juge-commissaire 4

Jean-Claude LEMALLE : une expérience de juge-consulaire

Jean-Claude LEMALLE

Cautionnement donné par une personne physique au profit d'un créancier professionnel
2ième partie : le devoir de mise en garde

📅 Mis à jour le 11 juin 2025

1. – Généralités

Traditionnellement, aucune obligation d’information n’était mise à la charge du créancier. Il appartenait ainsi à la caution d’être prudente et de se renseigner sur la situation du débiteur de l’opération garantie.

La jurisprudence a créé progressivement un devoir de mise en garde propre au droit du cautionnement.

L’ordonnance du 15/09/2021  a consacré dans le Code civil ce devoir de mise en garde, mais en a réduit l’objet et modifier le champ d’application.

Nous sommes donc amenés à examiner les obligations de devoir de mise en garde mis à la charge du créancier avant le 01/01/2022 puis à compter de cette date.

2. – Le devoir de mise en garde du créancier avant le 01/01/2022

2.1 – L’objet du devoir de mise en garde

Il existe deux grandes catégories de risques contre lesquels la caution non avertie doit être alertée :

  • d’une part, sur le caractère inadapté du crédit garanti par rapport aux capacités de remboursement de l’emprunteur,
  • d’autre part, sur le caractère inadapté du cautionnement au regard des capacités financières de la caution.

Ce double objet du devoir de mise en garde a été clairement délimité par un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 15/11/2017 (n° 16-16790) qui a jugé que :

 » la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l’égard d’une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n’est pas adapté aux capacités financières de la caution ou il existe un risque de l’endettement né de l’octroi du prêt garanti, lequel résulte de l’inadaptation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur « 

Cette obligation de mise en garde, ne s’impose au créancier professionnel, que si la caution est qualifiée de non avertie, autrement dit profane en matière financière. Il apparait donc nécessaire de définir cette notion de  » caution non avertie « .

2.2 – La notion de caution non avertie

La jurisprudence considère que la caution avertie est celle qui dispose des compétences nécessaires pour apprécier le contenu, la portée et les risques liés aux concours consentis.

Ce caractère s’apprécie selon plusieurs critères :

  • le niveau de qualification de la caution ;
  • ses connaissances en gestion ;
  • son implication effective dans l’opération financée ;
  • la complexité de l’opération ;
  • la connaissance de la situation financière du débiteur principal.

Afin d’être dispensé de toute mise en garde, il appartient à l’établissement de crédit de démontrer le caractère averti de la caution. La qualité de dirigeant ne suffit pas en soi (Cour de cassation du 22/03/2006, n° 14-20216)

L’ancienneté dans la fonction de direction et la réalisation pendant cette période de plusieurs opérations financières peuvent permettre une qualification d’avertie, comme le fait d’être dirigeant de plusieurs sociétés.

Il appartient au juge de justifier avec précision les faits qui le conduisent à qualifier la caution « d’avertie ».   

2.3 – L’inadaptation du crédit aux capacités de remboursement de l’emprunteur

Pour mieux comprendre cette obligation de mise en garde de la caution examinons l’arrêt de la Cour de cassation du 25/09/2019 (n° 18-15655).

Vu l’article 1382, devenu 1240, du code civil ;

Attendu que pour rejeter la demande de M. Z tendant à obtenir la condamnation de la banque à lui payer des dommages-intérêts d’un montant équivalent aux sommes réclamées au titre des cautionnements et ordonner la compensation entre les créances, l’arrêt retient que la caution, qui ne représente pas les intérêts du débiteur principal, ne dispose pas de la qualité pour invoquer une faute de la banque dans le cadre de la procédure de conciliation, qu’aucune demande n’a été formulée à ce titre par la SDGB dans le cadre de la procédure en contestation de la créance, à l’issue de laquelle la créance de la banque a été admise au passif conformément à sa déclaration, que les moyens tirés de l’éventuelle responsabilité de la banque dans le  » dépôt de bilan  » de la SDGB et dans la perte du principal actif de cette société constituent des exceptions inhérentes à la dette que la caution est d’autant moins fondée à invoquer que ses griefs visent le comportement de la banque en 2010 de sorte qu’ils ne présentent pas de lien avec l’objet de la présente instance ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la caution peut demander au créancier réparation du préjudice personnel et distinct qu’elle impute à une faute de celui-ci commise dans ses rapports avec le débiteur principal, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

Il apparaît donc que la caution peut invoquer en application de l’article 1240 du Code civil (anciennement 1382), la responsabilité extracontractuelle de la banque, qui en commettant une faute à l’encontre du débiteur principal a fait subir à la caution, un tiers à cette relation contractuelle, un dommage l’obligeant à réparation.

