L''entrepreneur individuel en difficulté
- 0 – De la réforme du statut de l’entrepreneur individuel à la prise en compte de la séparation des patrimoines au regard de ses difficultés financières
- 1. – Quelques rappels utiles concernant l’entrepreneur individuel en difficulté
- 2. – Prévention des difficultés de l’entrepreneur individuel
- 3. – Compétence exclusive du tribunal des procédures collectives pour examiner la situation financière de l’entrepreneur individuel
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4. – Examen des différentes situations possibles concernant les difficultés financières rencontrées par l’entrepreneur individuel et solutions apportées par le législateur
- 4.1 – L’obligation pour le tribunal de se prononcer à la fois sur le patrimoine professionnel et sur le patrimoine personnel
- 4.2 – La définition du surendettement
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4.3 – Cas n° 1 : ouverture d’une procédure portant sur le seul patrimoine professionnel (article L. 681-2 II du Code de commerce)
- 4.3.1 – Quelques remarques concernant l’application du cas n° 1
- 4.3.2 – Principales conséquences de l’ouverture de la procédure collective à l’encontre de l’entrepreneur individuel
- 4.3.3 – Le tribunal peut-il modifier sa décision d’origine ?
- 4.3.4 – Le cas des créances nées avant le 15/05/2022
- 4.3.5 – Le cas des cotisations sociales personnelles de l’entrepreneur individuel
- 4.4 – Cas n° 2 : ouverture d’une procédure unique portant sur les patrimoines professionnel et personnel (article L. 681-2 III du Code de commerce)
- 4.5 – Cas n° 3 : ouverture de deux procédures parallèles (article L. 681-2 IV du Code de commerce)
- 4.6 – Cas n° 4 : ouverture d’une procédure unique portant sur le patrimoine personnel (article L. 681-3 du Code de commerce)
- 4.6.1 – Quelques remarques concernant l’application du cas n° 4
- 4.7 – Cas n° 5 : Aucune ouverture de procédure collective et de surendettement
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5. – Quelques remarques générales
- 5.1 – L’état de cessation des paiements
- 5.2 – Compétence pour les litiges relatifs à la séparation des patrimoines
- 5.3 – Interdiction de modification du patrimoine professionnel pendant la procédure collective
- 5.4 – Faculté pour un entrepreneur individuel en liquidation judiciaire de lancer immédiatement une nouvelle activité professionnelle
- 5.5 – Réalisation des biens issus d’une succession, d’un autre patrimoine ou insaisissables
- 5.6 – Évolutions des critères d’application de la liquidation judiciaire simplifiée
- 5.7 – Sanctions applicables à l’entrepreneur individuel
- 6. – Proposition d’une méthodologie d’examen d’un dossier d’un entrepreneur individuel par le tribunal des procédures collectives (hors procédure de rétablissement professionnel)
- 7. – La résidence principale de l’entrepreneur individuel
0 – De la réforme du statut de l’entrepreneur individuel à la prise en compte de la séparation des patrimoines au regard de ses difficultés financières
L’étude consacrée au nouveau statut de l’entrepreneur individuel a exposé les principes fondamentaux de la réforme entrée en vigueur le 15 mai 2022, notamment la création de deux patrimoines juridiquement distincts : un patrimoine professionnel, seul engagé à l’égard des créanciers de l’activité, et un patrimoine personnel, protégé de principe contre les poursuites professionnelles.
Cette distinction, conçue théoriquement pour renforcer la protection du chef d’entreprise, constitue désormais le socle du régime applicable à l’entrepreneur individuel.
La présente étude s’attache à examiner la portée effective de cette séparation des patrimoines lorsqu’apparaissent des difficultés financières, qu’elles résultent d’un simple déséquilibre de trésorerie, d’un état de cessation des paiements ou d’une situation de surendettement.
L’objectif est d’étudier comment le droit des entreprises en difficulté, le droit du surendettement et la procédure civile d’exécution interagissent avec ce nouveau cadre juridique à deux masses patrimoniales, et de déterminer comment les tribunaux en assurent la mise en œuvre.
1. – Quelques rappels utiles concernant l’entrepreneur individuel en difficulté
1.1 – Observations générales
📌 La distinction des patrimoines professionnel et personnel instaurée par la réforme n’autorise pas l’entrepreneur individuel à se porter caution pour garantir une dette dont il est lui-même le débiteur principal (article L. 526-22, alinéa 2, du Code de commerce).
📌 La séparation des patrimoines s’applique aux entrepreneurs dont l’activité a débuté avant le 15 février 2022, mais elle ne produit pas d’effet rétroactif pour les dettes nées antérieurement à cette date : celles-ci demeurent communes au patrimoine personnel et professionnel.
📌 L’article L. 526-22, alinéa 6, du Code de commerce précise que les dettes envers les organismes de recouvrement des cotisations et contributions sociales constituent des dettes professionnelles. Cette qualification ne s’applique toutefois qu’aux cotisations postérieures au 15 mai 2022.
1.2 – Observations concernant la répartition des patrimoines
🔎 Conformément à l’article R. 526-26 du Code de commerce, tous les éléments du fonds de commerce – droit au bail, matériel, outillage, véhicules, stocks, comptes bancaires professionnels, fonds de caisse – sont réputés biens professionnels.
🔎 Lorsque l’entrepreneur individuel est tenu d’une comptabilité légale ou réglementaire, le patrimoine professionnel est présumé comprendre l’ensemble des éléments inscrits aux documents comptables, à condition que ceux-ci soient réguliers et sincères.
🔎 Les biens à usage mixte (par exemple un véhicule ou un bureau au domicile) sont considérés comme professionnels s’ils sont utiles à l’exploitation, à l’exception de la partie de la résidence principale utilisée pour l’activité.
