Le plus souvent, un débiteur n’est pas soumis brutalement à une procédure de redressement ou de liquidation judiciaires. L’ouverture de celles-ci est précédée d’une période plus ou moins longue au cours de laquelle il peut être tenté, pour faire face aux difficultés financières qui l’assaillent, d’accomplir certains actes destinés soit à organiser son insolvabilité, soit à favoriser tel ou tel créancier antérieur, pour pouvoir poursuivre son activité.
Le droit des procédures collectives met donc en place une possibilité de remise en cause de ces actes accomplis en violation du principe d’égalité des créanciers.
La mise en œuvre de ces nullités est étroitement liée à la notion de cessation des paiements, ce qui explique qu’elles ne soient applicables qu’en redressement et en liquidation judiciaires et non en sauvegarde.
La période suspecte est la période qui se situe entre la date de cessation des paiements (première heure du jour ou est fixée la date de la cessation des paiements) et la date d’ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.
La date de cessation des paiements est fixée, provisoirement, dans le jugement d’ouverture. Elle peut dans un jugement ultérieur faire l’objet d’un report, une ou plusieurs fois, dans la limite de 18 mois à compter de la date d’ouverture de la procédure collective (article L. 631-8).
Il convient de rappeler qu’une demande de modification de la date de cessation des paiements ne peut être présentée que dans le délai d’un an à compter du jugement d’ouverture de la procédure collective.
Si la date de cessation des paiements est fixée à la date d’ouverture de la procédure collective, il n’y a pas de période suspecte.
En cas d’extension de la procédure de redressement ou de liquidation à une autre personne, c’est la date de cessation des paiements de la première procédure qui est prise en considération (Cour de cassation, chambre commerciale du 16/06/2004, n° 01-17234).
Pour être annulé, l’acte doit avoir été conclu pendant la période suspecte. C’est la date de naissance de l’acte qui doit être prise en considération.
Lorsque l’acte dont l’annulation est demandée est intervenu en exécution d’une convention-cadre, c’est la date de cette convention qu’il faut examiner. Si elle a été conclue avant la cessation des paiements, l’acte ne peut être annulé, quelle que soit la date du contrat d’application (Cour de cassation, chambre commerciale du 06/06/2001, n° 98-14355).
Il a également été jugé pour une délégation de créance que c’est la date de conclusion et non celle de son exécution qui doit être prise en compte.
La loi prévoit 3 situations.
D’abord si l’acte dont la nullité est demandée entre dans la liste des 13 actes énumérés dans le I de l’article L. 632-1, il suffira au demandeur de justifier que l’acte critiqué répond à la qualification, et qu’il a été accompli pendant la période suspecte. Le tribunal n’a alors aucune liberté d’appréciation. Il doit annuler l’acte critiqué, il s’agit ici de nullité de droit.
La loi prévoit également 2 types d’actes dont l’annulation est laissée à l’appréciation du juge, auquel on ne pourra pas reprocher de rejeter l’action en annulation (Cour de cassation, chambre commerciale du 12/05/2016, n° 15-13833) :
Il s’agit alors de nullités facultatives.
Il s’agit ici d’une liste limitative de 13 catégories d’actes qui selon le législateur sont frauduleux, dès lors qu’ils ont été accomplis durant la période suspecte. Ils sont nuls de droit, sans qu’il soit besoin de prouver la connaissance de la cessation des paiements par le cocontractant ou encore que l’acte ait porté préjudice au débiteur, ou à ses créanciers. En d’autres termes, le tribunal n’a aucun pouvoir d’appréciation.
Il est évident qu’un débiteur ne peut gratifier certaines personnes alors qu’il ne paie pas ses créanciers.
Sont donc annulables de plein droit, s’ils ont eu lieu pendant la période suspecte :
Il s’agit d’exemples d’actes à titre gratuit translatifs de propriété et non d’une liste limitative.
Il s’agit ici de tout contrat commutatif, dans lequel les obligations du débiteur excèdent notablement celles de l’autre partie.
Le juge doit ici apprécier (souverainement) si l’obligation du débiteur excède notablement celles du cocontractant.
Quelques exemples :
Il s’agit ici, comme pour tous les actes de l’article L. 632-1 I, d’actes accomplis pendant la période suspecte.
Tous paiements réalisés par le débiteur, pendant la période suspecte, avant l’arrivée du terme sont nuls quels qu’en soient le mode de réalisation (espèces, cession de créances, effets de commerce, compensation…) car il traduit la volonté de favoriser le créancier bénéficiaire.