Dans un arrêt récent du 09/03/2022 la Cour de cassation (n° 20-16277), a confirmé sa jurisprudence en indiquant avec précision dans quel cas, la banque a l’obligation de mettre en garde la caution concernant la situation du débiteur principal :

Pour établir que le banquier dispensateur de crédit était tenu, à son égard, d’un devoir de mise en garde, la caution non avertie doit établir qu’à la date à laquelle son engagement a été souscrit, celui-ci n’était pas adapté à ses capacités financières ou qu’il existait un risque d’endettement né de l’octroi du prêt, lequel résultait de l’inadaptation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur. La circonstance que la banque a octroyé le prêt sans disposer d’éléments comptables sur l’activité prévisionnelle de l’emprunteur ne dispense pas la caution d’établir l’inadaptation de ce prêt aux capacités financières de l’emprunteur.

Il en résulte que le créancier professionnel a l’obligation de mettre en garde la caution non avertie, concernant la situation du débiteur principal que si le prêt apparaît inadapté aux capacités financières de l’emprunteur.

Dans la mesure ou le créancier professionnel démontre que la caution peut être qualifiée d’avertie, il n’a donc aucune obligation de mise en garde, la jurisprudence estimant que dans cette hypothèse il possède les connaissances nécessaires pour prendre conscience des risques qu’il prend par son engagement de caution.

Par contre, même si l’emprunteur est averti, le créancier professionnel a l’obligation de mettre en garde, la caution non avertie, si l’engagement n’est pas adapté aux capacités financières de l’emprunteur.

2.3.1 – Un arrêt de la Cour de cassation du 11/12/2024 (n° 23-15744), qui définit le contour précis de l’obligation de mise en garde du banquier

Vu l’article 1231-1 du code civil :

Il résulte de cet article que l’obligation de mise en garde à laquelle peut être tenu un établissement de crédit à l’égard d’un emprunteur non averti avant de lui consentir un prêt ne porte que sur l’inadaptation de celui-ci aux capacités financières de l’emprunteur et sur le risque de l’endettement qui résulte de son octroi et non sur l’opportunité ou les risques de l’opération financée.

Pour retenir que la banque avait manqué à son devoir de mise en garde, l’arrêt énonce qu’il ne résulte d’aucune pièce versée aux débats que la banque se soit renseignée d’une manière ou d’une autre sur la situation financière de la société GTS dont la société CB Investissement gérée par Mme [H] avait racheté les parts sociales ni sur la faisabilité du projet, ni sur le risque d’endettement.

En statuant ainsi, alors qu’il n’incombait pas à la banque d’alerter la société CB Investissement sur l’opportunité ou la faisabilité de son projet, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

2.3.2 – Un arrêt de la Cour de cassation du 24/11/2021, qui confirme cette obligation de mise en garde

L’obligation de mise en garde à laquelle une banque est tenue à l’égard d’une caution non avertie, à raison des capacités financières de cette dernière et du risque de l’endettement né de l’octroi du prêt garanti, lequel résulte de l’inadaptation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur, n’est pas limitée au caractère manifestement disproportionné de son engagement au regard de ses biens et revenus. Le moyen, en sa première branche, procède donc d’un postulat erroné.

Après avoir rappelé que la société L’Auberge dorée, dotée d’un capital social de 3 000 euros, avait acquis, pour 260 000 euros, un fonds de commerce de bar restaurant hôtel et que cette acquisition avait été intégralement financée par la banque, la société n’ayant fait aucun apport, l’arrêt relève que le montant des échéances mensuelles du prêt était de 4 039 euros, que le montant des loyers était de 3 400 euros TTC par mois, en forte augmentation par rapport au loyer supporté par le précédent exploitant, et que, selon l’administrateur chargé de la procédure judiciaire de la société débitrice, le fonds de commerce avait été acquis à un prix trop élevé, le financement initial de l’opération était insuffisant et la société avait souffert d’un manque d’activité depuis l’ouverture.