🔎 La partie d’un immeuble servant à l’activité professionnelle constitue un bien professionnel ; lorsque l’immeuble est détenu par une société de mise à disposition, ses parts ou actions sont également des biens professionnels (R. 526-26, 3°).
1.3 – Les événements mettant fin à la distinction des patrimoines
✏️ La cessation d’activité intervenue avant l’ouverture d’une procédure collective met fin à la séparation des patrimoines (article L. 526-22, 9e alinéa).
✏️ En cas de décès de l’entrepreneur individuel, les deux patrimoines sont réunis en un patrimoine successoral unique. Si le décès intervient alors que l’entrepreneur était déjà en état de cessation des paiements, la procédure collective ouverte ne porte que sur le patrimoine professionnel.
1.4 – Les dérogations à la séparation des patrimoines
- 🏛️ Le créancier professionnel peut obtenir une sûreté réelle sur un bien du patrimoine personnel (L. 526-22, al. 4).
- 🏛️ L’entrepreneur individuel peut renoncer à la séparation au bénéfice d’un créancier professionnel déterminé (L. 526-25).
- 🏛️ La séparation est inopposable aux créanciers publics en cas de manœuvres frauduleuses ou d’inobservations graves et répétées (L. 526-24, al. 1).
- 🏛️ L’impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux bénéficient d’un gage sur les deux patrimoines (L. 526-24, al. 1 et 2).
2. – Prévention des difficultés de l’entrepreneur individuel
Les dispositions relatives à la prévention des difficultés des entreprises sont applicables à l’entrepreneur individuel, mais uniquement dans la mesure où elles concernent son patrimoine professionnel (article L. 611-17 du Code de commerce).
Cette limitation découle du principe de séparation des patrimoines : les mesures de prévention n’ont vocation à s’exercer que sur la partie du patrimoine exposée aux risques de l’activité professionnelle.
Ainsi, l’entrepreneur individuel peut être convoqué par le président du tribunal de commerce ou solliciter la désignation d’un mandataire ad hoc ou d’un conciliateur, mais seulement lorsque la menace concerne son patrimoine professionnel. Une difficulté purement personnelle ne peut justifier l’ouverture de ces mesures.
L’article L. 611-7, alinéa 5, du Code de commerce autorise par ailleurs le juge de la conciliation à accorder des délais ou un échelonnement des dettes professionnelles en application de l’article 1343-5 du Code civil ; cette faculté ne saurait toutefois être étendue à des dettes personnelles.
Enfin, il convient de rappeler que le V de l’article L. 681-2, qui attribue compétence au tribunal des procédures collectives pour connaître des contestations relatives à la séparation des patrimoines, ne s’applique pas en matière de conciliation : la prévention demeure une phase autonome, antérieure à toute procédure collective.
3. – Compétence exclusive du tribunal des procédures collectives pour examiner la situation financière de l’entrepreneur individuel
Aux termes de l’article L. 681-1 du Code de commerce, quel que soit le patrimoine concerné – professionnel ou personnel – par la défaillance de l’entrepreneur individuel, seul le tribunal de la procédure collective (tribunal de commerce ou tribunal judiciaire selon la nature de l’activité) est compétent pour apprécier la situation financière du débiteur, qu’il s’agisse d’une procédure collective ou d’une procédure de surendettement.
Il en résulte que l’entrepreneur individuel en difficulté ne peut s’adresser qu’à ce tribunal pour faire examiner l’ensemble de sa situation, patrimoniale et financière. Toutefois, dans certaines conditions et avec l’accord du débiteur, le tribunal pourra transmettre le dossier à la commission de surendettement, laquelle traitera les dettes relevant du patrimoine personnel.
La commission de surendettement n’est donc pas compétente pour déterminer si l’entrepreneur individuel se trouve ou non en situation de surendettement ; cette appréciation relève exclusivement du tribunal de la procédure collective.
3.1 – Les renseignements à fournir lors de la demande d’ouverture d’une procédure
L’article R. 681-1 du Code de commerce précise les documents que doit produire l’entrepreneur individuel lorsqu’il sollicite l’ouverture d’une procédure – qu’il s’agisse d’une procédure collective, d’un surendettement ou des deux à la fois. Sa déclaration doit faire apparaître distinctement les biens, droits et obligations relevant de chacun de ses patrimoines, professionnel et personnel. 🧾
Il doit en outre mentionner les éventuelles renonciations à la protection de son patrimoine personnel, en indiquant le nom du créancier bénéficiaire et le montant de l’engagement concerné.
L’entrepreneur individuel peut, dans la même demande, solliciter le bénéfice du surendettement. Cette procédure ne peut toutefois être ouverte qu’avec son accord, accord qui peut être recueilli à l’audience où il est statué sur l’ouverture de la procédure collective (article R. 681-2).
3.2 – Le jugement : appréciation des difficultés patrimoine par patrimoine
Conformément à l’article R. 681-3, le tribunal doit apprécier, dans un même jugement, si les conditions d’ouverture d’une procédure collective et d’une procédure de surendettement sont alternativement ou cumulativement réunies.
Il lui appartient donc de motiver précisément sa décision, en exposant les éléments propres à chacun des patrimoines. Les développements ultérieurs permettront d’examiner les différentes hypothèses (procédure limitée au patrimoine professionnel, procédure bipatrimoniale, procédures parallèles, etc.).
La présente disposition ne s’applique pas au rétablissement professionnel, lequel obéit à un régime spécifique étudié plus loin.
3.3 – Le cas de la demande d’ouverture par assignation d’un créancier
Les textes envisagent principalement l’hypothèse d’une demande d’ouverture à l’initiative du débiteur, mais non celle d’une assignation formée par un créancier.
