂ©finitif, rĂ©solution de plein droit du contrat
Lorsque lâempĂȘchement est dĂ©finitif, lâarticle 1218 prĂ©voit que le contrat est rĂ©solu de plein droit.
Il appartiendra dĂ©sormais au crĂ©ancier insatisfait de contester, devant le juge, la rĂ©solution invoquĂ©e par le dĂ©biteur prĂ©tendument empĂȘchĂ© dâexĂ©cution par un cas de force majeure.
Quant aux modalités de cette libération automatique, le texte renvoie aux articles 1351 à 1351-7, qui régissent les restitutions et dont il conviendra de se reporter.
Cour de cassation du 16/02/2025, n° 23-21266
 » Vu les articles 1218 et 1229 alinéa 3 du Code civil :
- Selon le premier de ces textes, il y a force majeure en matiĂšre contractuelle lorsqu’un Ă©vĂšnement Ă©chappant au contrĂŽle du dĂ©biteur, qui ne pouvait ĂȘtre raisonnablement prĂ©vu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent ĂȘtre Ă©vitĂ©s par des mesures appropriĂ©es, empĂȘche l’exĂ©cution de son obligation par le dĂ©biteur. Si lâempĂȘchement est dĂ©finitif, le contrat est rĂ©solu de plein droit et les parties sont libĂ©rĂ©s de leurs obligations dans les conditions prĂ©vues aux articles 1351 et 1351-1.
- Aux termes du second, lorsque les prestations Ă©changĂ©es ne pouvaient trouver leur utilitĂ© que par l’exĂ©cution complĂšte du contrat conclu, les parties doivent restituer l’intĂ©gralitĂ© de ce qu’elles se sont procurĂ© l’une Ă l’autre.
- Il rĂ©sulte de ces dispositions que, lorsque le contrat est synallagmatique et que les prestations Ă©changĂ©es ne pouvaient trouver leur utilitĂ© que par l’exĂ©cution complĂšte du contrat rĂ©solu, le crĂ©ancier de l’obligation inexĂ©cutĂ©e est Ă©galement libĂ©rĂ© de son obligation et a droit Ă la restitution du prix payĂ© en contrepartie de l’obligation inexĂ©cutĂ©e.
- Pour rejeter la demande de Mr J de remboursement du prix payĂ© pour la location du stand, le jugement aprĂšs avoir rappelĂ© les dispositions de l’article 1218 alinĂ©a 1ier du Code civil, retient que la pandĂ©mie de Covid 19 constituait un Ă©vĂšnement Ă©chappant au contrĂŽle du ComitĂ© de la foire qui ne pouvait ĂȘtre raisonnablement prĂ©vu lors de la conclusion du contrat. Il en dĂ©duit que l’annulation de la foire est due Ă cet Ă©vĂšnement et que celui-ci constituait un cas de force majeure.
- En statuant ainsi, alors que la survenance d’un cas de force majeure ayant empĂȘchĂ© l’exĂ©cution par le ComitĂ© de la foire de son obligation emportait la rĂ©solution de plein droit du contrat et entraĂźnait en consĂ©quence la restitution du prix Ă Mr J, qui, en demandant le remboursement de la somme versĂ©e, se prĂ©valait nĂ©cessairement de la rĂ©solution du contrat de rĂ©servation, le tribunal qui n’a pas tirĂ© les consĂ©quences lĂ©gales de ses constatations, a violĂ© le texte susvisĂ© « .