En l’état de ces constatations et appréciations, desquelles elle a souverainement déduit que le prêt accordé par la banque était inadapté aux capacités financières de la société emprunteuse, qui s’est trouvée en état de cessation des paiements dès le 1er septembre 2013, soit dix-huit mois après l’exigibilité de la première échéance du prêt, la cour d’appel a exactement retenu que la banque était tenue à l’égard de M. et Mme [G], cautions non averties, d’une obligation de mise en garde lors de la souscription de leur engagement.

Cette arrêt est intéressant car il précise que l’obligation de mettre en garde une caution non avertie à raison de l’inadaptation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur, est applicable même si l’engagement de la caution, non avertie, est adapté à ses capacités financières. 

2.4 – L’inadaptation du cautionnement aux capacités de la caution

Si les arrêts de la Cour de cassation font effectivement mention de l’obligation pour le banquier de mettre en garde la caution non avertie dans l’hypothèse d’un cautionnement inadapté aux capacités financières de la caution, il est difficile de trouver une jurisprudence qui traite de ce cas d’obligation de mise en garde imposée au banquier, et qui en précise le contour.

En effet, que faut-il entendre par  » cautionnement inadapté aux capacités financières de la caution  » et ceci en comparaison avec l’article L. 332-1 du Code de la consommation (applicable aux cautionnement souscrits avant le 01/01/2022), qui traite de la disproportion en ces termes  » un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus « 

On pourrait simplement en déduire que le devoir de mise en garde ne nécessite pas un cautionnement « manifestement disproportionné« , mais simplement une inadaptation aux capacités financières de la caution.

Il appartiendra au juge de bien définir sur quels critères il fonde sa décision pour constater cette inadaptation et ceci au regard des biens et revenus de la caution.

Cette difficulté d’interprétation disparait pour les cautionnements signés à compter du 01/01/2022, car l’article 2299 du Code civil n’impose au créancier professionnel qu’un devoir de mise en garde que lorsque l’engagement du débiteur principal est inadapté aux capacités financières de ce dernier. 

2.5 – Les conséquences du défaut de mise en garde

Le manquement au devoir de mise en garde engage la responsabilité de la banque sur le fondement de l’article 1240 du Code civil (ancien art. 1382).

 Ce préjudice s’analyse en une perte de chance de ne pas souscrire le cautionnement (Cour de cassation du 20/10/2009, n° 08-20274).

Dès lors, il revient au juge ayant constaté un manquement du créancier à son devoir de mise en garde de rechercher quel aurait été le comportement de la caution correctement mise en garde. La réparation ne peut en principe consister qu’en une fraction de la dette de la caution, calculée en fonction de la probabilité qu’elle ne se soit pas engagée, laquelle peut être minime (Cour de cassation du 08/09/20214, n° 19-20497, concernant un époux soutenant la création d’entreprise de sa femme).

Cour de cassation du 24/11/2021, n° 19-25195 :

Vu l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 ;

Il résulte de ce texte que la réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.

Pour fixer le montant des dommages-intérêts dus en réparation du préjudice subi par M. et Mme [G] en raison du manquement de la banque à son obligation de mise en garde, l’arrêt retient que ce préjudice est caractérisé, pour les cautions, par la perte de chance de ne pas s’engager et qu’il doit être réparé à hauteur de la somme de 200 000 euros.

En statuant ainsi, alors qu’en fixant le montant des dommages-intérêts dus par la banque à la même somme que celle au paiement de laquelle elle condamnait M. et Mme [G] en exécution de leur engagement, la cour d’appel, qui a alloué aux cautions l’intégralité de l’avantage qu’aurait procuré la chance de ne pas s’engager si elle s’était réalisée, a violé le texte susvisé.

3. – Le devoir de mise en garde à compter du 01/01/2022

L’ordonnance du 15/09/2021 a codifié la mise en garde du créancier professionnel au bénéfice de la caution, par l’article 2299 du Code civil qui dispose que :

Le créancier professionnel est tenu de mettre en garde la caution personne physique lorsque que l’engagement du débiteur principal est inadapté aux capacités financières de ce dernier.

A défaut, le créancier est déchu de son droit contre la caution à hauteur du préjudice subi par celle-ci.

3.1 – Une extension de la mise en garde à toutes les cautions

Concernant les contrats de cautionnement signés à compter du 01/01/2022, la caution avertie comme la caution non avertie pourra engager la responsabilité de la banque dans l’hypothèse d’un engagement du débiteur principal inadapté à ses capacités financières.