Lorsque l’entrepreneur individuel est assigné, le tribunal ne pourra se prononcer sur le surendettement que si le débiteur est en mesure de produire, rapidement et complètement, les pièces nécessaires à la distinction des patrimoines. À défaut, et la charge de la preuve incombant au créancier demandeur, le tribunal ne pourra constater que l’état de cessation des paiements et n’ouvrira qu’une procédure collective limitée au patrimoine professionnel (cas n° 1), tout en mentionnant expressément cette restriction dans le jugement.
3.4 – Déclarations inexactes et confusion ultérieure des patrimoines
Si, après l’ouverture d’une procédure collective et la transmission du dossier à la commission de surendettement (avec l’accord du débiteur), il apparaît qu’un créancier professionnel dispose d’un droit de gage sur le patrimoine personnel, se pose la question du régime procédural applicable.
Le tribunal peut-il, dans cette hypothèse, faire application du troisième alinéa de l’article L. 621-2 du Code de commerce et prononcer la confusion des patrimoines professionnel et personnel ? Cette possibilité semble devoir être admise, conformément à l’analyse retenue par la cour d’appel de Reims, 19 septembre 2023 (n° 23/00471).
La lecture de l’article R. 621-8-1, alinéa 1, conduit à considérer que, dans une telle situation, les deux patrimoines sont réunis dans une même procédure, afin de garantir l’unité du traitement de la défaillance et la protection des créanciers.
4. – Examen des différentes situations possibles concernant les difficultés financières rencontrées par l’entrepreneur individuel et solutions apportées par le législateur
Le nouveau titre VIII bis du livre VI du Code de commerce (« Dispositions particulières à l’entrepreneur individuel relevant du statut défini à la section III du chapitre VI du titre II du livre V ») a prévu une articulation des procédures du droit des entreprises en difficulté et du droit du surendettement, dont le décret est venu préciser les modalités.
Au regard des nouveaux articles L. 681-2 et L. 681-3 du Code de commerce, quatre situations peuvent se présenter au tribunal.
4.1 – L’obligation pour le tribunal de se prononcer à la fois sur le patrimoine professionnel et sur le patrimoine personnel
À la lecture des articles L. 681-1 et R. 681-3, il convient de constater que le législateur n’a pas voulu faire de distinction entre une déclaration de cessation des paiements et une déclaration de surendettement, en obligeant le débiteur à fournir des renseignements relatifs aux deux patrimoines dans sa déclaration au greffe.
De plus, l’article L. 681-1 précise, sans contestation possible, que le tribunal a l’obligation d’apprécier à la fois les conditions d’ouverture d’une procédure collective et d’une procédure de surendettement.
Cette double obligation n’est pas en contradiction avec l’objectif du législateur de protéger l’entrepreneur individuel sur son patrimoine personnel, des conséquences des difficultés issues de l’activité professionnelle, car :
▶️ en premier lieu, l’ouverture d’une procédure englobant le patrimoine professionnel et personnel n’est possible que si le tribunal constate à la fois :
- un état de cessation des paiements pour le patrimoine professionnel ;
- un état de surendettement pour le patrimoine personnel ;
- et que le débiteur n’a pas respecté la séparation des patrimoines ou a permis à un créancier professionnel de se faire payer sur le patrimoine personnel.
▶️ en second lieu, lorsque le tribunal constate que l’entrepreneur individuel remplit les conditions du surendettement, le dossier n’est transmis à la commission de surendettement qu’avec l’accord du débiteur — sauf dans les hypothèses où celui-ci a ignoré la séparation des patrimoines volontairement ou par négligence.
💡 De mon point de vue, le tribunal doit, en cas de déclaration de cessation des paiements ou d’assignation, se prononcer sur chaque patrimoine, même si la demande initiale ne vise qu’un seul d’entre eux. Il paraît difficile d’envisager que le tribunal n’examine que le patrimoine professionnel alors que l’entrepreneur individuel est en état de surendettement et n’a pas respecté la séparation des patrimoines.
4.2 – La définition du surendettement
Le tribunal étant amené à juger si l’entrepreneur individuel peut bénéficier des mesures de traitement du surendettement, il paraît utile de reproduire ici l’article L. 711-1 du Code de la consommation, qui en fixe les conditions :
« Le bénéfice des mesures de traitement des situations de surendettement est ouvert aux personnes physiques de bonne foi.
La situation de surendettement est caractérisée par l’impossibilité manifeste de faire face à l’ensemble de ses dettes, professionnelles et non professionnelles, exigibles et à échoir. Le seul fait d’être propriétaire de sa résidence principale dont la valeur estimée à la date du dépôt du dossier de surendettement est égale ou supérieure au montant de l’ensemble des dettes professionnelles et non professionnelles exigibles et à échoir ne fait pas obstacle à la caractérisation de la situation de surendettement.
L’impossibilité de faire face à un engagement de cautionner ou d’acquitter solidairement la dette d’un entrepreneur individuel ou d’une société caractérise également une situation de surendettement. »
4.2.1 – Remarques concernant l’article L. 711-1 du Code de la consommation
🔎 La nouvelle rédaction de l’article L. 711-1 permet à un gérant majoritaire de SARL de bénéficier de la procédure de surendettement, puisqu’elle englobe désormais les dettes professionnelles d’une personne physique non commerçante.
🔎 La situation de surendettement n’est pas caractérisée par la cessation des paiements, mais par l’impossibilité manifeste de faire face à l’ensemble des dettes personnelles exigibles et à échoir.
🔎 La valeur de la résidence principale ne fait pas obstacle à la caractérisation de la situation de surendettement.
🔎 Le cautionnement doit être pris en compte lorsque la caution a l’obligation d’exécuter son engagement.
4.3 – Cas n° 1 : ouverture d’une procédure portant sur le seul patrimoine professionnel (article L. 681-2 II du Code de commerce)
Cas n° 1 (article L. 681-2 II)
D’une part, concernant le patrimoine professionnel, les conditions d’ouverture d’une procédure collective sont remplies
(caractérisation de l’état de cessation des paiements).