Cette nullité s’applique aussi bien au paiement des dettes civiles que des dettes commerciales.
Il est régulièrement jugé que les remises de fonds, effets de commerce et les virements effectués par le débiteur sur son compte courant en période suspecte ne sont pas susceptibles d’être sanctionnés par la nullité de plein droit.
Toutefois, une cession de créance (acte inhabituel du débiteur) ayant pour objet de payer le découvert d’un compte bancaire non clôturé, a été considérée comme un paiement d’une dette non échue (Cour de cassation, chambre commerciale du 02/11/2005, n° 04-13718).
La loi et la jurisprudence considèrent comme normal, les paiements de dettes échues effectués pendant la période suspecte, ceux effectués.
De même il est indiqué que doit être considéré comme normal « tout autre mode de paiement communément admis dans les relations d’affaires », en particulier le mode de paiement prévu au contrat. Il appartient au créancier d’apporter la preuve du caractère habituel du paiement.
Il doit s’agir de relations d’affaires et la Cour de cassation a jugé, à ce propos, que des relations entre l’URSSAF et l’assujetti ne sont pas des relations d’affaires. Par conséquent, la cession de créance opérée par ce dernier en paiement doit être annulée (Cour de cassation, chambre commerciale du 14/12/1933, n° 92-10858).
Il a été déclaré valable la remise par le débiteur d’un appartement en remboursement d’un prêt, dès lors que ce mode d’exécution avait été prévu au contrat conclu avant la cessation des paiements.
La jurisprudence valide les restitutions effectuées en application d’une clause de réserve de propriété.
Certains types de paiement sont présumés suspects, il convient donc de les examiner en détail afin de déterminer s’ils rentrent dans la catégorie de paiement anormal de dettes échues :
Exemple de dation en paiement : abandon de matériel par le débiteur pour payer un loyer.
Exemple de délégation de créance : la convention par laquelle le débiteur a autorisé un de ses créanciers à recouvrer à sa place certaines sommes dont il était créancier lui-même envers ses clients.
Exemple de cession de créance : les paiements faits en période suspecte par cession de créances à une centrale d’achat car ils ne constituent pas une pratique habituelle dans ce secteur.
Exemple de compensation conventionnelle : paiement des redevances dues par un francisé à un franchiseur par la cession de son fonds de commerce à titre de compensation.
Il convient de rappeler, qu’en application de l’article L. 632-2, ces paiements de dettes échues, s’ils ne peuvent être qualifiés d’anormaux, ils peuvent faire l’objet d’une annulation facultative, si le créancier avait connaissance de la cessation des paiements du débiteur.
Sont frappés d’une nullité de droit tout dépôt et toute consignation de sommes ordonnés judiciairement (article 2350 du Code civil), pendant la période suspecte, à défaut d’une décision de justice ayant acquis force de chose jugée antérieurement à l’ouverture de la procédure collective.
Est nulle de plein droit, toute sûreté réelle (hypothèque, nantissement, gage) conventionnelle ou droit de rétention conventionnel constitués sur les biens ou droits du débiteur pour dettes antérieurement contractées, à moins qu’ils ne remplacent une sûreté antérieure d’une nature et d’une assiette au moins équivalente.
De même est nulle de plein droit une hypothèque légale, attachée aux jugements de condamnation, prise pendant la période suspecte, pour une créance antérieure.
Il s’agit ici de rendre inutile la manœuvre du créancier habile qui sentant approcher la procédure collective de son débiteur, solliciterait une sûreté conservatoire.
La nullité frappe l’autorisation, à savoir la décision de l’assemblée générale extraordinaire prise pendant la période suspecte, de consentir aux salariés des options de souscription ou de rachat d’actions (article L. 225-177 et suivants du Code de commerce).
La nullité concerne également les levées d’option par les bénéficiaires pendant la même période (article L. 22-10-56 et suivants du Code de commerce).
Fiducie : contrat par lequel un bien est cédé comme garantie à un créancier, lequel devra le restituer au débiteur lorsque celui-ci aura rempli ses obligations.
Le statut de l’EIRL disparaît à compter du 16/02/2022 (loi n° 2022-172 du 14/02/2022), remplacé par un nouveau faisant automatiquement la distinction entre le patrimoine professionnel et le patrimoine prive. Il conviendra d’examiner le futur décret d’application pour examiner les conséquences de ce bouleversement au regard de la période suspecte.
Cette disposition ne concerne que la déclaration d’insaisissabilité effectuée avant le 08/08/2015, car la loi n° 2015-990 du 06/08/2015 a rendu de plein droit insaisissable la résidence principale.
