Jean-Claude LEMALLE : une expérience de juge-consulaire

Jean-Claude LEMALLE

Trame d'un jugement d'ouverture
d'une procédure collective à l'encontre
d'un entrepreneur individuel

0. – Précisions importantes ⚖️

L’ensemble de ces trames ne peut trouver à s’appliquer pour l’ouverture d’un rétablissement professionnel au bénéfice d’un entrepreneur individuel.

1. – Déclaration de cessation des paiements par l’entrepreneur individuel ⚖️

L’entrepreneur individuel venant déclarer un état de cessation des paiements ou de surendettement, le tribunal doit, conformément à l’article L. 681‑1 du Code de commerce, apprécier distinctement la situation du patrimoine professionnel et celle du patrimoine personnel.

Introduction commune à toutes les hypothèses

✏️ Rappel des faits et de la procédure

Attendu que :

En date du —–, Monsieur —– a déposé au greffe du tribunal de commerce de CANNES une déclaration de cessation des paiements aux fins d’ouverture d’un redressement judiciaire ;

Depuis l’entrée en vigueur de la réforme du 15 mai 2022, l’entrepreneur individuel exerçant en nom propre est tenu de distinguer clairement son patrimoine professionnel de son patrimoine personnel.

Conformément à l’article L. 681‑1 du Code de commerce, le tribunal de commerce a pour obligation :

➤ d’apprécier si les conditions d’ouverture d’une procédure, telles que définies aux titres II à IV du livre VI du Code de commerce, sont réunies au regard de la situation du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel ;

➤ d’examiner si les critères de surendettement prévus à l’article L. 711‑1 du Code de la consommation sont satisfaits au vu du patrimoine personnel, c’est‑à‑dire de l’actif et de l’ensemble des dettes exigibles ou à échoir dont le recouvrement peut être exercé sur cet actif.

1.1 – CAS n° 1 : Patrimoine professionnel en cessation des paiements – Patrimoine personnel non surendetté

✏️ Concernant le patrimoine professionnel, Monsieur —– fait état d’un passif exigible de —– € et d’un actif disponible de —– € ; Monsieur —– se trouve donc en état de cessation des paiements, étant dans l’impossibilité de faire face à son passif professionnel exigible avec son actif professionnel disponible.

En application de l’article L. 631‑1 du Code de commerce, il convient d’ordonner l’ouverture d’un redressement judiciaire limité au patrimoine professionnel et de fixer provisoirement la date de cessation des paiements au —– .

Concernant le patrimoine personnel, au regard des pièces produites, il convient de constater que Monsieur —– peut faire face à l’ensemble de ses dettes exigibles et à échoir, il n’est donc pas en situation de surendettement au sens de l’article L. 711‑1 du Code de la consommation.

En conséquence, en application de l’article L. 681‑2, II du Code de commerce, il y a lieu d’ouvrir une procédure de redressement judiciaire limitée au seul patrimoine professionnel.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal —–

Vu les articles L. 631‑1, L. 681‑1 et L. 681‑2 II du Code de commerce, ainsi que l’article L. 711‑1 du Code de la consommation ;

OUVRE une procédure de redressement judiciaire limitée au seul patrimoine professionnel de Monsieur —– ;

FIXE provisoirement la date de cessation des paiements au —– ;

(ajouter : désignation des organes de la procédure, mesures de publicité, notification, etc.)

1.2 – Patrimoine professionnel en cessation des paiements – Patrimoine personnel surendetté

1.2.1 – Cas n° 2 : Non‑respect de la séparation des patrimoines

✏️ Attendu que :

Concernant le patrimoine professionnel, Monsieur —– fait état d’un passif exigible de —– € et d’un actif disponible de —– €.

Monsieur —– se trouve donc en état de cessation des paiements, étant dans l’impossibilité de faire face à son passif professionnel exigible avec son actif professionnel disponible.

Concernant le patrimoine personnel, il résulte des pièces produites que le passif exigible s’élève à —– € pour un actif évalué à —– €, caractérisant une situation de surendettement au sens de l’article L. 711‑1 du Code de la consommation.

Il ressort des éléments du dossier que Monsieur —– n’a pas respecté la séparation de ses patrimoines, notamment :

  • utilisation d’un compte bancaire unique pour ses opérations personnelles et professionnelles ;
  • absence de distinction comptable entre ses flux personnels et professionnels ;
  • existence d’un droit de gage de créanciers professionnels (administration fiscale ou URSSAF) sur le patrimoine personnel, en vertu de la loi.

(Relever précisément le ou les faits établissant le non‑respect de la séparation des patrimoines.)

Dans ces conditions, en application de l’article L. 681‑2, III du Code de commerce, il convient d’ouvrir une procédure de redressement judiciaire englobant le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel, tout en distinguant le droit de gage de chaque créancier.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal —–

Vu les articles L. 631‑1, L. 681‑1 et L. 681‑2 III du Code de commerce, ainsi que l’article L. 711‑1 du Code de la consommation ;

OUVRE une procédure de redressement judiciaire à l’encontre de Monsieur —–, englobant le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel, tout en distinguant le droit de gage de chaque créancier ;

FIXE provisoirement la date de cessation des paiements au —– ;

(ajouter : désignation des organes de la procédure, mesures de publicité, notification, etc.)

1.2.2 – Cas n° 3 : Respect de la séparation des patrimoines

✏️ Attendu que :

Concernant le patrimoine professionnel, Monsieur —– fait état d’un passif exigible de —– € et d’un actif disponible de —– €.

Monsieur —– se trouve donc en état de cessation des paiements.