3.2 – Une restriction de l’objet de mise en garde financières

A compter du 01/01/2022, le critère concernant un engagement de la caution inadapté à ses capacités est donc abandonné, il conviendra alors d’avoir recours à la disproportion, beaucoup plus facile à définir et règlementée par l’article 2300 du Code civil.

La mise en garde, de la caution, ne s’impose donc au créancier professionnel, que dans l’hypothèse d’un engagement du débiteur principal inadapté à ses capacités financières. Les solutions antérieures pourront donc être reprises.

Ainsi, la preuve du caractère excessif du crédit se déduit très souvent de la proximité des premiers incidents de paiement et de la date de l’octroi du crédit. Inversement, des défaillances tardives laissent penser que le créancier avait correctement apprécié les facultés de remboursement de l’emprunteur. Il incombe à la caution de démontrer que les conditions sont réunies.

3.3 – Une nouvelle sanction, la déchéance partielle

 Cela n’apporte pas une profonde modification à la situation antérieure. Simplement, il ne s’agit plus de dommages et intérêts venant en compensation de l’engagement de caution, mais d’une déchéance (ou réduction) du montant du cautionnement, évaluée à hauteur du préjudice subi par la caution.

Il est probable que ce préjudice, comme précédemment, sera analysé comme une perte de chance.

4. – La prescription de l’action de la caution pour défaut de mise en garde 

il s’agit ici d’envisager deux situations différentes :

  • la caution est le demandeur à l’action à l’encontre du créancier,
  • l’action soulevé par le caution constitue un moyen de défense de la demande en paiement du créancier.

4.1 – La caution agit en demande contre le créancier

Dans cette hypothèse, le délai de prescription est de 5 ans (article 2224 du Code civil). Il court à compter du jour où la caution a eu connaissance de l’exécution imminente de son engagement, en pratique à la date de la mise en demeure (même non réclamée) ou d’un acte d’exécution (Cour de cassation du 8/04/2021, n° 20-12.741 – Il faut noter que dans cet arrêt c’est bien la caution qui a assigné la banque).

La Cour de cassation ayant eu l’occasion de préciser qu’en l’absence de mise en demeure, le délai peut commencer à courir à compter d’un acte d’exécution comme un commandement aux fins de saisie-vente.

4.2 – La caution agit en défense face à une action en paiement

Il convient dans cette hypothèse de savoir s’il convient de faire application des articles 71 et 72 du Code de procédure civile, à savoir.

Article 71 :  » Constitue une défense au fond tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l’adversaire « .

Article 72 :  » Les défenses au fond peuvent être proposées en tout état de cause « 

Il résulte, en effet, de ces deux textes que si la responsabilité du banquier en l’absence de mise en garde de la caution non avertie, constitue une défense au fond de la part de celle-ci, la prescription n’est pas applicable.  

4.2.1 – Cautionnement antérieur au 01/01/2022

A ma connaissance aucune jurisprudence indique que le défaut de mise en garde, lorsqu’il est invoqué en défense par la caution non avertie, constitue une défense au fond au sens de l’article 71 du Code de procédure civile, à l’instar de ce qui est expressément reconnu pour la disproportion manifeste.

Au regard de l’article 71 du Code de procédure civile, une défense au fond est constituée par un moyen qui tend à faire rejeter, une partie ou la totalité des prétentions de la banque.

Dans notre cas, la caution soulève un moyen qui tend à rechercher la responsabilité de la banque et non à faire rejeter comme non justifiée sa demande en paiement au regard de l’acte de cautionnement. La condamnation éventuelle de la banque à des dommages et intérêts, ne constitue donc, à mon avis, pas un rejet des prétentions, l’acte de cautionnement trouvant sa pleine application.  

Ce moyen s’apparente donc à une action soumise à prescription.

4.2.2 – Cautionnement à compter du 01/01/2022

A compter du 01/01/2022, l’article 229 du Code civil dispose que  » à défaut le créancier est déchu de son droit contre la caution à hauteur du préjudice subi par celle-ci « .

Dans ce cas, il s’agit bien de rejeter, totalement ou partiellement une prétention de l’adversaire, cela constitue donc, à mon avis, une défense au fond, que la caution peut soulever sans qu’on puisse lui opposer la prescription. 

Ce moyen pourrait donc échapper à la prescription (article 72 du Code de procédure civile). Une confirmation jurisprudentielle serait toutefois souhaitable.

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