Si les actes à titre gratuit translatifs de propriété mobilière ou immobilière accomplis durant la période suspecte sont nuls de droit (voir ci-dessus), l’article L. 632-1 II du Code de commerce permet en outre au tribunal d’annuler ce même type d’actes faits dans les 6 mois précédant la date de cessation des paiements.
Il s’agit donc seulement d’une faculté pour le tribunal, qui conserve toute liberté d’appréciation quant à la décision d’annuler ou non les actes visés.
L’action en nullité ne peut concerner que visés par l’article L. 632-1 I 1°
Peuvent aussi être annulés des actes accomplis pendant la période suspecte, qui ne sont pas visés par la liste de l’article L. 632-1 I, mais ont été accomplis alors que le tiers avait connaissance de l’état de cessation des paiements de son partenaire : ce sont les paiements pour dette échue, les actes à titre onéreux dont la disproportion ne peut être démontrée.
Exemples :
Trois éléments sont nécessaires pour que le juge décide s’il convient de prononcer ou non la nullité de l’acte :
Si ces trois éléments sont réunis, le juge prendra sa décision au regard du préjudice subi par la procédure.
Comme le précise l’article L. 632-4 l’action en nullité a pour effet de reconstituer l’actif du débiteur
L’action en nullité ne peut être exercée que par l’administrateur, par le mandataire judiciaire ou le commissaire à l’exécution du plan, et par le ministère public ( article L. 632-4).
Ayant les mêmes fonctions que le mandataire judiciaire, le liquidateur peur agir en annulation (Cour de cassation, chambre commerciale du 01/04/2014, n° 13-14086).
L’action en nullité ne pouvant être exercée que par les organes de la procédure, elle ne peut l’être par le débiteur (Cour de cassation, chambre commerciale du 12/06/2001, n° 98-19873).
En cas de défaillance des ces représentants des créanciers, le contrôleur peut agir en nullité, dans les conditions fixées par l’article L. 622-20 et R. 622-18.
Toute contestation est fermée au débiteur, même une fois redevenu in bonis (Cour de cassation, chambre commerciale du 02/12/2014, n° 13-24308).
Le demandeur doit justifier d’un intérêt à agir, à savoir la reconstitution de l’actif du débiteur, ce qui ne serait pas le cas lorsqu’il est constaté que l’actif existant suffit à désintéresser tous les créanciers.
L’existence d’un préjudice n’est pas une condition à l’exercice de l’action, aussi bien pour les nullités de droit que pour les nullités facultatives (Cour de cassation, chambre commerciale du 17/01/1995, n° 91-16832).
Le Code de commerce, dans l’article L. 632-4, ne mentionne aucun délai particulier pour l’exercice de l’action en nullité. Toutefois, le délai pour exercer cette action se trouve encadré d’une part, par la durée des fonctions des titulaires de l’action (Cour de cassation, chambre commerciale du 21/09/2010, n° 08-21030). et d’autre part, par la décision rendue sur l’admission des créances
Il a été jugé que la prescription quinquennale de l’article L. 110-4 du Code de commerce n’était pas applicable (Cour de cassation, chambre commerciale du 30/03/2010, n° 08-17556).
L’autorité de la chose jugée attachée à la décision d’admission d’une créance prononcée à titre privilégié, à raison de l’inscription d’une hypothèque, fait obstacle à l’action en nullité de cette inscription, dans l’hypothèse d’un report de la date de cessation des paiements Cour de cassation, chambre commerciale du 19/12/2018, n° 17-19309).
Par contre, l’admission d’un créancier pour la partie impayée de sa créance, même revêtue de l’autorité de la chose jugée, ne fait pas obstacle à l’action en nullité des paiements partiels reçus en période suspecte. (Cour de cassation, chambre commerciale du 16/03/2010, n° 09-11430
Dans le silence de la loi, on doit admettre que c’est au tribunal de la procédure qu’il appartient de prononcer la nullité. En effet, l’action en annulation d’un acte conclu pendant la période suspecte a pour finalité de reconstituer l’actif de la procédure. Une telle action ne pouvant exister qu’en raison de l’ouverture de la procédure collective, la compétence du tribunal de la procédure est donc exclusive (Cour de cassation, chambre commerciale du 07/04/2009, n° 08-16884), y compris si la demande d’annulation porte sur une vente immobilière (Cour de cassation, chambre commerciale du 18/05/2017, n° 15-23973).