D’autre part, concernant le patrimoine personnel, l’entrepreneur individuel n’est pas en situation de surendettement.
À défaut de disposer des données nécessaires, le tribunal ne pourra pas constater une situation de surendettement.
Ouverture d’une procédure collective limitée au seul patrimoine professionnel
(avec application des règles concernant la procédure collective)
Procédure unipatrimoniale
4.3.1 – Quelques remarques concernant l’application du cas n° 1
📌 Dans le cas n° 1, l’article L. 681-2, II ne subordonne pas l’ouverture de la procédure à la preuve du respect, par l’entrepreneur individuel, de la séparation des patrimoines.
📌 Un créancier professionnel qui dispose d’un droit de gage sur le patrimoine personnel (ex. renonciation, sûreté réelle, créancier public dans les cas prévus par la loi) peut déclarer sa créance à la procédure (patrimoine professionnel) et agir en justice sur le patrimoine personnel du débiteur.
📌 À l’inverse, un créancier personnel ne peut pas déclarer sa créance au passif de la procédure limitée au patrimoine professionnel ; il peut en revanche assigner le débiteur pour obtenir un titre exécutoire et le faire exécuter sur le patrimoine personnel.
📌 Pour la cessation des paiements, l’article L. 631-1 précise que l’appréciation se fait sur le seul patrimoine engagé par l’activité professionnelle : actif disponible professionnel vs. passif exigible professionnel.
Précision utile : l’interdiction des poursuites individuelles issue de la procédure collective ne vise que le patrimoine professionnel saisi par la procédure. Les actions visant exclusivement le patrimoine personnel (dans le cadre des droits de gage admis par la loi) ne sont pas affectées.
4.3.2 – Principales conséquences de l’ouverture de la procédure collective à l’encontre de l’entrepreneur individuel
👉 Interdiction pour le débiteur de modifier son patrimoine professionnel si cela en diminue l’actif ; liberté conservée sur le patrimoine personnel.
👉 L’administrateur et/ou le liquidateur judiciaire n’ont aucun pouvoir sur le patrimoine personnel.
👉 La revendication ne peut s’exercer que sur un bien professionnel.
👉 Les règles de continuation des contrats en cours ne s’appliquent qu’aux contrats intéressant l’activité professionnelle du débiteur.
👉 Le débiteur peut payer ses créanciers personnels, à condition d’utiliser des ressources non professionnelles.
👉L’inventaire ne porte que sur les actifs professionnels.
4.3.3 – Le tribunal peut-il modifier sa décision d’origine ?
🔎 Si un surendettement personnel se manifeste après l’ouverture d’une procédure limitée au patrimoine professionnel, le jugement d’ouverture n’ayant pas autorité de chose jugée sur le patrimoine personnel, rien ne s’oppose à une nouvelle saisine du tribunal pour traiter ce surendettement (selon les modalités des cas n° 2 ou n° 3).
🔎 En cas d’omission de statuer sur le surendettement lors de la décision initiale, une requête en omission de statuer peut être déposée (par le débiteur, le créancier poursuivant ou le ministère public), ou le tribunal peut être invité à procéder à une saisie d’office aux mêmes fins.
4.3.4 – Le cas des créances nées avant le 15/05/2022
📌 Pour les créances nées avant le 15/05/2022, la séparation des patrimoines issue de la réforme n’est pas opposable : le créancier antérieur peut se faire payer sur le patrimoine personnel du débiteur, et, s’il veut être payé sur le patrimoine professionnel, il doit déclarer sa créance à la procédure.
4.3.5 – Le cas des cotisations sociales personnelles de l’entrepreneur individuel
📌 Avant le 15/05/2022, en l’absence de séparation opposable, les organismes sociaux peuvent poursuivre le paiement des cotisations sur les deux patrimoines (les dettes “sociales personnelles” sont alors, en pratique, recouvrables sur l’ensemble des biens).
📌 À compter du 15/05/2022, l’article L. 526-22 qualifie ces dettes de professionnelles : elles relèvent en principe du patrimoine professionnel dans la procédure, sans préjudice des dérogations légales (not. inopposabilité de la séparation en cas de manœuvres frauduleuses ou d’inobservations graves et répétées, L. 526-24).
💡 Méthode d’appréciation par le juge : la cessation des paiements comme le surendettement supposent une démonstration chiffrée : actif disponible vs. passif exigible (pour le patrimoine professionnel) et impossibilité manifeste de faire face à l’ensemble des dettes (professionnelles et non professionnelles) exigibles et à échoir (pour le surendettement). L’office du juge est avant tout probatoire et mathématique, au vu des pièces produites.
4.4 – Cas n° 2 : ouverture d’une procédure unique portant sur les patrimoines professionnel et personnel (article L. 681-2 III du Code de commerce)
Cas n° 2 (article L. 681-2 III)
L’entrepreneur individuel cumule les difficultés au sein de ses deux patrimoines :
les conditions d’ouverture d’une procédure collective et d’une procédure de surendettement
sont simultanément réunies à la date du jugement d’ouverture.
Par principe, l’entrepreneur en difficulté fait l’objet d’une seule et même procédure collective,
visant à la fois le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel.
Ouverture d’une procédure collective unique concernant les deux patrimoines
Procédure bipatrimoniale
4.4.1 – Principaux cas de non-respect de la séparation des patrimoines
⚠️ Certains comportements de gestion peuvent conduire à une confusion entre patrimoine professionnel et patrimoine personnel, rendant la séparation inopposable :
- absence de compte bancaire professionnel distinct du compte personnel ;
- paiement de dettes personnelles avec le compte professionnel ;
- comptabilité irrégulière ou incomplète ;
- prélèvements personnels très supérieurs aux bénéfices effectivement réalisés.