Concernant le patrimoine personnel, il résulte des pièces produites que le passif exigible s’élève à —– € pour un actif évalué à —– €, caractérisant une situation de surendettement au sens de l’article L. 711‑1 du Code de la consommation.

Il ressort des éléments du dossier que Monsieur —– a respecté la séparation de ses patrimoines, et qu’aucun élément ne permet de relever une confusion de patrimoines, ni de constater l’existence d’un droit de gage d’un créancier professionnel sur le patrimoine personnel ;

Le tribunal prend acte que Monsieur —–, en application de l’article L. 681‑3 IV du Code de commerce, donne son accord pour que le tribunal de commerce saisisse la commission de surendettement aux fins de traitement des dettes dont il est redevable sur son patrimoine personnel.

ou

Le tribunal prend acte que Monsieur —– ne donne pas son accord pour que le tribunal de commerce saisisse la commission de surendettement.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal —–

Vu les articles L. 631‑1, L. 681‑1 et L. 681‑3 IV du Code de commerce, ainsi que l’article L. 711‑1 du Code de la consommation ;

OUVRE une procédure de redressement judiciaire limitée au seul patrimoine professionnel de Monsieur —– ;

RENVOIE, avec l’accord du débiteur, le dossier relatif au patrimoine personnel à la commission de surendettement compétente ;

ou

DIT qu’en l’absence de l’accord de Monsieur —– il n’y a pas lieu de saisir la commission de surendettement ;

FIXE provisoirement la date de cessation des paiements au —– ;

(ajouter : désignation des organes de la procédure, mesures de publicité, notification, etc.)

1.3 – Variante : ouverture d’une liquidation judiciaire

Si le tribunal constate que la situation du débiteur ne permet pas manifestement le redressement de l’entreprise, il convient d’ouvrir une procédure de liquidation judiciaire, limitée ou non selon le cas.

La motivation du jugement reste identique à celle de la procédure de redressement judiciaire, il convient simplement de constater l’impossibilité manifeste de redresser l’entreprise et, en conséquence, d’ouvrir une procédure de liquidation judiciaire en application de l’article L. 641‑1 du Code de commerce.

Il convient également d’examiner si les conditions d’ouverture d’une liquidation judiciaire sont remplies.

2. – Assignation par un créancier : preuve de la cessation des paiements et difficulté d’apprécier le patrimoine personnel ⚖️

2.1 – Principes généraux

Lorsqu’un créancier assigne un entrepreneur individuel en ouverture d’une procédure collective, le tribunal reste tenu d’appliquer l’article L. 681‑1 du Code de commerce : il doit obligatoirement apprécier la situation du patrimoine professionnel et celle du patrimoine personnel.

Cette double appréciation devient toutefois complexe dans ce cadre, car la charge de la preuve de la cessation des paiements pèse sur le créancier professionnel, lequel ne dispose généralement que de peu d’éléments concernant le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel.

ll convient de rappeler que le tribunal de commerce — ou, le cas échéant, le tribunal judiciaire — demeure seul compétent pour apprécier la situation financière d’un entrepreneur individuel, tant pour son patrimoine professionnel que pour son patrimoine personnel.

Nous n’examinons ci‑dessous que le cas de l’assignation d’un créancier professionnel.

2.2 – Charge de la preuve de la cessation des paiements

Il convient de rappeler que le créancier poursuivant a la charge de démontrer :

📌 l’existence d’un passif exigible (factures, mise en demeure, jugement exécutoire, etc.),

📌 l’insuffisance ou l’inexistence d’un actif disponible pour y faire face.

Il ne lui appartient pas d’établir un état comptable complet, mais de fournir des indices concordants : absence de règlement malgré relance, retour d’injonction de payer, compte bancaire bloqué, procédure d’exécution infructueuse, etc. Le tribunal apprécie souverainement ces éléments, au regard des circonstances particulières de la cause.

2.3 – Patrimoine personnel : difficultés d’apporter la preuve

Le créancier assignant ne dispose, en principe, d’aucune information sur la composition du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel, il ne peut donc démontrer ni exclure une situation de surendettement au sens de l’article L. 711‑1 du Code de la consommation.

2.3.1 – Absence de l’entrepreneur individuel à l’audience

À défaut d’audition du débiteur, le tribunal ne peut statuer que sur la base des éléments relatifs au patrimoine professionnel. Dans ces conditions, il doit, en premier lieu, juger si le créancier démontre l’état de cessation des paiements de l’entrepreneur individuel. Si tel est le cas, il fait application du cas n° 1 : ouverture d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire sur le seul patrimoine professionnel et constatation de l’absence de surendettement, avec la justification suivante :

« En l’absence du débiteur, le tribunal ne dispose d’aucun élément permettant d’apprécier la situation du patrimoine personnel. En conséquence, seule la situation du patrimoine professionnel peut être examinée. »

2.3.2 – En présence de l’entrepreneur individuel à l’audience

Lorsque l’entrepreneur individuel comparaît à l’audience, le tribunal peut recueillir ses déclarations sur la situation de ses deux patrimoines, et notamment sur l’existence d’un éventuel surendettement. Deux situations peuvent alors se présenter :

📌 l’entrepreneur individuel ne reconnaît pas être en situation de surendettement, ou ne donne aucun renseignement sur la situation de son patrimoine personnel ; le tribunal fait alors application du cas n° 1, en indiquant : « À l’audience, l’entrepreneur individuel informe le tribunal qu’il n’est pas en situation de surendettement concernant son patrimoine personnel. »

📌 l’entrepreneur individuel reconnaît sa situation de surendettement, il convient alors de faire application des cas n° 2 et n° 3 au regard du respect de la séparation des patrimoines.

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