La clause d’arbitrage stipulée dans un acte déséquilibré est inapplicable à l’action en nullité en période suspecte de cet acte demandée par une personne compétente. Celle-ci ne se substitue pas au débiteur, mais exerce une action au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers.
Le demandeur doit assigner le créancier qui a traité avec le débiteur au cours de la période suspecte, sa prétention doit donc être dirigée contre le créancier qui a seul intérêt à la combattre. Même si le débiteur a retrouvé la totalité de ses pouvoirs du fait de l’adoption du plan de redressement, il n’a pas qualité pour agir et n’a pas à être appelé à l’instance en nullité.
Le décret du 04/01/1955 impose une publicité de la demande en nullité de tous les actes qui ont fait l’objet d’une publicité foncière. Il en résulte que la demande en nullité n’est recevable que si le demandeur a accompli cette formalité.
La procédure suivie est celle des instances relatives aux procédures collectives, aussi le jugement est-il rendu par le tribunal à la suite d’un rapport du juge-commissaire.
En revanche, le juge-commissaire ne peut, à l’occasion des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi en matière de vérification des créances, prononcer la nullité d’une sûreté consentie en période suspecte et admettre la créance à titre chirographaire (Cour de cassation, chambre commerciale du 28/09/2004, n° 02-19500).
Le contrat annulé disparaît en principe rétroactivement. Le produit de l’action en nullité tombe dans le patrimoine du débiteur dont il reconstitue l’actif (article L. 622-20 alinéa 4).
Le paiement annulé emportera donc obligation pour le cocontractant de restituer le montant, avec intérêt au taux légal à compter du jour du paiement litigieux.
Lorsqu’il y a eu transfert d’un bien, par l’effet de la nullité, le débiteur récupérera son bien, ce qui permettra au créancier d’invoquer le bénéfice de sa sûreté (article 1352-9 du Code civil).
Suite à l’annulation d’un acte, la créance de restitution est considérée comme une créance antérieurement au jugement d’ouverture (Cour de cassation, chambre commerciale du 20/01/2009, n° 08-11098).
« Et attendu que la cour d’appel, qui décide que la vente litigieuse doit être annulée avec effet rétroactif, ce qui impose, d’un côté, la restitution de l’immeuble par la SCI, de l’autre, la restitution du prix selon les règles applicables en matière de procédure collective, s’agissant d’une créance née avant l’ouverture de la procédure collective de la société MVM, a légalement justifié sa décision ».
Encore faut-il pour que cette déclaration produise effet que les délais de déclaration et de relevé de forclusion ne soient pas expirés (Cour de cassation, chambre commerciale du 21/03/2006, n° 04-20728).
Toutefois, il convient rappeler que l’article L. 622-26 dispose que « par exception, si le créancier justifie avoir été placé dans l’impossibilité de connaître l’obligation du débiteur avant l’expiration du délai de six mois, le délai court à compter de la date à laquelle il est établi qu’il ne pouvait ignorer l’existence de sa créance ».
La Cour de cassation refuse que le cocontractant puisse se prévaloir d’un paiement par compensation, pourtant admis par l’article L. 622-7 (Cour de cassation, chambre commerciale du 31/03/1998, n° 96-12252).
Dans le cas où le défendeur à l’action est un vendeur du débiteur, il a la faculté de réclamer une restitution de la chose vendue, à la suite de l’annulation. Dès lors, il peut refuser de payer le prix convenu tant qu’il n’a pas reçu satisfaction.
Lorsque le cocontractant du débiteur a reçu un bien, il est lui-même, en principe, tenu à une restitution en nature. Toutefois, si celle-ci s’avère impossible, le cocontractant doit remettre à la procédure collective une somme d’argent équivalente au prix de la chose, estimée au jour de la restitution.
A la différence de l’inopposabilité, la nullité anéantit l’acte, à l’égard de tous et est opposable aux tiers sous-acquéreurs, même de bonne foi. Ces tiers supporteront toutes les conséquences de l’annulation de l’acte.
La nullité de la donation rejaillit sur le tiers sous-acquéreur à titre gratuit ou onéreux, même de bonne foi.
La nullité d’une convention entre deux époux réglant les suites d’un divorce sur demande conjointe produit ses effets à l’égard de celui qui n’est pas soumis à la procédure collective.
DALLOZ – Répertoire de droit commercial – Nullités de la période suspecte
LEXIS 360
Droit et pratiques des procédures collectives – Pierre-Michel LE CORRE ‘éditions 2021-2022) – Chapitre 820 – Reconstitution de l’actif : nullités de la période suspecte