4.4.2 – Cas dans lesquels un créancier professionnel peut se faire payer sur le patrimoine personnel
💡 La protection du patrimoine personnel connaît plusieurs exceptions : un créancier professionnel peut exercer son droit de gage sur le patrimoine personnel dans les cas suivants :
- créance antérieure au 15 mai 2022 (séparation inopposable pour ces dettes) ;
- créance assortie d’une renonciation expresse de l’entrepreneur individuel ou d’une sûreté réelle sur un bien personnel ;
- créance fiscale ou sociale bénéficiant d’un gage étendu (article L. 526-24 du Code de commerce).
4.4.3 – Observations concernant le cas n° 2
📘 Le cas n° 2 correspond à la situation la plus fréquemment rencontrée en pratique : le tribunal constate à la fois un état de cessation des paiements et une situation de surendettement.
Les règles de la procédure collective s’appliquent alors aux deux patrimoines (interdiction des paiements, revendication, continuation des contrats en cours, etc.).
Toutefois, le liquidateur judiciaire ne peut distribuer les fonds provenant des réalisations d’actifs qu’en respectant le droit de gage propre à chaque créancier : il ne peut donc pas mélanger les produits des ventes issues des patrimoines professionnel et personnel.
L’inventaire doit expressément distinguer les biens professionnels et personnels, et il conviendra d’établir deux états de créances distincts, tout en mentionnant les créanciers disposant d’un droit de gage sur les deux masses patrimoniales.
4.4.4 – Déroulement et finalité de la procédure « bipatrimoniale »
Le déroulement et la finalité de la procédure « bipatrimoniale » dépendent de l’interprétation donnée à l’alinéa 3 du III de l’article L. 681-2 du Code de commerce :
« Le tribunal traite, dans un même jugement, des dettes dont l’entrepreneur individuel est redevable sur ses patrimoines professionnel et personnel, en fonction du droit de gage de chaque créancier, sauf dispositions contraires. »
Le terme « traitement » doit être compris comme l’apurement des dettes : soit par l’exécution d’un plan de redressement, soit dans le cadre d’une liquidation judiciaire (clôturée pour insuffisance d’actif ou extinction du passif).
🧭 Plusieurs questions pratiques demeurent :
- le tribunal peut-il prononcer la liquidation judiciaire pour un patrimoine et le redressement judiciaire pour l’autre ?
- peut-il arrêter deux plans distincts avec des modalités différentes d’apurement ?
- peut-il clôturer la liquidation d’un patrimoine pour insuffisance d’actif et l’autre pour extinction du passif ?
Dans la logique du principe de séparation, il paraît cohérent d’adapter la solution de redressement ou d’apurement à la situation propre de chaque patrimoine, tout en maintenant une unité procédurale garantissant la coordination entre les deux masses.
Les conditions d’ouverture d’une procédure collective et d’une procédure de surendettement
sont respectivement réunies, mais il est décidé d’ouvrir
deux procédures parallèles :
la première concernant le patrimoine professionnel, la seconde concernant le patrimoine personnel.
4.5 – Cas n° 3 : ouverture de deux procédures parallèles (article L. 681-2 IV du Code de commerce)
Cas n° 3 (article L. 681-2 IV)
Les conditions d’ouverture d’une procédure collective et d’une procédure de surendettement
sont respectivement réunies, mais il est décidé d’ouvrir
deux procédures parallèles :
la première concernant le patrimoine professionnel, la seconde concernant le patrimoine personnel.
Ouverture de deux procédures parallèles : collective et surendettement
Procédure duale coordonnée
4.5.1 – Observations relatives à l’application du cas n° 3
Lorsque le tribunal, avec l’accord de l’entrepreneur individuel, saisit la commission de surendettement, il
traite le patrimoine professionnel selon le livre VI du Code de commerce, tandis que la commission traite le
patrimoine personnel conformément au Code de la consommation.
L’entrepreneur individuel peut demander, dès l’ouverture de la procédure collective, le bénéfice du
traitement de son surendettement (R. 681-1 II C. com.). Le tribunal peut aussi recueillir son accord à l’audience
(R. 681-2 C. com.).
À défaut d’accord du débiteur pour la transmission à la commission, le tribunal traite uniquement le patrimoine
professionnel dans les conditions du cas n° 1.
4.5.2 – Gestion du dossier entre le tribunal et la commission de surendettement
Deux procédures parallèles sont conduites et coordonnées : le tribunal et la commission
s’informent réciproquement de leur avancement (R. 681-7 C. com.).
L’L. 681-2 IV dispose que « le tribunal exerce les fonctions du juge du contentieux de la protection, qu’il peut
déléguer, en tout ou partie, au juge-commissaire ». Le tribunal de commerce reste donc compétent pour les
contestations relatives au surendettement, sous réserve d’une délégation.
4.5.3 – Interrogations
4.5.3.1 – Créanciers personnels avec droit de gage sur le patrimoine professionnel
Le texte n’envisage pas explicitement un créancier personnel disposant d’un gage sur le patrimoine
professionnel. La répartition de compétence entre tribunal et commission reste à organiser au cas par cas, par
une information croisée et, le cas échéant, une décision du tribunal pour éviter les conflits de procédures.
4.5.3.2 – Demande ultérieure de surendettement alors qu’une procédure collective est ouverte
L’entrepreneur individuel doit saisir le tribunal de la procédure collective, y compris s’il est déjà en
plan : c’est au juge consulaire d’apprécier l’opportunité d’une transmission à la commission et la
coordination des deux procédures.
4.6 – Cas n° 4 : ouverture d’une procédure unique portant sur le patrimoine personnel (article L. 681-3 du Code de commerce)
Cas n° 4 (article L. 681-3) |
Seules les conditions du surendettement sont réunies : le patrimoine personnel est en difficulté, sans état de cessation des paiements caractérisé pour le patrimoine professionnel. Le tribunal, avec l’accord du débiteur, renvoie l’affaire à la commission de surendettement pour le traitement du patrimoine personnel. |
Ouverture d’une procédure de surendettement (patrimoine personnel) Procédure personnelle unique |
4.6.1 – Quelques remarques concernant l’application du cas n° 4
Si, au cours de la procédure de surendettement, la commission constate que les conditions d’ouverture d’une procédure collective sont réunies, elle invite le débiteur à saisir le tribunal afin qu’il l’ouvre (livre VI du Code de commerce).
Si le débiteur saisit le tribunal et qu’une procédure collective est ouverte, l’article L. 681-3 prévoit deux issues :
- Hypothèse 1 – Le tribunal constate que l’entrepreneur n’a pas respecté la séparation des patrimoines ou qu’un créancier professionnel peut se faire payer sur le patrimoine personnel : la procédure collective englobe les deux patrimoines (→ cas n° 2, procédure bipatrimoniale) et la commission de surendettement est dessaisie.
- Hypothèse 2 – À défaut, le tribunal ouvre une procédure collective limitée au seul patrimoine professionnel, tandis que la commission conserve le traitement du patrimoine personnel (→ cas n° 3, deux procédures parallèles).
Rappel : l’ouverture du surendettement suppose l’accord du débiteur. À défaut, seul le patrimoine professionnel est traité par la procédure collective, si ses conditions sont réunies.
4.7 – Cas n° 5 : Aucune ouverture de procédure collective et de surendettement
Cas n° 5 (articles L. 620-1, L. 631-1, L. 640-1 du Code de commerce et L. 711-1 du Code de la consommation) |
Ni les conditions d’ouverture d’une procédure collective ni celles du surendettement des particuliers ne sont réunies. |
Aucune procédure ouverte Pas de saisine de la commission |
5. – Quelques remarques générales
5.1 – L’état de cessation des paiements
Pour un entrepreneur individuel, l’état de cessation des paiements doit être apprécié uniquement en fonction de son patrimoine professionnel (cf. 2e alinéa de l’article L. 631-1 du Code de commerce).
Bien que cette évolution dans la manière d’établir l’état de cessation des paiements semble cohérente, elle n’est pas sans soulever certaines difficultés. Ainsi, doit-on intégrer au passif professionnel :
- ➤ le droit de gage des créanciers personnels, lequel peut s’exercer sur le bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos si le patrimoine personnel s’avère insuffisant pour honorer les dettes personnelles, ce montant étant, par ailleurs, complexe à déterminer ;
- ➤ le droit de gage de l’administration fiscale qui, comme déjà mentionné, peut s’appliquer aussi bien au patrimoine professionnel qu’au patrimoine personnel, même lorsque les dettes concernées relèvent de la sphère personnelle (par exemple, l’impôt sur le revenu).
Inversement, doit-on exclure du passif professionnel les dettes pour lesquelles un créancier dispose d’une sûreté sur le patrimoine personnel, si ce dernier est en mesure de couvrir lesdites dettes ?
5.2 – Compétence pour les litiges relatifs à la séparation des patrimoines
Selon le V de l’article L. 681-2 du Code de commerce, le tribunal de commerce ou le tribunal judiciaire est compétent pour statuer sur les différends concernant la séparation des patrimoines de l’entrepreneur individuel, survenant dans le cadre d’une procédure ouverte. À cet égard, la commission de surendettement n’intervient pas.
Un créancier, même non partie au jugement, peut remettre en cause la séparation des patrimoines de l’entrepreneur individuel dans un délai de 10 jours à compter de la notification qui lui a été adressée ou de la publication du jugement au BODACC (conformément à l’article R. 681-6 du Code de commerce), en effectuant une déclaration auprès du greffe.
L’entrepreneur individuel, les créanciers identifiés, le mandataire judiciaire, le ministère public et, le cas échéant, l’administrateur judiciaire sont alors « convoqués par tous moyens et sans délai par le greffe ». Le tribunal recueille leurs observations et se prononce sur l’ensemble des contestations soulevées (article R. 681-6, alinéa 2 du Code de commerce).
Par ailleurs, le greffe notifie le jugement au débiteur ainsi qu’aux créanciers signalés par ce dernier, en informant, si nécessaire, le mandataire judiciaire, le ministère public et l’administrateur judiciaire désigné (article R. 681-4, alinéa 2 du Code de commerce).
En outre, concernant la situation évoquée au cas n° 3, le IV de l’article L. 681-2 du Code de commerce précise que « le tribunal exerce les fonctions du juge des contentieux de la protection, qu’il peut déléguer en tout ou partie au juge-commissaire ».
5.3 – Interdiction de modification du patrimoine professionnel pendant la procédure collective
« Le jugement d’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire entraîne, de plein droit et jusqu’à la clôture de la procédure, ou, le cas échéant, jusqu’à la fin des opérations du plan, l’interdiction pour tout entrepreneur individuel, sous réserve du versement de ses revenus, de modifier son patrimoine professionnel si cela aboutit à une diminution de l’actif de ce patrimoine.
Tout acte réalisé en violation de cette interdiction peut être annulé, à la demande de toute personne intéressée ou du ministère public, dans un délai de trois ans à compter de sa date. »
🔎 Commentaire : Cette disposition vise à préserver l’intégrité du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel pendant toute la durée de la procédure collective, afin d’éviter que des actifs ne soient transférés ou dissipés au détriment des créanciers. Ainsi, toute modification entraînant une réduction de l’actif professionnel est strictement prohibée, sauf pour le versement des revenus du débiteur. Cela signifie qu’une cession partielle d’actif, si elle diminue l’actif du patrimoine professionnel, est en principe interdite durant la procédure. Toute opération contraire à cette règle pourra être annulée, ce qui garantit la protection des intérêts des créanciers et assure la bonne conduite de la procédure collective.
5.4 – Faculté pour un entrepreneur individuel en liquidation judiciaire de lancer immédiatement une nouvelle activité professionnelle
Le VII de l’article L. 681-2 du Code de commerce prévoit que, lorsqu’une procédure de liquidation judiciaire est ouverte, l’entrepreneur individuel a la possibilité d’initier une nouvelle activité professionnelle. Cela entraîne la création d’un nouveau patrimoine professionnel, lequel demeure distinct et n’est pas affecté par la procédure en cours.
Il est toutefois précisé que le débiteur ne peut détenir plus de deux patrimoines professionnels distincts de son patrimoine personnel. Par ailleurs, cette possibilité de redémarrer une activité n’est pas offerte à l’entrepreneur individuel ayant fait l’objet, dans les cinq années précédentes, d’une liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d’actif ou d’une clôture de procédure de rétablissement professionnel concernant l’un de ses patrimoines.
En cas de création d’un nouveau patrimoine professionnel dans ces conditions, le jugement de liquidation judiciaire interdit toute opération qui aurait pour effet de transférer ou de diminuer l’actif du patrimoine visé par la procédure au profit d’une autre activité exercée par le débiteur.
👉 Il s’agit d’une exception à la règle générale selon laquelle un entrepreneur individuel ne peut disposer que d’un seul patrimoine professionnel. Concrètement, l’ouverture d’une liquidation judiciaire permet à l’entrepreneur de créer immédiatement un nouveau patrimoine professionnel pour exercer une nouvelle activité professionnelle individuelle. Toutefois, ce nouveau patrimoine ne peut pas être constitué à partir d’éléments issus du patrimoine professionnel engagé dans la procédure de liquidation judiciaire.
5.5 – Réalisation des biens issus d’une succession, d’un autre patrimoine ou insaisissables
L’article L. 642-22 du Code de commerce, dans sa version révisée, énonce désormais que :
- Le liquidateur ne peut procéder à la vente des biens ou droits reçus d’une succession ouverte après le début ou le prononcé de la liquidation judiciaire, ni engager le partage de l’indivision qui en découlerait, sauf accord du débiteur. Ce principe protège le patrimoine successoral nouvellement acquis pendant la procédure collective, évitant que le liquidateur ne puisse en disposer librement sans l’accord du débiteur.
- II. Sur demande du débiteur et après autorisation du juge-commissaire ou du tribunal, le liquidateur peut réaliser (céder) des biens ou droits appartenant à un autre patrimoine de l’entrepreneur ou qui sont insaisissables par les créanciers professionnels, à condition que cette opération facilite la réalisation des actifs du patrimoine concerné par la liquidation judiciaire. Ce mécanisme introduit une certaine souplesse, permettant la cession de biens extérieurs au patrimoine saisi, mais uniquement si cela sert l’intérêt de la procédure, sous contrôle judiciaire.
- III. La contrepartie obtenue lors de la vente de ces biens ou droits vient remplacer leur valeur dans le patrimoine d’origine. Autrement dit, la somme reçue en échange de la cession est réintégrée dans le patrimoine dont provenaient les biens, garantissant ainsi la traçabilité et la protection des intérêts des parties.
🔎 Commentaire : Cette nouvelle rédaction vise à mieux encadrer la gestion des actifs de l’entrepreneur individuel lors d’une liquidation judiciaire. Elle distingue clairement les biens acquis par succession postérieure à la procédure, les biens insaisissables et ceux relevant d’un autre patrimoine, tout en subordonnant leur réalisation à l’accord du débiteur ou à une autorisation judiciaire. Ce dispositif préserve les droits personnels du débiteur tout en offrant au liquidateur des moyens limités et contrôlés d’optimiser la liquidation des actifs.
5.6 – Évolutions des critères d’application de la liquidation judiciaire simplifiée
Depuis le 01/10/2021, la seule condition empêchant le tribunal d’ouvrir une procédure de liquidation judiciaire simplifiée à l’encontre d’un entrepreneur individuel était la détention d’un bien immobilier. Désormais, selon l’article L. 641-2 du Code de commerce, cette restriction ne s’applique plus à la résidence principale.
En conséquence, seuls les débiteurs personnes physiques dont le patrimoine comporte un ou plusieurs biens immobiliers, à l’exception de leur résidence principale, ne pourront pas bénéficier de la liquidation judiciaire simplifiée.
5.7 – Sanctions applicables à l’entrepreneur individuel
Le nouvel alinéa de l’article L. 651-2 dispose désormais que, lorsque la liquidation judiciaire concerne un entrepreneur individuel soumis au régime défini à la section III du chapitre VI du titre II du livre V du Code de commerce, le tribunal peut également, dans les mêmes conditions, condamner cet entrepreneur à supporter tout ou partie de l’insuffisance d’actif. La somme due est alors prélevée sur son patrimoine personnel. Cette action doit être engagée dans un délai de trois ans suivant le jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire.
Par ailleurs, la loi du 14/02/2022 adapte également les dispositions relatives aux sanctions professionnelles à l’encontre de l’entrepreneur individuel. Ainsi, l’article L. 653-3, 3°, prévoit que la faillite personnelle peut être prononcée à l’encontre de l’entrepreneur qui a utilisé les biens ou le crédit de l’entreprise ou du patrimoine visé par la procédure de manière contraire à l’intérêt de l’entreprise ou de ce patrimoine, à des fins personnelles, ou pour favoriser une personne morale ou une entreprise dans laquelle il a un intérêt, direct ou indirect, ou encore un autre patrimoine distinct lui appartenant.
⚖️ Ces remarques visent à guider l’appréciation du juge sur des points sensibles (état de cessation des paiements, compétences, protection des actifs, reprises d’activité, périmètre de réalisation, critères de LJS et régime des sanctions) dans le cadre spécifique de l’entrepreneur individuel.
6. – Proposition d’une méthodologie d’examen d’un dossier d’un entrepreneur individuel par le tribunal des procédures collectives (hors procédure de rétablissement professionnel)
Première phase – L’entrepreneur individuel est-il en cessation d’activité ?
- ➤ Si oui : application d’une procédure collective sans distinction de patrimoine.
- ➤ Si non : passer à la phase suivante.
Deuxième phase – Examen de la situation du débiteur au regard de chaque patrimoine
Premier cas : l’entrepreneur individuel est en cessation des paiements et en surendettement
Deux hypothèses selon le respect de la séparation des patrimoines :
- ➤ Hypothèse A – L’entrepreneur individuel a strictement respecté la répartition entre les deux patrimoines et aucun créancier professionnel ne peut se faire payer sur le patrimoine personnel :
- 👉 Avec l’accord de l’entrepreneur individuel : ouverture d’une procédure collective (par le tribunal de commerce) et d’une procédure de surendettement (par la commission).
- 👉 À défaut d’accord : ouverture d’une seule procédure collective (par le tribunal de commerce).
- ➤ Hypothèse B – L’entrepreneur individuel ne remplit pas les conditions détaillées ci-dessus : ouverture d’une procédure collective comprenant les deux patrimoines (tout en respectant la séparation des patrimoines).
Deuxième cas : l’entrepreneur individuel est uniquement en état de cessation des paiements
- ➤ Ouverture d’une procédure collective ne concernant que le patrimoine professionnel.
Troisième cas : l’entrepreneur individuel est uniquement en état de surendettement
- ➤ Transmission du dossier à la commission de surendettement, avec l’accord de l’entrepreneur individuel.
7. – La résidence principale de l’entrepreneur individuel
7.1 – 🏠 Principe et fondement
Depuis la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, la résidence principale de l’entrepreneur individuel est, de plein droit, insaisissable par les créanciers dont la créance est née à l’occasion de l’activité professionnelle (art. L. 526-1 C. com.). La réforme du 14 février 2022 n’a pas créé cette protection : elle l’a seulement intégrée dans la logique du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel.
Cette insaisissabilité ne fait pas obstacle aux droits d’un créancier titulaire d’une hypothèque sur le bien, qui conserve son droit de préférence et peut être payé sur le prix de vente (art. 2452 C. civ.).
Les seules exceptions au principe d’insaisissabilité sont :
- la renonciation expresse de l’entrepreneur au profit d’un créancier professionnel déterminé (art. L. 526-25 C. com.) ;
- l’inopposabilité de la séparation des patrimoines en cas de manœuvres frauduleuses ou d’inobservations graves et répétées (art. L. 526-24 C. com.).
7.2 – ⚖️ Effets en cas de procédure « bipatrimoniale »
Lorsque le tribunal ouvre une procédure unique visant les patrimoines professionnel et personnel (art. L. 681-2, III C. com.), la procédure est conduite selon le Code de commerce. Le liquidateur reste un organe de la procédure collective et agit sous le contrôle du tribunal.
La résidence principale, relevant du patrimoine personnel, n’entre pas dans l’actif réalisable. Le liquidateur ne peut ni l’administrer ni la vendre, sauf si le tribunal a constaté une fraude ou une renonciation du débiteur. La valeur du logement peut toutefois être prise en compte dans le cadre d’un plan d’apurement avec l’accord du débiteur (vente amiable, revenus locatifs, économie de loyer), sans réalisation forcée.
7.3 – 💡 Effets en cas de surendettement
Le surendettement (art. L. 711-1 et s. C. conso.) concerne le patrimoine personnel. La commission recherche prioritairement le maintien dans les lieux du débiteur (art. L. 733-7 C. conso.), mais peut recommander ou imposer la vente de la résidence principale si celle-ci est nécessaire à l’apurement du passif personnel. Cette possibilité subsiste même si le logement est protégé par l’art. L. 526-1, car cette disposition ne vise que les créanciers professionnels.
Lorsque le bien est grevé d’une hypothèque, le créancier hypothécaire est désintéressé en priorité sur le prix de vente, conformément à l’art. 2452 du Code civil. Seul le solde éventuel est réparti entre les autres créanciers personnels. Si la valeur du bien est inférieure au montant de la dette, la vente peut être jugée inutile et la commission maintenir le débiteur dans les lieux.
L’ouverture du surendettement suspend les poursuites individuelles (art. L. 722-2 C. conso.), y compris les procédures de saisie immobilière. Le créancier hypothécaire conserve toutefois son droit de préférence et peut reprendre la procédure dès que la suspension prend fin (rejet du dossier ou inexécution du plan).
7.4 – 📊 Tableau de synthèse
Situation | Créanciers professionnels | Créanciers personnels | Effet sur la résidence principale |
---|---|---|---|
Procédure collective (patrimoine professionnel) | Insaisissable (art. L. 526-1 C. com.) | Hors champ de la procédure | Bien exclu de l’actif réalisable |
Procédure « bipatrimoniale » | Protégée sauf fraude ou renonciation | Plan d’apurement possible (vente amiable avec accord) | Pas de réalisation forcée |
Surendettement (patrimoine personnel) | Sans effet (procédure distincte) | Vente possible si nécessaire à l’apurement Priorité du créancier hypothécaire | Maintien ou cession selon plan |
Hors procédure | Insaisissable (art. L. 526-1 C. com.) | Saisissable selon dettes personnelles | Protection de droit commun |
En résumé : la protection de la résidence principale demeure un principe constant.
Elle ne peut être écartée qu’en cas de fraude, de renonciation expresse ou de nécessité absolue
d’apurement du passif personnel, sous le contrôle du tribunal ou de la commission de surendettement.